C'était il y a maintenant cinq ans qu'Eiji Aonuma, producteur incontournable et émérite de la franchise Zelda, dévoila les premières images de ce qui allait devenir le jeu culte de 2017, Breath of the Wild. Ces images témoignaient un Hyrule nouveau, époustouflant en raison de la vie qui semblait imprégner son cadre bucolique ainsi que promettant une aventure trépidante au travers de paysages, descendants, vallonnées de pierres et de lointaines collines subjuguées par l'émail d'une lumière diffuse.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est, qu'à 14 ans, je n'attendais autre sortie que celle de celui-ci. Le jeu parvenait, au moyen de quelques images de synthèses et une cinématique suffisamment dynamique, à me conditionner pour les trois années à venir et l'atmosphère calme et paisible de ces terres que j'avais, par chance, déjà foulé sur ma 3DS, me procurait une sorte de nostalgie galvanisante.

Il faudra cependant attendre juin 2016 et un trailer bien plus révélateur pour commencer à délivrer le fervent adorateur de Wii U que j'étais d'une pesante impatience, d'autant plus que le dernier "grand" opus remontait à 2011, sur Wii.
Puis le jeu sortit et ce fut une acclamation totale: l’un des jeux les mieux notés de tous les temps, révolutionnaire dans sa façon de concevoir un open-world, avec ses tactiques de level-design très ingénieuses, une liberté de déplacement absolue et une taille de carte incroyable. J’allais enfin pouvoir me replonger dans le monde enchanté des Zoras, escalader les montagnes abruptes des Gorons, sentir l’herbe des plaines d’Hyrule frémir sous les sabots déchaînés de ma chère Epona…


Et Pourtant. Depuis déjà fin 2015, je ressentais quelque chose changer en moi. Il me semble que je ne recherchais plus la même finalité dans les jeux-vidéo. La PS4 me faisait découvrir des univers plus matures et réalistes que les jeux Nintendo, des histoires mieux façonnées aux personnages plus attachants. Passer d'un Mario Kart au dernier Metal Gear Solid me fit rendre compte de ce que les jeux-vidéo pouvaient me raconter, dépassant le simple divertissement.


Me voilà donc en mars 2017, débutant mon aventure sur BOTW. Sortant du Sanctuaire de la Renaissance, le titre apparût et quelques frissons parcoururent le corps frêle d'un adolescent réalisant son rêve. Mais à peine lancé dans ce monde si vaste, à peine le deuxième groupe d'ennemis rencontré, la seconde plaine ou forêt traversée que mes mains s'emparèrent de légers tremblements, que mon esprit se laissa envahir d'angoisses intempestives et que je me mis à regretter chaque action et direction que j'entreprenais. Mon désir d'aventure s'était transformé en une peur de se perdre.


En effet, BOTW est un éloge à la liberté, le plus travaillé que je n’ai jamais connu dans n’importe quelle œuvre de n’importe quel médium. Cet éloge m’a permis de sauter d’un rempart, ou d’une montagne, armé de ma paravoile et de survoler ainsi les grandes surfaces de ces contrées inexplorées. Que renferme la forêt que je surplombe ? Aurais-je dû faire le chemin à pieds ? Était-il normal que je la méprise de cette manière ? Reviendrais-je un jour sur mes pas, quitte à être déçu de sa facilité, plus adéquat pour des joueurs débutants ? J’en oubliais effectivement le désir d’aventure si fort qui m’avait tant enthousiasmé pour prendre conscience du fait que le jeu me poussait à faire des choix auxquels je n’avais pas envie d’être confronté.


