Par François Bliss de la Boissière

L'évidence ne simposera sans doute pas sans l'avoir joué éperdument, mais passé son introduction un peu douloureuse (un chouia bavard, visuels basse définition hors dâge, première séance de vol plané pénible) ce Zelda là doit mettre tout le monde d'accord. Cette fois, contrairement au bâtard Twilight princess ni Cube ni Wii, Zelda skyward sword ne joue plus à Tolkien, au Seigneur des Anneaux de bas étages cherchant à séduire un Occident déjà égaré sur les Terres autrement plus vastes (et vides) de Morrowind, puis Oblivion. Le nouveau Link ne dépend plus que de lui-même (et un peu de l'Avatar de Cameron, allez), renoue avec sa propre histoire, remet à plat sa condition pour, encore une fois, l'élever. Le vertige, dailleurs, est concrétisé. Comme Mario parti dans les étoiles de la Galaxie se trouver une nouvelle raison d'exister, le monde de Zelda s'installe là-haut dans un Célesbourg (toutes les francisations des noms propres valent leur pesant de trouvailles sémantiques kawaii) littéralement au-dessus des nuages. A dos de Célestriers (oiseaux montures improbables), il prend ses distances, plane plus librement encore sur la mer de nuages qu'il ne surfait déjà au-dessus de l'océan de Wind waker.

Ado toujours muet, ce Link là, apprenti chevalier déclaré, n'a plus le côté gamin candide de celui du Wind waker cell shadé ou des épisodes DS. Mais il a une chambre bien à lui dans le pensionnat de l'école de chevaliers, dort sans façon dans tous les lits qu'il croise chez l'habitant, visite la salle de bain et s'assoit sur la cuvette des toilettes avant de se laver les mains. Le héros sera grand mais la route de l'apprentissage longue. Comment mieux ne pas intimider le joueur que de réduire le héros en devenir à ces petits riens qui l'humanisent. Ce qu'on appelle tutorial partout ailleurs, Nintendo le transforme en processus d'apprivoisement puis d'adoption. Le joueur semble se familiariser avec les commandes alors qu'il s'engage dans un processus affectif à travers une relation avant tout cognitive qui se tisse chaque minute, des gestes ordinaires aux grands exploits. Les petits pas non préprogrammés de Link le font ainsi chuter et rater sa cible plus qu'un jeu contemporain (au hasard : Uncharted) ne l'autoriserait. Nintendo instaure ainsi un rapport plus complexe que le simple attachement héroïque assisté entre le personnage de fiction et le joueur. Link agace en trébuchant sur une passerelle au-dessus du vide, en refusant de bien se caler devant un coffre pour l'ouvrir. Pour un peu on le giflerait comme un ami qui trahit la confiance. Mais quand il faut avancer en équilibre debout sur un rocher en roue libre ou sur une corde au-dessus du vide, le programme sait très bien compenser les limites de contrôle et de la pesanteur. Et quand vient l'heure d'abattre un colossus (l'hommage à l'oeuvre de Fumito Ueda glisse comme une citation compliment entre les dieux), ce mélange d'assistance partielle et d'hésitation oblige à la concentration, force le joueur à ne plus faire quun avec le petit corps virtuel. Avec la Wiimote (Motion) Plus qui suit, en effet, les vrais mouvements du bras pour accompagner ceux du glaive, les tremblements du joueur et du héros virtuel s'alignent, et ordonnent la fusion*. Des doigts de la manette traditionnelle jusqu'à la main libérée de la Wiimote, la relation physique, telle une contagion, grimpe désormais jusquau bras. Pas d'agitation factice Wii Fit ou de sportif Resort ici, l'enjeu, toujours, se mesure à ce qu'il met en scène pour jouer. Il n'y a pas décalage entre l'action et l'intention. Les fantasmes de l'escrime, du duel de sabre, ou du vol aérien se vivent désormais aussi en partie dans le corps et expliqueront qu'il vaudra mieux se lever au moment d'affronter un boss, de devoir lui jeter avec tout le bras les fleurs-bombes dans la gueule ouverte, de porter des coups dépée de côté, de biais, de bas en haut ou de haut en bas, avant d'achever en coup d'estoc. S'il existe une limite à cette simulation, elle se situerait dans le souvenir de la projection mentale des jeux précédents. Parce que, oui, bien que semi automatisés, les coups dépée donnés à coups de bouton A dans les précédentes aventures de Zelda ont toujours été organisés de façon à créer l'illusion mentale que le joueur accomplissait la gestuelle complète alors qu'il nen n'était rien. En effectuant pour de bon le geste aujourdhui, le même joueur ne fait qu'acter ce qu'il croyait déjà exécuter. Selon toute probabilité, un néophyte total de la série recevra en revanche ce Zelda comme les joueurs d'hier et d'avant-hier ont reçu A Link to the past ou Ocarina of time. Skyward sword porte en lui d'innombrables occasions de se dire « mais comment est-ce possible ? ».

