Stray
7.2
Stray

Jeu de BlueTwelve Studio et Annapurna Interactive (2022PlayStation 4)

« Les chats, c’est vraiment des branleurs » (Alain Chabat)

Il y a des choses comme ça qui ne s’expliquent pas.
Ce Stray, sitôt il avait été annoncé que j’en avais déjà envie.
Ce chat égaré, ces lumières à la Wong Kar-Wai… Je me souviens qu’après seulement en avoir vu quelques images je m’étais déjà arrêté d’en visionner davantage et avait décidé de ne plus chercher à me renseigner dessus, à part sur la date de sa sortie.
Parce que oui, pour moi c’était plié : je voulais jouer à Stray. Je sentais que ce titre avait ce pouvoir de me charmer et de me conduire dans des gouttières inexplorées du jeu vidéo. Donc j’ai tout refermé, j’ai attendu et j’ai épié…
…J’ai épié jusqu’en ce jour du 19 juillet 2022 donc, date de sortie du jeu.
Stray : ce jeu que j’ai acheté day one.
Honnêtement je n’ai pas souvenir avoir souvent fait ça.


Si je vous parle de tout ça d’emblée c’est pour vous dire tout le potentiel que certains comme moi ont pu ressentir dans ce jeu.
Une direction artistique soignée couplée à un postulat vidéoludique singulier pouvait clairement promettre beaucoup de belles choses, surtout au regard de la maturation que connait actuellement le jeu vidéo via sa scène indé. Et même si je n’attendais pas forcément le grand chef d’œuvre j’espérais a minima un petit coup de frais ; une porte ouverte sur l’avenir…
…Et franchement, en ce qui me concerne, les premières heures de jeu ont été loin d’être décevantes à ce niveau-là. Loin de là.


Pourtant il faut bien avouer que la prise en main est déconcertante.
La première prise de contact est très minimaliste en termes de gameplay. On ne peut se déplacer que dans un espace très restreint et se contenter simplement d’aller cajoler d’autres chats avant de s’allonger avec eux. Pourquoi ? Dans quel but ? Est-ce qu’on essaye de me faire intégrer là une des mécaniques fondamentales du jeu ? Je n’en sais rien. Mais pas grave. C’est court. Déjà on passe à autre chose.
Dès la minute suivante, enfin on nous libère davantage la voie et les mouvements. Un espace en couloir dans le but de nous amener à comprendre davantage les possibilités de notre matou, mais là encore le gameplay proposé surprend.
Sur les surfaces planes on peut se déplacer comme on veut mais sans pouvoir courir ni sans pouvoir sauter librement. Sitôt se retrouve-t-on face à une marche, une poutrelle ou un tuyau sur lesquels le matou serait en mesure de sauter que le jeu nous indique quand et comment y grimper. La manœuvre affichée n’est pas contre-intuitive en soi puisqu’il s’agit d’aller coller l’endroit sur lequel bondir puis taper « X ». Mais autant dire malgré tout que cette manière de faire a de quoi destabiliser dans un premier temps.
Pour un jeu qui entend nous mettre dans la peau d’un chat, tout ça fait quand même un brin rigide, dirigiste et laisse au joueur peu de marge pour jouir de sa félinité…
Et pourtant…


…Et pourtant, au bout de quelques minutes, j’avoue avoir commencé à réviser mon jugement.
En fait ce que le jeu retire en liberté il l’apporte clairement en souplesse.
Pour peu qu’il y ait deux tuyaux et trois poutrelles qui se côtoient il suffit alors de tapoter « X » en indiquant les bonnes directions pour qu’on se grimpe ça en toute aisance (on peut même maintenir si on a la flemme). Et puis une fois qu’on avance sur un tuyau, il y a impossibilité de tomber puisque tant qu’on n’appuiera pas sur « X » notre avatar moustachu suivra le chemin tracé par la canalisation.
D’ailleurs le jeu nous fait aussi très vite comprendre de cette manière qu’il y aura impossibilité de sauter dans l’eau. Un bassin est bien là pour qu’on tente forcément d’y aller, mais aucun « X » n’apparait. On ne peut pas sauter dans l’eau. Au départ je n’ai su y voir qu’une limitation plus que rigide. (J’aurais préféré qu’on me montre que le chat ne peut aller dans l’eau en me laissant tomber dedans puis en me le faisant bondir au dehors aussi sec.) Mais sur ce point aussi, au bout d’un moment, j’ai fini par percevoir ce choix comme une sécurité supplémentaire apportée au joueur ; une façon de faire en sorte qu’on se dise « pas d’inquiétude » sitôt tu appuies sur « X » dans ce jeu que ça conduira forcément ton chat sur un endroit accessible pour lui.


