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Comme le bon vin, s'affine en vieillissant.

Nous sommes en 1997. Un vent de J-RPG commence à souffler officiellement sur le Vieux Continent. Si les plus férus de ces jeux de rôles à la japonaise se payeront régulièrement leur dose en import sur Super NES (et parfois même carrément dans la langue de Musashi), le grand public et ceux qui n'ont pas la chance d'avoir des boutiques d'import dans leur coin (c'est-à-dire 90% des gamers de l'époque qui n'habitaient pas la région Parisienne ou les grandes agglomérations) ont dû attendre le grand événement Final Fantasy VII qui ne va pas tarder à débouler dans nos vertes contrées. Et au vu de l'engouement, certains éditeurs tentent le coup avec des jeux du même acabit, mais bien entendu loin d'être aussi impressionnants que le titre de Squaresoft. C'est le cas de Konami, qui prend alors quelques risques à sortir des jeux loin des canons de ce qui se faisait de mieux sur la Playstation. D'abord Vandal Hearts, sympathique jeu de rôles tactique avec plein de bonnes idées, et surtout Suikoden. Il est dur de se faire une place sur le foisonnant marché du jeu vidéo en 3D avec un banal jeu qui était déjà old-school pour l'époque, avec ses graphismes à peine plus jolis que ceux qu'on a vus à la fin des consoles 16 bits. C'est d'autant plus compliqué quand, en plus, le jeu ne sort pas traduit chez nous et que les petits Français devront se contenter d'une version en anglais, ce qui ne facilite pas la tâche, surtout quand le jeu vidéo reste encore à l'époque un loisir d'adolescents.

Et pourtant, ceux qui ont eu la chance de toucher ce jeu ne s'en sont jamais vraiment remis. Comme une sorte de relique sacrée aux pouvoirs mystiques, Suikoden a envoûté longuement malgré ses défauts déjà pour l'époque. S'il pouvait exister un jeu pour représenter le terme "culte", ce jeu (ainsi que sa suite) pourrait en être un excellent exemple. D'ailleurs, sa rareté alliée à sa réputation font le bonheur aujourd'hui des collectionneurs qui en possèdent un exemplaire.


Donc quand Konami a annoncé que les deux premiers titres seraient disponibles sur le PSN, ceux qui voulaient y jouer ou y rejouer sans avoir envie de casser son PEL s'en sont vus ravis. Mais près de 20 ans après sa sortie japonaise, est-ce que l'aura de ce jeu ne se serait pas évanouie avec le temps qui patine parfois plus que de raison les jeux vidéo (à commencer par le maître FFVII) ?

Il est toujours délicat de juger un jeu sorti il y a plusieurs décennies, la nostalgie prenant souvent le pas sur l'objectivité qui devrait primer. Mais l'avantage qu'on a à cet exercice est qu'on a aussi pris beaucoup de recul et qu'on a vu passer de nombreux titres depuis, permettant de flatter (ou au contraire de dénigrer) le dit jeu.

Parler d'un RPG, c'est d'abord et avant tout parler de son histoire. Suikoden donc, est un jeu inspiré d'une légende ancestrale chinoise et raconte l'histoire d'un jeune garçon (le joueur), fils de Teo McDohl, un des cinq grands généraux de l'armée de l'Empereur Barbarossa, qui se fait engager comme soldat dans l'armée. Le garçon, issu d'une famille aisée, baigne jusqu'à présent dans un confort certain, accompagné des serviteurs de son père, Cléo, Pahn et Gremio. Tout va donc pour le meilleur des mondes, jusqu'à ce que certains événements et certaines rencontres vont faire basculer notre héros dans de nombreuses interrogations quant au bien fondé des motivations de l'Empereur. Accusé de trahison, il va devoir faire profil bas et monter une armée pour combattre l'armée impériale, et donc son père...