Du village céleste où l'on se perd mille fois au-dessus des nuages, des dédales verdoyants de la forêt conduisant au Temple de la Contemplation, des mines au désert jusquau Temple de la Terre, la ligne droite nexiste pas dans le monde de Zelda. Ni plus vraiment d'espaces vides sur Terre. Seul le génie sans cesse renouvelé de l'architecture environnementale made in Nintendo a capacité à faire oublier et accepter le vieux rouage de cause à effet du levier qui ouvre un couloir qui donne accès à un coffre qui donne la clé qui défait le verrou de la porte géante derrière laquelle se cache presque immanquablement un donjon qui, lui aussi, rejoue lenchainement infernal jusqu'au boss. Entre les mains de Nintendo, le procédé vieux comme le monde interactif fait de presque chaque étape la démonstration humble d'une inventivité sans fin, d'une aptitude à la remise en scène créative. Il en ressort cet étrange mélange de familiarité rassurante, de sensation insaisissable de « déjà vu », saupoudrée au-dessus d'un espace pourtant neuf, inspiré au point daspirer irrésistiblement vers lui, jusqu'au fin fond de lui.

Chaque lever de rideau sur une région de la carte du monde ajoute une strate inédite de gameplay. Le nouvel éclairage apporte d'abord une nouvelle complexité, géographique, mécanique et conceptuelle. Ici comme nulle part ailleurs, l'intellectualisation de l'essence encore et toujours indiscernable du jeu vidéo se joue au lieu de se verbaliser. L'abstraction succède au gameplay et non linverse. Après avoir agi, joué, consommé ou consumé, l'accompli prend une perspective, un relief conceptuel que l'intellect, en retard sur les mains et laction, peine à verbaliser parce que les mots, justement, ne suffisent pas à exprimer une connaissance acquise par le geste et le touché, l'immersion topographique. En revenant à la source de l'histoire du royaume d'Hyrule avec une Zelda simplement « Dame » avant de devenir princesse, Nintendo aurait pu remettre les compteurs à zéro, alléger l'équipement, reconfigurer les bases et s'adresser à la nouvelle génération de joueurs. Au lieu de ça, la Zelda Team de Eiji Aonuma se défie elle-même, garde et absorbe tous les acquis. Et dans un pur acte de folle confiance instinctive en son savoir-faire (comment expliquer autrement de telles audaces), elle y greffe des nouvelles aptitudes, parfois même fondamentales, fait évoluer à la puissance plus les précédentes. Y compris celles, serviables, d'autres jeux prestigieux de la marque dont les spécialistes retrouveront les traces (un Link prenant feu aux fesses comme un Mario, roulant sa boule comme dans Galaxy, soufflant les poussières tel un Luigis mansion ou collectionnant et socialisant à coups de services rendus comme dans un Animal crossing...). Et rien n'est oublié du chef d'orchestre de Wind waker ou du chien loup et de l'ambiance vaguement cyber de Twilight princess. Du scarabée volant téléguidé permettant de survoler les niveaux, d'appréhender et anticiper les lieux et les mystères, les distances, les espaces et les combats avant de s'y ruer, au système de sélection des armes et accessoires en anneaux (version Wiimote des fameux menus en cercles concentriques du Secret of mana de la SuperNintendo), la refonte des commandes, du rythme daccès aux choix, modifie grandement la prise en main et les sensations. (...)

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Chro
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le 29 août 2014

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Chro

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