De ce système-là, Stray apporte au joueur un sentiment de très grande aisance – comme celle d’un chat quoi ^^ – faisant comprendre que son enjeu ne portera clairement pas sur la dextérité mais plutôt sur l’exploration ou – peut-être – sur des énigmes à résoudre.
Et à bien y réfléchir ce choix assez culotté m’est apparu au final assez rapidement payant, car c’est vrai qu’avec le recul, ça aurait pu être très frustrant qu’on nous laisse davantage de liberté dans nos sauts au regard de la taille et de la disposition des endroits à parcourir. Entre les sauts loupés et les chutes à la con, on serait clairement passé à côté de la sensation féline de maitriser pleinement nos déplacements et ça aurait été vraiment dommage pour le coup.


Or l’air de rien, ce début de Stray je l’ai trouvé assez magistral et plus qu’engageant pour la suite.
Se construisant d’abord en couloir, le jeu nous invite à suivre nos compagnons félins, donc à avancer, à enchainer les sauts, à prendre de la vitesse, de l’aisance et de la confiance, tout en commençant en parallèle à nous dérouler sa narration environnementale.
Et à part le choix d’intégrer de temps en temps quelques (toutes) petites scènes cinématiques pour nous imposer quelques actions nécessaires au bon déroulement de l’intrigue (et qui brise chez moi toujours un peu mon immersion), je trouve vraiment que tout ce qui est entrepris en ce début de jeu par le studio BlueTwelve relève quasiment du sans-faute.
Plus on avance et plus les décors racontent une histoire qu’on parvient à tisser par nous-mêmes. Il y a ce qu’on arrive à déduire assez facilement et puis ces éléments qui laissent planer les interrogations. Chaque nouvelle composante de l’univers est amenée habilement…


(Je pense notamment au premier androïde que l’on croise comme ça l’air de rien au bout d’un couloir et qui finit par détaler en nous voyant.)


…Et sitôt le jeu estime-t-il avoir transmis l’essentiel des bases en termes de gameplay, de narration – voire d’état d’esprit – qu’il commence à s’ouvrir et qu’il invite davantage à l’exploration sur plusieurs niveaux : hauteurs, recoins, intérieur…
Ah ça ! Couplée à cette direction artistique très « léchée » (ho ! ho !) – et même si quelques choix me faisaient déjà nourrir quelques regrets (et on va très vite en reparler,) je dois bien avouer que cette direction initialement prise par ce Stray commençait vraiment à m’emballer…
…Beaucoup.


Malheureusement, le vrai problème de ce Stray c’est qu’il s’essouffle très vite et qu’une fois les premières bonnes idées posées en amorce du jeu il ne les développe plus vraiment par la suite et surtout il peine à en introduire davantage.
En ce qui me concerne un premier tournant fatidique s’est opéré au moment de notre arrivée dans l’appartement (les initiés comprendront) qui survient pourtant en tout début de partie.
A partir de ce moment-là le jeu opère un choix qui, à mes yeux, va être lourd de conséquence. Le jeu va se décider à introduire des dialogues.
Oui. Des dialogues.
Pour rappel, jusqu’à présent le jeu nous faisait incarner un chat hein…
…Et pas un chat à la Blacksad ou à la Tom & Jerry. Un vrai chat au rendu photo-réaliste qui se contente juste de miauler et de lapper dans les flaques !
Et voilà soudain qu’on se retrouve avec une fonction dialogue introduite et justifiée de manière pour le moins artificielle. On va devoir dès lors solliciter des gens pour qu’ils nous parlent. Ils vont entamer des discussions avec nous. Nous refiler des missions. Nous refiler des indices. Nous livrer leurs états d’âme… Et même si techniquement notre chat fera son Link de service gardant sa bouche bien cousue que malgré tout, moi, j’avoue, ça m’a foutu un coup en termes d’immersion.