Si l'histoire de ce jeu est intéressante, ce n'est pas pour son pitch somme toute assez classique, mais pour la qualité de sa narration et les nombreux rebondissements que le héros va vivre au cours de son aventure. Complots, trahisons, morts, changements de camps, voilà le lot régulier de Suikoden. Les événements s'enchaînent et donnent l'impression qu'il n'y a jamais de temps morts. Le jeu est relativement court pour un titre de ce genre (il faut entre 20 et 30h pour le terminer complètement), mais est particulièrement intense. Et force est d'admettre que malgré le fait que je l'ai terminé plusieurs fois, y rejouer m'a procuré encore un immense plaisir et j'ai vécu à nouveau certains moments forts du jeu comme si c'était la première fois. Et comme nous ne sommes pas trop assaillis de combats aléatoires (cette plaie du RPG nippon), on avance sans trop peiner. Ce qui permet de faire les quêtes annexes et surtout le recrutement des 108 étoiles, une des meilleures idées du jeu.

En quoi cela consiste-t-il? Contrairement à la majorité des RPG où l'on a une équipe composée d'une dizaine de personnages jouables au grand maximum (FFVI avait quand même 14 héros), Suikoden propose de recruter donc 108 personnages, pour la plupart jouables, avec leurs qualités et leurs défauts. Bien entendu, au final seule une poignée d'entre eux auront un rôle clé dans l'intrigue principale du jeu, mais on a quand même un éventail de possibilités au-delà du raisonnable. Certains personnages peuvent même être associés à d'autres pour créer une super attaque à deux, voire plus. On peut y voir un gadget sans conséquence (on finit par jouer pratiquement toute la partie avec la même équipe), mais les plus acharnés pourront s'amuser à monter tout le monde au maximum (d'autant que le jeu propose un système d'expérience intelligent qui permet aux niveaux faibles de monter plus vite) et créer des équipes improbables. Mais le plaisir de résoudre quelques énigmes ou de farfouiller partout dans le continent du jeu pour trouver l'intégralité des recrues est total et certains sont assez compliqués à obtenir (d'autant plus que certains choix faits vous empêchent d'en recruter certains).

Et si on parlait un peu plus du jeu en lui-même et de son système en particulier ? A cet égard, Suikoden est un jeu très classique : une vue en 2D isométrique dans les villes et les donjons, un mini héros qui se promène sur la carte du monde et peut être interrompu par des combats aléatoires où une équipe de héros se retrouve face à des ennemis qui se tirent la bourre à tour de rôle, on est en terrain connu pour quiconque à joué à des RPG à l'époque des 16 bits (notamment la SNES), même si les combats proposent quelques animations en 3D (comme les attaques magiques et les zooms lors d'attaques critiques). C'est le mode combat qui apporte le plus d'originalité. D'abord, l'équipe est composée de 6 personnages jouables (alors que la jurisprudence Final Fantasy avait établi que 4 était un nombre idéal), en deux lignes de 3, avec chacun une portée et une atteinte différente selon qu'ils sont en avant ou en arrière_garde. Chaque personnage est ainsi doté d'une arme unique (qu'on ne peut jamais changer mais qu'on peut forger pour améliorer l'attaque) avec une portée établie : les personnages équipés d'une arme S (short), comme les épées, ne peuvent attaquer qu'en étant au 1er rang, ceux qui ont une arme M (Middle), comme les lances ou les haches, peuvent attaquer au 1er et au 2e rang mais ne peuvent toucher que les ennemis situés au 1er rang, tandis que les derniers armés avec une arme de rang L (Long), comme les arcs, peuvent attaquer partout et peuvent atteindre les ennemis situés à l'arrière-garde. Ce qui oblige ainsi à créer une équipe homogène, et il va falloir parfois sacrifier un de ses personnages fétiches car on a déjà 3 personnages de rang S. En effet, certains personnages seront obligatoires dans l'équipe pour un moment donné du scénario, et il faudra faire des choix en conséquence. C'est d'ailleurs un des défauts du jeu, car le jeu impose certains personnages et on est obligé de faire certains sacrifices (même si, fort heureusement, le héros, omniprésent au cours de la partie, est de rang M).

On peut heureusement compléter son équipe en équipant les personnages de runes. Ces pierres magiques, qu'on doit lier à un personnage chez un runiste, attribuent à son porteur pouvoirs magiques et compétences d'attaque ou de statut (doublement des XPs, protection contre les changements d'états, possibilité de courir en appuyant sur un bouton,etc...) qu'il est donc judicieux de confier à certains personnages (tout en faisant attention au niveau de compétences magiques) .

