C’est frustrant d’avoir entre les mains une œuvre que l’on considère comme précieuse, presque sacrée, et de sentir qu’on en a entre-temps gommé l’âpreté. Majora’s Mask, dans son essence, c’est l’un des jeux les plus étranges et les plus poignants que Nintendo ait jamais conçus. Une œuvre suspendue entre rêve et angoisse, entre boucle mécanique et tragédie humaine. Mais cette version 3DS… elle a quelque chose de lissée, d’assagie. Comme si on avait tenté de recouvrir la mélancolie par un vernis de modernité confortable.
C’est dommage, parce que tout est encore là.
Les masques, le temps qui s’effondre, les regards vides, l’astre qui tombe. Termina n’a pas perdu sa poésie noire. On sent toujours cette urgence sourde dans les gestes, ce monde habité par l’oubli, le doute, la perte. Certains dialogues sont d’une justesse presque insupportable quand on prend le temps de les lire entre les lignes. Mais tout autour, on a simplifié. Rendu plus accessible. Plus clair. Trop clair.
Les repères sont partout.
Les sauvegardes faciles, les chemins fléchés, les mécaniques rendues visibles au point de devenir fades. Ce qui faisait la beauté de l’expérience, l’exigence, le tâtonnement, cette impression d’être un intrus dans un monde qui va mourir sans nous, tout ça s’estompe. On se retrouve avec une version plus confortable, certes, mais bien moins viscérale.
J'adore qu'on puisse rendre accessible tous ce qui est possible de l'être et je ne conspue pas cette version 3DS, que j'ai bien aimé... Ceci dit, si j'avais à choisir une version encore aujourd'hui, je resterai sur l'original.
C’est un peu comme regarder un rêve à travers une vitre propre. Tout est là, mais l’émotion ne passe plus tout à fait. La nage Zora, ralentie, perd ce sentiment de liberté fragile qu’on adorait. Les boss, redessinés avec leurs gros yeux clignotants, semblent nous crier comment les battre. Même le masque de géant, si étrange, si dérangeant autrefois, devient presque ridicule, avec des mises en scènes qui perdre le côté d'inquiétantes d'étrangeté pour du grotesque. (ce que je ne pardonne pas)
Et pourtant, malgré tout ça, malgré les choix de design qui me sortent parfois complètement de l’univers, je n’arrive pas à détester cette version. Parce que Majora’s Mask reste grand. Il déborde du cadre, même abîmé. Son écriture, sa boucle, ses visages... ils me hantent toujours. Il y a quelque chose de profondément humain dans ce jeu-là, quelque chose que Nintendo n’a jamais vraiment refait ensuite. Une émotion sourde, sans jamais forcer.
Soyons honnête, le jeu de base est bien trop rude... Je préfère franchement qu'il existe aussi une version de ce type, pour que tous le monde puisse pleinement en profiter, au risque d'y perdre un peu de son essence.
Car le coeur du gameplay est toujours là.
C'est le Zelda le plus original, au partie pris le plus tranché et le plus terrifiant. Même s'il c'est adoucit avec cette version, c'est toujours le cas.
Alors oui, si on peut, on joue à l’original. Même avec ses aspérités, même avec ses limites d’époque. C’est là que Majora’s Mask vit vraiment. La version 3DS, elle, c’est un reflet. Parfois joli. Parfois fidèle.
Mais pas habité par les mêmes ténèbres.