Ce qui m’avait attiré dans les premières images de ce Stray ça avait clairement été cette vision d’un jeu totalement tourné autour de la vie et des capacités d’un chat.
Si ce jeu m’avait séduit c’était parce qu’il affichait manifestement sa prétention de structurer toute son expérience ludique autour de cette logique là.
Et le pire c’est que cette mission elle a été entièrement remplie sur toute la phase de jeu qui a précédé ce foutu appartement !
Durant tout de ce début de jeu là, on se balade, on saute partout, on se faufile là où rien d’autre n’aurait su se faufiler, on fait même tomber des trucs en mode « saloperie sadique de chat »... Le jeu avait d’ailleurs même poussé le vice jusqu’à introduire des éléments de gameplay qui n’avaient de sens que si on était un chat !


Sitôt trouve-t-on une flaque douteuse que l’interface nous invite à y laper le contenu. Sitôt rencontre-t-on un lambeau de papier-peint ou de tapis qu’il nous est donné la possibilité d’y faire ses griffes. Idem pour ce qui consiste à pouvoir marcher sur des claviers d’ordinateur ou renverser des pots de peinture rangés un peu trop près du bord…
A quoi ça sert ? …Bah à rien ! Mais en même temps c’est ça le quotidien d’un chat ! Bouffer, boire, chasser et foutre la merde en mode « prince » sitôt en a-t-il l’occasion !
Et ce qu’il y a de terrible c’est que de cette petite idée maligne, Stray arrive progressivement à en faire quelque chose de ludiquement utile ! Parce que pour le coup ce type d’actions anodines ne sont gratuites et inutiles qu’au départ ! Au bout d’un moment c’est grâce à ce genre de manip qu’on va apprendre à ouvrir des stores, péter des velux, ou bien encore amener quelqu’un à nous ouvrir une porte !
Tout était là ! TOUT !
C’était à la fois pertinent, ludique, drôle et presque gentiment absurde.
Seulement voilà, au lieu d’explorer cette voie-là jusqu’au bout – jouer des caresses, des marquages de territoires, des trucs qu’on aurait pu chasser – le jeu a préféré introduire des putains de dialogues et refiler à ce foutu chat une combinaison lui permettant de faire des trucs qui n’ont rien à voir avec un chat, comme composer des codes, traduire des affiches, tirer au laser… (Bon OK, en vrai ce n’est pas un laser, mais franchement on n’est pas loin.)


Le plus triste dans tout ça c’est qu’il ne faut vraiment pas attendre longtemps pour voir la bascule s’opérer de plus en plus inexorablement.
Je disais quelques lignes plus haut que l’épisode de l’appartement a été pour moi le premier point de bascule, or celui-ci ne survient justement qu’une bonne demi-heure après le début de partie.
Et si, en ce qui me concerne, mon intérêt pour ce jeu a su se maintenir grâce au fait qu’on nous donne par la suite accès à une zone d’exploration ouverte – ouverte aussi bien d’un point de vue ludique que narratif – que néanmoins l’illusion n’a su tenir chez moi qu’une grosse heure supplémentaire…
Après ce fut le déclin inexorable.


Plus les épisodes s’enchainent et plus les idées du début se perdent.
Les mécaniques les plus basiques du jeu vidéo sont mobilisées pour espérer entretenir l’investissement du joueur : savoir courir en évitant de se faire rattraper par des ennemis, savoir se cacher derrière les objets lors de rondes de drones de vidéo-surveillance, savoir apporter l’objet A au personnage B pour qu’il puisse libérer le passage menant à C…
Alors OK ça reste beau, la direction artistique reste soignée, mais quelle descente dans les enfers de la banalité vidéoludique !


