System Shock est un FPS mâtiné d’exploration vous invitant à prendre le rôle d’un hackeur sans nom devant s ‘échapper d’une station spatiale, cette dernière étant contrôlée par une intelligence artificielle qu’il a lui-même détraqué. Grand classique de Looking Glass, le System Shock original est un titre ayant inspiré nombre de successeurs, tout en restant lui même assez inaccessible, la faute à une maniabilité et une technique d'une autre époque. Si ce genre d'archaïsme ne m'effraie plus trop aujourd'hui, attendre le remake paraissait être la meilleure option pour profiter du titre. Bon, ça a pris 7 ans, des reports à foison et un développement visiblement compliqué, mais le titre est une franche réussite, et si certains aspects vieillissants ont depuis été revus et améliorés par les titres qui s'en sont inspirés, System Shock a largement de quoi s'en démarquer.

De ce que j’en sais, rien n’a bougé côté scénario, qui use les mêmes procédés narratifs que dans l’orignal, c’est à dire des messages audios à votre intention et une pelletée d’audiologs trouvables un peu partout, une formule qui sera reprise telle quelle quelle dans Bioshock et dans une moindre mesure Prey (2017). Les audiologs s’avèrent classiques (forcément) mais plutôt réussis, notamment concernant certains personnages récurrents qui, comme vous, s’échinent à contrecarrer les plans de l’IA de la station, Shodan. C’est bien sûr cette dernière qui vole la vedette : IA déglingo et déesse autodidacte, arrogante et rancunière, Shodan est toujours aussi impeccable dans son écriture 30 ans après, où chaque ligne de dialogue fait l’éloge de sa grandeur et suinte le mépris pour le hackeur qui infeste sa station, en le pourrissant à chacun de ses accomplissements. Le doublage y est pour beaucoup, refait pour l’occasion, comme pour bien sûr tous les autres dialogues. Si l’histoire reste relativement simple et finalement assez en retrait, Shodan mérite bien sa renommée et participe grandement à l’atmosphère du titre.

Tout comme pour le scénario, ce remake joue avant tout la carte de la fidélité dans son game design, un nouvel écrin pour les audiences modernes plutôt qu'une réinterprétation (il me semble que cela devait être différent à l’origine, mais les problèmes de développement auraient poussé à un remake plus sage). Ça, même sans avoir joué à l’orignal, il est assez facile de s'en rendre compte, avec ces maps labyrinthiques, ces couloirs cubiques et des salles généralement peu complexes (cela ne veut pas dire que ne vous trouverez pas des endroits plus riches, dont certains assez retords à naviguer). Vous êtes bien dans un jeu sorti en 1994, où l'exploration systématique de chaque recoin est nécessaire pour progresser. Une exploration qui, je pense, n'a pas pris une ride. Le rythme plus lent de System Shock et son côté survival horror, rendant précieuses des ressources limitées, rend cet aspect bien plus adapté que dans les autres FPS de l'époque, DOOM en tête, dont le rythme était sans cesse brisé, entre fusillades effrénées et course dans des couloirs vides pour trouver la clé violette. Cette dichotomie n'existe pas ici, exploration et action sont très bien entremêlées, où chaque recoin peut cacher un cyborg prêt à vous zigouiller et chaque objet ramassé peut faire la différence; l'étendue de vos options se limite à ce qu'il y a dans votre inventaire, en plus de quelques power up utilitaires. Alors que le titre est considéré fondateur pour le genre un peu nébuleux de l'immersive sim, cette relative simplicité pourra peut être rebuter un peu les joueurs habitués à se téléporter ou se changer en tasse à café, d’autant plus que le jeu n’a pas grande souplesse dans les moyens d’accomplir vos objectifs. Si la maniabilité a été largement modernisée, elle reste assez simple, et vos actions se résumeront à tirer, sauter et utiliser. Mais avec l'arsenal à disposition, vous aurez largement de quoi vous débrouiller, et la relative rareté des ressources, surtout en début de jeu, pousse à la débrouillardise, sinon à la créativité ; à défaut d’une grenade IEM, une ruée à la barre à mine pourra peut être vous sauver la mise, ou vous pourrez toujours profiter des passages tortueux pour éviter une ou deux saloperies le cas échéant. A cet égard, System Shock parvient à trouver un bon équilibre entre liberté et contrainte, en laissant au joueur assez d’outils pour vaincre tout en maintenant une certaine tension. Cet équilibre est un peu brisé à la fin du jeu, où vous finirez avec assez de pétoires pour couler un navire de guerre, mais un inventaire (trop) restreint et surtout des ennemis surprenamment variés (dans leur design mais aussi dans la manière dont vous aurez à les affronter) viendront vous empêcher de trop vous appuyer sur les mêmes tactiques. Ceci dit, chaque affrontement n’est pas non plus une démonstration de game design, il y a pas mal de fusillades que vous passerez planqué derrière une porte à échanger des coups de feu. Mais le titre sait renouveler les situations, et j’ai rarement trouvé un affrontement rédhibitoire. J’ose supposer que ces affrontements représentent une amélioration notable par rapport au titre original, et si ce n’est pas un grand FPS, le gameplay de System Shock reste convaincant, forcément bien plus limité qu’un jeu comme Prey (une suite qui ne dit pas son nom d’ailleurs), mais cohérent et pas dénué de profondeur.

