The Medium
6.2
The Medium

Jeu de Bloober Team et Akira Yamaoka (2021PC)

The Medium m’intriguait quelque peu avec sa jolie promesse de dualité des mondes, et ses ambitions artistiques aguicheuses. Heureusement pour mes quelques deniers, il y avait le game pass.
Contrairement à cette critique, l’intro du jeu ne vend pas la mèche et arrive à garder notre curiosité. Déjà, le contexte de jeu est original, puisque cette Pologne grise rongée par une histoire catastrophique, nous transperce directement l’âme, en nous rappelant avec justesse les délires psychologiques et nostalgiques des grands romanciers d’Europe de l’Est. Son monde élégant est soutenu par une délicieuse et étrange musique, composée notamment par le génial Yamaoka, emprunté à la saga Silent Hill le temps d’une balade dans quelques esprits torturés. Celle-ci utilise des sons qui semblent intégrer la diégèse, avec des cris, des chuchotements ou autres bruits organiques troublants. Elle casse nos envies mélodiques rassurantes, pour créer un fond atonal angoissant, parsemé d’envolées mélodiques plus classiques, formes de récompenses après de trop longs passages en enfer. De cette façon, la musique soutient brillamment le propos scénaristique et ludique du jeu, même si elle représente aussi son échafaud.
En effet, la musique nous rappelle constamment les mondes ténébreux des différents tableaux de la saga Silent Hill. Le début de l’aventure est une lente progression vers des seuils d’horreurs plutôt subtils. Mais le chemin ne nous mène malheureusement pas vers la ville mythique de la team Silent.


L'on quitte la forêt inquiétante pour rentrer dans un hôtel délabré aux rappels brutalistes fascinants.


L'intro utilisait le gameplay minimaliste et la caméra imposée pour se concentrer sur l'atmosphère et le réalisme - L’on vivra l’expérience souhaitée par les game-designers/cinéastes comme ils l'entendent - Or, ils n'entendent visiblement que d’une oreille. Le minimalisme de la réalisation et du gameplay laisse place à des jeux de pistes dignes des meilleures campagnes d'Adibou.


Dans cet hôtel désincarné, on passe le plus clair de son temps à chercher de petits éléments et autres radiophones, la tête dans le guidon et dans le fameux radar de l’enquêteur des jeux modernes. Les interactions et animations sont d’un autre âge, et l’on osait espérer un meilleur hommage aux grands survival horror de fin 90’s/début 2000, ou en tout cas autre chose que de la collecte insipide et assistée. Le gameplay ne décolle jamais et nous berce dans une triste lassitude qui annihile toute peur. Les puzzles sont accablants de bêtise et ne dépassent pas l’inventivité d’un Uncharted 4. Pourtant, nous parlons ici de la meilleure partie du gameplay, puisque dans la suite de l’Hôtel, il fallait bien nous effrayer. C’est avec son monstre et les concepts scénaristiques qui en découlent que le jeu se prend les pieds dans le tapis. Nous assistons à des phases d’infiltrations consternantes, faites d'arènes minuscules et d’une créature qui rappelle plus les Knaren de Rayman 3 que Pyramid-head. La comparaison semble d'autant plus appropriée que celui-ci nous menace constamment avec des petites saillies grotesques dignes des meilleurs ennemis de Rayman, à base de : “je vais te manger !,laisse moi t'essayer!, je vais prendre ta peau”, qui font forcément penser aux : “se rouler dans ton sang, déchirer la peau, dérouler tes intestins”, agressions humoristiques et parodiques des monstres de jeux vidéos. Dommage, son design était assez glauque mais sa voix tend vers le ridicule ; et le doublage de Troy Baker n’aide pas. Il se vautre dans un surjeu digne de performances d’acteurs qui virevoltent autours des oscars comme des papillons de nuit, en cabotinant grossièrement pour faire oublier un déficit de charisme évident. L’acteur commence d’ailleurs à nous habituer avec ce genre de performances, car celle-ci nous laisse le même goût amer (dans l’oreille) que sa mauvaise prestation dans Death Stranding. On en viendrait presque à penser qu’il ne peut finalement maîtriser qu’un seul rôle, l’homme bourru et barbu.