Surtout qu’en plus de ça, à la longue, le gameplay montre progressivement ses limites. Parce qu’il a beau être très bien dans l’idée ce système de saut automatisé qu’il n’en montre pas moins pour autant de nombreuses défaillances en termes de cohérence.
Ici une rambarde haute d’un mètre : je peux y sauter. Mais par contre la même rambarde deux fois plus petite qu’on retrouve vingt mètres plus loin le jeu refuse que j’y saute.
Ici je peux passer entre ces barreaux, mais là je ne peux pas entre ceux-là, quand bien même sont-ils exactement identiques.
Ces caisses-là je peux les monter, mais pas celle-là. Cet escalier oui, mais cet escalier-là non.
Parfois on pense qu’on est en face d’un élément qu’on ne peut pas monter mais en fait non, c’est juste que n’avait pas abordé la plateforme en question selon le bon angle pour que l’interface s’affiche…
Autant vous dire que, dans de conditions pareilles, on perd très vite la sensation de souplesse et d’aisance pour ne ressentir que limitation et rigidité.


Je ne vais d’ailleurs pas vous mentir : ça a été un petit effort de finir ce jeu.
Pourtant il n’a présenté aucune difficulté. Pourtant il a été loin d’être long (entre six et huit heures selon que vous furetez ou non). Mais bon, aussi bien dans l’intrigue, que les décors, que le gameplay, ce Stray s’est trop vite enlisé dans la banalité et dans le quelconque pour vraiment donner envie de l’explorer davantage…
…Et je ne vous cache pas que ça blase un peu.


Alors certes, vaudra toujours mieux un jeu qui a tenté un peu avant de s’effondrer qu’un jeu qui n’a rien tenté du tout depuis le début. Je suis d’accord.
De même, c’est toujours agréable de parcourir un jeu au visuel très soigné, quand bien même l’univers est-il parfois fade. Ça aussi je peux encore bien vouloir le concéder.
Et oui enfin, il sera également toujours préférable qu’un jeu fasse court quand il manque d’idées plutôt qu’il ne s’étale ad nauseam pendant des dizaines heures. Là-dessus toujours j’adhère totalement.
…Et c’est d’ailleurs parce que j’ai toutes ces idées en tête qu’au moment d’attribuer une note – parce que sur ce site il faut bien attribuer une note – je suis quand même monté à un petit 6/10 me concernant.
L’équivalent d’un « pas mal ». « Assez bien ».
Acceptable à défaut d’être pleinement convaincant.


Malgré tout, je ne vais pas vous la faire à l’envers non plus : ça m’emmerde clairement la manière dont ce jeu finit par tourner. Et je ne dis pas ça parce que je m’en étais fait une montagne.
Certes j’attendais depuis longtemps ce Stray mais je n’avais jamais vraiment pris la peine de le fantasmer. Mes déceptions elles se sont surtout construites par rapport à ce que le studio avait promis et qu’il a d’ailleurs su rappeler lors de sa première heure de jeu.
Stray aurait pu TENTER quelque chose. Mais vraiment tenter.
Il aurait pu avoir l’audace d’explorer vraiment la piste qu’il avait ouverte. Bref il aurait pu vraiment faire une proposition de jeu.


Alors certes, BlueTwelve est un nouveau studio et il a peut-être pris peur. Il a voulu se rassurer en misant sur des certitudes : les beaux graphismes, les mécaniques éculées, les dialogues écrits au marteau-piqueur…
Moi je peux comprendre que ce soit rassurant pour une équipe qui cherche ses marques, mais d’un autre le résultat c’est aussi qu’au final Stray rejoint les rangs de ces milliers de jeux qui proposent la même chose. Au mieux retiendra-t-on peut-être de lui la promesse qu’il a su entretenir sur un bref instant et que certains voudront faire survivre malgré tout…


Moi, au risque d’être cruel, j’avoue qu’en bout de course je ne retiendrai pas grand-chose de ce Stray.
Embryon d’idée vite avorté. Mélange d’influences mal digérées. Élan narratif tombé sitôt lancé.
Des promesses non tenues, en art, j’en ai déjà plein mes paniers.
Au point de me dire qu’au fond, parmi les félins, je préfère encore les vieux matous qui attrapent les souris aux beaux jaguars que leur propre ombre effraie…


__


P.S. Et sinon, pour celles et ceux qui se demanderaient encore d’où je sors cette citation d’Alain Chabat sur les chats, sachez juste qu’en fait elle vient de ! ;-)

Créée

le 23 juil. 2022

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