Autre aspect démarquant System Shock d’autres jeux du style, y compris sa suite, c’est sa structure et sa progression. Le titre ne vous dis souvent pas où aller directement, et le jeu ne comporte pas de journal pour vous indiquer votre objectif. Pour savoir où aller, vous devrez vous fier aux messages que vous recevrez mais aussi, et surtout, à ces bons vieux audiologs, vous donnant souvent des indications. Ça donne beaucoup d’intérêt à ces derniers et à l’exploration, un élément appréciable. Surtout, je trouve que cela rend la progression assez gratifiante, sans être trop obscure. Il m’est arrivé de me paumer pendant un moment plusieurs fois, mais surtout par inattention. Ceci dit, il faut parfois un peu deviner, ce que je trouve sympa, et le jeu débute avec ses objectifs les plus abscons, ce que je trouve moins sympa. Pour altérer votre progression, Shodan enverra toute une galerie de saloperies sur vous. La présence de l'IA et ses réactions à vos actions la cimente comme antagoniste mémorable autant que ses dialogues. Cela passe par le système de sécurité, qui permet l’envoi de renfort impromptu si vous bousillez pas les serveurs et les caméras, et par des embuscades, donc des moments scriptés, où l'IA rebelle vous envoie des vilains à différents moments clés. Des mécaniques simples mais efficaces, surtout grâce à un emplacement intelligent des-dites embuscades, qui renforce grandement l’effet et la présence de Shodan dans le jeu. Et si on peut penser à pas mal de moyens d’améliorer ce concept, qui n’a pas bougé depuis 30 ans, il n’a jamais vraiment été repris depuis, pas même dans la suite.

Enfin, le jeu dispose de séquences dans le cyberspace, soit un mini jeu de shooter à 6 directions pas bien folichon, mais assez inoffensif puisque très occasionnel. J’aurais préféré qu’ils gardent le style visuel du jeu orignal plutôt que l’avalanche de couleurs criardes à laquelle on a droit, mais bon. Le boss final se déroule dans le cyberspace d’ailleurs. J’ai entendu dire que c’était nul en 1994. Là aussi, ils sont restés fidèles à l’œuvre originale.

Bien sûr, les changements les plus visibles vis-à-vis de la version de 1994 sont de l’ordre technique. Vu la tronche de ce dernier, l’aspect visuel aurait pu prendre n’importe quelle direction. Je trouve le résultat réussi, la direction artistique sent bon les années 90 et les diodes de couleur, qui contraste bien avec les cyborgs et les cadavres qui jonchent les étages de la station (un contraste qui manque un peu à Prey, par exemple, un brin trop aseptisé à mon goût). Si le côté pixelisé pourra peut être déplaire, je le trouve assez discret, et les nombreux effets, des éclairages au feeling des armes, sont très réussis (en dehors de la grenade à gaz qui ressemble un peu à rien). Les effets sonores sont également soignés, j’ai bien apprécié les chuchotements des cyborgs qui hantent la station. Les musiques sont quand à elles plutôt réussies mais discrètes. J’ai entendu dire que la musique du jeu original était adaptative, ce ni qu’est pas le cas ici (en dehors, bien sûr, du thème de combat qui s’active au moment opportun), mais faut admettre que le résultat était assez particulier (si vous voulez en juger par vous-même: https://www.youtube.com/watch?v=up80FfzySFA&list=PLF2E2D1B4832DCE95&index=16 ). C’est vrai que la musique du remake est un peu moins marquante, mais y a de quoi être compréhensif. J'aurais quand même aimé entendre la musique d'intro du titre original. Au final, l’atmosphère du titre est très réussie, menaçante comme il faut (sans pour autant être vraiment un jeu d’horreur, notez).

Par contre, certains aspects de la présentation ont quand même vieilli. La narration environnementale, c’est super, System Shock était l’un des pionniers, mais ce qu’il propose aujourd’hui peut paraître un peu rudimentaire, c’est à dire le graffiti occasionnel, mais surtout une ribambelle de cadavres avec un des audiologs mentionnés plus haut à proximité. Les environnements sont également loin d’être aussi riches que ce que l’on peut trouver dans des titres similaires. Les salles n’ont pas de détails particuliers permettant de les différencier en dehors de leur fonction, et la seule vraie trace de vie de la station est celle laissée par les cadavres. Enfin, si la station a un level design réussi, elle n’a pas vraiment été créé avec comme un espace que l’on pourrait considérer réaliste, dans lequel un ingénieur du futur pourrait se balader. Y a quelques trucs dans ce sens, mais c’est le labyrinthe qui prime. Tout ça rend un peu plus difficile d’imaginer la station comme un espace vécu, où des dizaines de personnes y évoluaient il y a quelques semaines à peine. A cet exercice beaucoup de titres venus après le jeu de 1994 sont bien meilleurs. Mais si la station n’a pas l’air très réaliste en ce sens, pas mal d’efforts ont été fournis pour en faire un espace cohérent et tangible. Ça passe par la liberté dans l’exploration et le backtracking qui poussent à s’approprier un peu l’espace, mais aussi par un bon sens du détail, comme les vues vous permettant d’apercevoir d’autres parties de la station, les écrans de sécurité en direct qui montrent les ennemis se balader ou encore la persistance des ennemis abattus dans l’environnement, même après plusieurs heures de jeu.

Grâce à un coup de peinture qui n’était pas du luxe, System Shock parvient enfin à portée des sensibilités modernes, permettant de découvrir un titre dont les idées ont très bien survécu aux années. Mais en faisant le choix de la fidélité, Nightdive Studios a forcé la comparaison entre un titre au design trentenaire et tous les jeux s’en étant inspirés. Et il faut admettre que System Shock n’est pas aussi effrayant que Dead Space, pas aussi charmant que Bioshock et certainement pas aussi riche que Prey. Mais bien peu ont sa cohérence et son approche de l’exploration. Aucun n’a la station citadelle, Shodan, et l’insecte qui lui dévore les entrailles.

val990
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le 20 juin 2023

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