La terrifiante et terrible face sombre de The Last Of Us Part II...

The Last of Us Part II soulève pour moi un énorme problème qui dépasse le domaine du jeu vidéo et peu s'appliquer à toute l'espèce humaine, en particulier en ces temps où tout le monde (ou plutôt ceux qui font le plus de bruit) passe son temps à rappeler à quel point tout va mal: le pessimisme sans limites.

Car, et c'est encore plus flagrant depuis qu'une pandémie mondiale nous a montré qu'un scénario qu'on ne pensait jusque là que possible sur écran ou sur papier était malheureusement tout à fait capable de se réaliser, notre Terre est définitivement de plus en plus envahie par un nombre délirant de pensées négatives, diffuses, constantes, et bien plus présentes qu'elles ne le devraient. En résulte donc la naissance progressive et sans qu'on s'en rende forcément vraiment compte, d'un sentiment général de fatalité: il n'y a rien à faire, on va tous crever. On étudie même l'Effondrement, maintenant.

Mais, quand on prend de la hauteur, exercice inqualifiablement indispensable aujourd'hui, quand on retrouve un peu de clarté d'esprit, de silence et d'apaisement, on se rend compte que cette idée selon laquelle la planète serait foutue - même si elle a évidemment certains aspects tout à fait vrais - est surtout incroyablement et dangereusement exagérée. L'espèce humaine aurait-elle réussit en à peine quelques décennies à faire s'effondrer un monde qui existe depuis tellement plus longtemps que son esprit ne peut le comprendre ? Elle lui fait énormément de mal, certes, mais, premièrement, les choses ne vont certainement pas aussi mal (même si, attention, je suis évidemment de ceux qui essaient d'être le plus écolo possible), et deuxièmement, passer son temps à répéter que tout est foutu sans essayer de faire quelque chose pour améliorer le monde, est un des pires comportements qu'on puisse avoir. Et pour moi, c'est exactement le comportement qu'à, à de très rares et courtes exceptions près (donnons au crédit des développeurs la touche d'espoir arrivant dans les toutes dernières minutes du jeu, suffisant d'ailleurs peut-être à confirmer que malgré tout, ils y croyait bien finalement, aussi difficile que ça puisse paraître), The Last Of Us Part II. Et ça me dérange au plus haut point.

Le premier, remarquable en tout point, et probablement un des meilleurs jeux-vidéos jamais conçus, nous faisait déjà évoluer dans un univers sombre, pessimiste, extrêmement violent et dur, et faisait déjà preuve de peu d'espoir. Mais, plusieurs années après, quand tout le monde avait hâte de retrouver des personnages ayant déjà marqués l'histoire de leur médium et de se battre pour continuer à faire perdurer la vie, Naughty Dog, et à priori surtout Neil Druckmann, a décidé que tous ces efforts, toute l'attente, tout l'amour des joueurs ainsi que le travail acharné des employés ayant subi de bien trop longues périodes de ce fameux et scandaleux crunch pour se surpasser et terminer le titre à temps, n'allaient au final que se retrouver noyé et démoli par un jeu dont on dirait qu'il a été conçu (on le rappelle, dans un contexte de volume de travail absolument ébouriffant) dans l'unique but de nous faire souffrir. Putain, vraiment ? On dirait.