D'autre part, de longs temples marqués par leur ambiance originale laissaient place à une centaine de petits sanctuaires génériques aux couleurs fades. Les masques de Majora’s Mask, autrefois tous liés à une histoire ou à un gameplay servi par une mise en scène originale, sont négligés au profit d’une chasse assommante à la noix Korogu. Cette dernière n’était d’ailleurs pas sans me rappeler la collecte ahurissante des lunes de Mario Odyssey. A quoi bon explorer si ce n’est que pour tomber sur les mêmes temples, les mêmes cinématiques et les mêmes sages oubliables ? Sans oublier ce style graphique en cel-shading qui ne m'a que très peu fasciné, un aspect lisse immaculé qui a finalement rebuté mon immersion.


De plus, je ne ressentais plus la satisfaction des récompenses proposées : malgré notre débrouillardise face à l'hostilité d'une île au large des côtes, l'ingéniosité qui nous prend pour atteindre un sanctuaire isolé ou encore les efforts employés pour battre le premier Lynel, il n’empêche qu’il n’y a plus de niveaux, plus de barrières, plus rien qui puisse réellement guider le joueur. L'absence de limite est parfois un sentiment agréable mais je ne savais plus si je devais me réjouir d’avoir passé trois heures dans une zone qui n’en demandait qu’une ou d’avoir traversé en ligne droite une forêt qui devait regorger d'événements uniques.
Cette constante remise en question donnait naissance à une sorte de vertige, un « vertige de la liberté ». On nous plonge dans un monde immense sans nous dire réellement quoi faire. Ce qui m’empêche de suivre un chemin clair, de me concentrer ne serait-ce que sur une simple quête. Je veux que mes combats aient du sens, qu’ils aient été placés à cet endroit-ci et à ce moment-là pour une bonne raison. L’impression de n’avoir rien fait me poursuivait alors constamment dans mes heures de jeu.


Sans doute me plaignez-vous. Estimez-vous que je suis habitué à un format qui m’oblige à suivre une histoire et non plus à m’en créer une, que c’est triste de ne pas se libérer de la voix d’un narrateur qui nous guide, chose que j’arrivais pourtant à faire sans plus de réflexions quelques années auparavant.
Mais le problème vient autant du « vertige » que de l’univers dans lequel on évolue.
En effet, je ne rencontre pas le même problème avec de nombreux open-worlds qui me procurent également une certaine liberté. Mais c’est parce qu’ils me font profiter de la profondeur de leur scénario et de la rigueur d’une simulation que je les apprécie : mener une vie réaliste comme dans Kingdom Come ou Read Dead 2, des quêtes secondaires scénarisées d’un Assassin’s Creed Origins ou d’un The Witcher 3. C’est ainsi, l’aventure me semblera plus utile si elle est menée dans le Far-West américain de la fin du XIXème siècle, au travers d’un assassin égyptien tourmenté par la mort de son fils, au moyen d’une quelconque impression de réalisme, plutôt que dans un univers sans référent réel et dont l’avatar ne parviendrait à exprimer, tout au plus, qu’une émotion.


En réalité, je pense qu’à trop vouloir donner un sens aux aventures que l’on mène et à l’ordre dans lequel on les effectue, on finit souvent par perdre toute cohérence dans ses actions, toute envie de se plonger dans quelque chose de nouveau, tel un idéaliste avide de sens qui n’accepte pas les aléas que propose le réel.
Ainsi, dans cet abyssal chaos hyrulien, je finissais par errer, non pas tel un héros, mais tel un vagabond sans but, n’espérant rien d’autre qu’un dialogue, une cinématique, un niveau-couloir, bref une sorte de prison scénaristique qui allait pouvoir « canaliser » ce trop-plein de liberté.


Aujourd’hui, je me dis que je ne suis tout simplement plus le cœur de cible de Nintendo, que j’ai oublié de profiter simplement d’un jeu divertissant. Mais la déception que ce changement de point de vue m’a valu pour ce qui est, peut-être, le meilleur jeu de tous les temps a définitivement enterré toutes mes espérances de me retrouver un jour à contrôler, de nouveau, le héros épéiste légendaire d’un univers manichéen et hors du commun.

Antlast1
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le 20 juil. 2019

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