Comme on peut le voir, les possibilités sont ainsi nombreuses et il faut des jours et des semaines pour arriver à décrypter toutes les options proposées en combats. C'est d'ailleurs ce qui fait la force de Suikoden ; il est tout à fait possible de refaire une partie avec des personnages faibles ou une équipe de bras cassés et d'en faire des combattants corrects (même si dans les faits, à niveau égal, ils seront toujours très inférieurs aux meilleurs).

Un autre point ultra positif de ce jeu est la musique. L'oeuvre de Miki Higashino est absolument magnifique, alternant musiques militaires ou sonorités à forte inspiration asiatique. Tout est absolument parfait et restera dans la tête des jours durant.

Et si on parlait un peu des points négatifs ? Car bien entendu ce jeu en a. D'abord, certains sont dûs à l'âge. Graphiquement, le jeu a pris quelques rides, certes pas forcément rédhibitoires (la 2D a cette faculté de résister plus facilement au temps), mais les couleurs choisies ou les animations cachent mal le temps qui passe (les déplacements en escalier sont très difficiles à supporter quand on est habitués aux mouvements d'un jeu 3D au stick analogique) . Même sa suite a bien mieux vieilli. Et puis les menus semblent d'un autre temps. Déjà assez fastidieux à utiliser dans les années 90, avec ses nombreux sous-menus, ses déplacements d'items pénibles hérités des Dragons Quest & Cie depuis l'époque de la NES, le temps ne les a bien entendus pas arrangés, surtout quand on est habitués aux menus temps réels d'aujourd'hui.

Mais comme ces personnes qui font vieux dès l'adolescence et qui du coup vieillissent mieux que les autres, Suikoden a la chance d'avoir été old school déjà dès sa sortie. Du coup, les plus anciens lui pardonneront facilement ces écueils, même s'il est évident que les dernières générations de gamers, biberonnés à la 3D, auront plus de mal à se lancer dans ce jeu. Objectivement, il faut quand même reconnaître qu'on aimerait ne plus voir ce genre de menus aujourd'hui...

Bon après avoir détaillé assez longuement le jeu, il est peut-être temps de conclure. Alors, est-ce que le contrôle technique est validé pour ce vieux classique du RPG qui a donc 20 ans cette année ? Si on fait abstraction de la technique et du gameplay d'époque et donc assez pénible à la longue, on dispose ici d'une aventure assez incroyable, avec un scénario fort, beaucoup d'émotions, des combats intenses et des passages marquants. Bien entendu, on est loin de la profondeur d'un FFVI (la référence probablement dans ce domaine), mais tout compte fait, cette histoire basique au rythme effréné et bien équilibré passe mieux en 2015 que les élucubrations passablement ésotériques et philosophiques d'un FFVII (qui lui, pour le coup, a pris un coup de vieux bien plus violent techniquement à cause de sa 3D dépassée) et un scénario qui devient finalement plan plan après le 1er CD. Suikoden, lui, prouve que derrière un look désuet, il a su rester un jeune homme fringant. Bien entendu, il a du mal à tenir la comparaison avec sa suite directe, mais ce premier épisode reste un monument du jeu vidéo des années 90. On peut même regretter que Konami ait abandonné (pour l'instant du moins) cette licence chérie de nombreux amoureux de ce genre de jeux qui rappellent nos tendres années d'adolescence.

En tout cas, si vous aimez le genre, que vous n'avez pas peur des animations raides et des menus obsolètes, cet épisode est disponible sur le Playstation Store à moins de 5 euros. Ce qui est carrément donné, surtout compte tenu de la cote de la version PS1 sur les sites d'enchères. Et tant que vous y êtes, le II est au même prix. Deux bijoux de l'époque 32 bits pour moins de 10 euros, il faudrait être fou pour passer à côté. D'autant plus qu'ils sont compatibles PSP et Vita, et qu'on peut donc y jouer partout. C'est pas beau, la vie?
Benoit_Mercier
8
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le 26 févr. 2015

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Benoit Mercier

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