Malheureusement, cette mauvaise idée de faire parler le monstre et le fait d‘effacer toute possibilité d’effroi à cause du gameplay bancal, se transmet aussi dans l’écriture du titre. L’ambiance mystérieuse, qui laisse présager le pire de l'humanité, laisse place à des punchlines faciles et des pouvoirs surnaturels plus proches d’Heroes que de Silent Hill. Le jeu ne se dégonfle pas face au sommet de l’horreur devant lequel il courbe l’échine, et il essaie de marcher dans ses traces en évoquant des thèmes chocs. Avec la même légèreté et le peu d’assurance artistique qui se dégage du game design, les scénaristes réalisent toutes sortes de pirouettes pour effleurer des problèmes tels que la pédophilie, la dépression et le deuil. C’est louable d’essayer de parler de ces choses dans un jeu-vidéo, mais The Medium refuse toujours de les évoquer concrètement et de nous donner l’expérience brutale que méritent ces sujets. Il semble que le jeu s'adresse à des enfants, et cela se traduit notamment dans la caractérisation du personnage principal. Marianne est un miroir tendu au prétendu joueur. Jamais elle ne se froisse; son trouble ne s’exprime que dans de banales plaintes adolescentes; elle ne va pas en profondeur dans les thèmes du jeu puisqu’elle préfère se boucher littéralement les oreilles, ou faire des blagues sans saveurs. Elle dégage une fausse fragilité rebelle digne des séries Netflix. Ce combo entre les personnages de Life is strange et Eliot Page semble s’être téléporté dans ce décor (réussi) pour nous obstruer la vue.


Les personnages cachent un travail rigoureux d’artistes qui s’engagent corps et âme dans le titre, bien plus que les scénaristes. Les décors faits d’amalgames de chairs architecturales et des décompositions structurales font écho aux œuvres désespérées et grandioses de Szdislaw Belsinski. On aimerait presque quitter le personnage et se perdre dans ces fresques infernales, même si la grossièreté générale du titre nous saute régulièrement à la gorge avec des pouvoirs inappropriés qui cassent le mystère et des créatures grotesques et physiquement inexistantes. Ce manque de physicalité se révèle catastrophique lorsque nous devons mourir à la suite d’une énième phase (peu inspirée) de course poursuite. Dans Dead Space et Last of Us la mort sanguinolente et affreuse apporte des images troublantes que l’on souhaite éviter à tout prix. Ici, les papillons et autres monstres nous tuent dans des écrans de morts auxquels on ne porte aucune attention, avec des actions longues et dénuées de violence. Comme si la fragilité d’esprit de l'héroïne intervenait dans le processus de développement du jeu pour qu’elle ne finisse surtout pas en charpie. Cette fragilité constante rend le tout parfois abject, car refuser d’aller en profondeur avec tous les sujets évoqués dans le jeu est une façon de les utiliser comme des prétextes scénaristiques vides.


Finalement, son gamedesign en panne d’inspiration et le côté lisse du scénario ne sont pas les pires éléments du jeu. C’est la réalisation de l’idée principale qui donne le plus de peine, d’autant plus que c’était la grande promesse du jeu. 

Ainsi, cette dualité des mondes ne devient qu’un obstacle à la lisibilité, car des objets existent dans les deux mondes et peuvent avoir une importance pour l’autre monde, et vice et versa. Passer de l’un à l’autre aurait pu avoir de l'intérêt, mais le défi technique, véritable publicité mensongère du jeu, en a décidé autrement, The Medium décide arbitrairement de dérouler l’action en même temps grâce à un split screen laid. Le tout devient illisible, car on ne sait pas quel monde regarder et les indices deviennent encore plus minuscules. La possibilité de faire des expériences hors-corps peut remédier à cette illisibilité, mais l’action se révèle fort douloureuse à cause d’un timer frustrant. En cinématique l’idée est encore plus ridiculisée par les mauvais choix des caméras et l’animation douteuse des personnages. On ne sait pas vraiment quoi regarder et chaque retour dans le monde réel devient une bouffée d’air frais. Les promesses d’une dualité des mondes laissaient entrevoir des belles idées de gameplay, mais il n’en sera rien, car le jeu est absolument linéaire et frustrant. Au hasard, un Legacy of Kain, datant de 1999, possède un The Medium dans chaque bout d’os. Le résultat est tout juste tape à l'œil, et bon pour faire espérer une once d’originalité dans des trailers mensongers.


The medium est un jeu bien plus triste que son histoire. On peut y entendre les cris désespérés de quelques véritables artistes perdus dans le néant  de sa direction ludique.  Il est préférable de prendre quelques photos d’écrans en écoutant son OST, plutôt que de se baigner dans ses promesses ludo-narratives sacrifiées sur l’autel/l’hôtel de la lâcheté. 

Créée

le 4 févr. 2021

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