Car, pour moi, ce qui me fait détester (sans bien sûr manquer de respect à quiconque ou aller jusqu'au point d'adopter certains comportements aussi extrêmes que scandaleux qu'on a pu voir chez certains joueurs) les choix de Neil Druckmann, sa co-scénariste Halley Wegryn Gross (leurs choix si discutables en diraient-ils pas mal sur eux ?) et tous ceux - là ça sera difficile de savoir - qui approuvent une telle direction prise, c'est qu'il ne se passe presque pas un instant sans qu'on fasse autre chose que de nous balancer de véritables horreurs en pleine figure. En plus, et là on peut regretter le pouvoir immersif du jeu-vidéo, de tout simplement les faire vivre voire carrément faire de nous les responsables.
Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent les choix parfois extrêmement forts opérés par les développeurs, notamment le fait de
```nous faire incarner l'antagoniste pendant peut-être la moitié du jeu (!),
car je trouve que c'est d'une audace complètement dingue qu'il faut absolument remarquer - de celles qui permettent à un art d'évoluer- , je ne m'y attendais pas et bien que je les déteste, je les trouve très courageux, mais pour moi, l'immense soucis que pose TLOU II, c'est qu'il ne nous laisse jamais la possibilité de faire autre chose que le mal.

Pourtant, je sais bien que c'est bien sûr un choix tout à fait délibéré de Naughty Dog, et leur volonté de nous faire ressentir à un point infiniment profond les conséquences de nos actes est complètement réussie, mais mettre autant de talent et travailler aussi dur et aussi longtemps pour aboutir à une œuvre entièrement et uniquement pessimiste, est pour moi très triste et très malsain.
L'ultra-violence ou la grande noirceur d'un récit ne me plaisent jamais dans une œuvre, mais elles ne m'ont pas empêchées d'en apprécier un certains nombres qui pourtant réunissaient ces deux caractéristiques (Je considère par exemple la première saison de True Detective remarquable et The Dark Knight est un de mes films préférés, pour ne citer que ces exemples. La noirceur ne m'empêche pas d'apprécier les grandes œuvres). Sauf que dans ce jeu, on a l'impression que tout ne se résume qu'à ça. Et quand je dis que Druckmann a pour moi une vision malsaine, il n'y a qu'à voir comment il traite son personnage de Joel, un protagoniste à fortiori très apprécié des joueurs. Bonhomme fascinant, écrit et interprété avec une profondeur et une complexité rare, on avait presque tendant à oublier qu'il avait aussi commis un certaine nombre de saloperies qui, en fin de compte, auraient peut-être suffit à le ranger aux côtés de tous les salopards qu'on croise tout au long des heures de jeu. Mais, même si, il faut bien le reconnaître, il méritait probablement de payer pout ce qu'il avait fait, fallait-il vraiment en arriver au point de voir ce déjà grand personnage de jeu vidéo se faire pulvériser au club de golf par une immense connasse (j'y reviens tout de suite) dans une séquence d'une violence presque insoutenable (en plus de le montrer, lui d'habitude survivant endurci à qui on ne la fait pas, discuter avec des inconnus sans faire attention) ? C'est ça, l'amour que vous portez au personnage que vous avez créé ?

On en est à ce niveau...

Et, ceci nous amène à la fin, en abordant le personnage à l'origine de bien de torrents de haine, l'antagoniste Abby. Mais il est important de le dire tout de suite, bien que je la déteste au plus haut point (c'est con mais rien que son visage donne envie de la cogner non ?), ce serait mentir que de dire qu'on ne ressent pas de l'empathie à quelques moments de l'histoire, je pense principalement à la fin, où, je suis obligé de l'admettre, elle me fait de la peine. Bien sûr ! Il lui est arrivé des choses terribles, et ce que Joel lui a fait est inqualifiable. Mais, il semble essentiel de rappeler certains détails, notamment soulevés, encore une fois, en commentaire sur YouTube par des fans avisés.

Car, si le choix de nous faire incarner celle que l'histoire nous donne envie de tuer dès les premières heures est bien sûr imparable pour nous faire expérimenter les conséquences de nos actes (jusqu'à ce qu'on soit parfois, dans des séquences qui deviennent donc extrêmement éprouvantes, obligés d'attaquer nous-mêmes la pauvre Ellie), il y a des instants qui révèlent au final que malgré toute la souffrance qu'elle a pu connaitre, tout ceci ne justifie pas certaines de ces actions. Rappelons la phrase de Robert McKee dans son livre d'écriture de scénario Story: "Le vrai caractère d'un personnage est révélé sous pression. Plus la pression est importante, plus le choix qu'il fera sera révélateur". Autrement dit, cette saloperie se trahira quand, pour ne citer que les exemples les plus forts:
- elle ira jusqu'à torturer Joel de manière absolument inhumaine et pendant longtemps (pas trop non plus, on espère) alors qu'elle aurait pu se contenter de le tuer ou de le faire souffrir certes mais sans aller jusque là.
- elle sera prête à égorger la pauvre Dina.

Voilà. Voilà l'ordure pour laquelle on doit éprouver de l'empathie.
Druckmann, vraiment ?

Montrer et vous faire vivre la haine et toute la noirceur du monde, aussi intelligemment et courageusement pouvez-vous le faire, ne fait pas de vous des gens brillants qu'on se doit de féliciter. Faire souffrir à ce point les gens qui feront l'expérience de votre histoire, en leur assénant avec une violence inouïe toutes les horreurs possibles et imaginables sans jamais leur donner la possibilité de se battre pour quelque chose de plus humain, est grave. Et très malsain.
Faites nous vivre les plus grandes horreurs si vous voulez, faites nous observer et participer aux plus terribles actions de l'être humain, mais donner autant d'importance et de chance au reste. A ce qui est lumineux. Bon. Humain. Bouleversez-nous au plus haut point, mais donnez-nous la possibilité, à chance égale, de faire le bien autant que faire le mal. Rendez-nous la tâche infiniment difficile si vous le souhaitez vraiment, mais faites en sorte qu'on puisse se battre pour faire le Bien, pas seulement que le Mal, car, ça, c'est trop facile...

Espérons, avec la façon dont se termine ce The Last Of Us Part II, que la haine et l'immense violence du monde ne sont enfin plus tout ce qui existe, et qu'on pourra à nouveau parcourir cet univers, avec, cette fois, la possibilité se battre pour essayer de le rendre meilleur...

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le 29 déc. 2021

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Simon B.

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