J’aime beaucoup l’univers de The Walking Dead. Je n’aime pas Telltale Games. Je suis de ceux qui aiment autant le comics que la série Walking Dead, pour des raisons différentes, parce que je suis également de ceux qui pensent que le format impose des changements, des adaptations, d’où le nom. Alors que je suis là, à me faire violence pour terminer le médiocre mais pas inintéressant Resident Evil 5, mon père noël Spades glisse dans ma chaussette en grosse laine rouge, un jeu vidéo ? Non. Plus que ça.

Avant de parler de The Walking Dead en tant que jeu, j’aimerais faire une petite précision sur Telltale Games. Je n’aime pas ce studio. Je comprends qu’un petit éditeur n’ait pas la même force de frappe marketing qu’un Electronic Arts ou un Ubisoft, mais la stratégie d’acheter beaucoup de licences de qualité pour en faire des jeux de qualité très moyenne, je n’aime pas ça. C’est pour cette même raison que je n’aime pas Traveller’s Tales, d’ailleurs je confonds souvent les deux studios. Mais le soucis que j’ai avec Telltale, c’est que dans cette volonté d’exploiter des propriétés intellectuelles sans jamais prendre le temps de faire un véritable bon jeu, le studio a un service de localisation parfaitement honteux en 2012. Dans le cas de The Walking Dead, sur une marque qui a à ce point le vent en poupe, ne pas proposer de sous-titres autre qu’en anglais… Non mais des sous-titres quoi ! On n’en est même pas à râler sur la qualité d’une VF, mais simplement de l’absence de sous-titres français ! Moi qui trouve que la norme devrait être l’exemple d’Uncharted où on peut changer d’audio et de sous-titres dans le menu pause, là on se prend un de ces retours dans le passé assez hallucinant. Même une Trad’ à Véro aurait fait l’affaire. Mais fort heureusement, mon Père Noël m’a offert le jeu sur PC, où la communauté a proposé des fansubs d’une qualité remarquable. Et bien sûr Telltale n’a pas autorisé cette fansub via le workshop de Steam, et s’est rangé derrière cette déclaration hallucinante : « Learn English ». Après ça, voir le jeu en Qwerty sans option de changer les touches dans le menu, ça n’étonne même plus. Voilà, avant de me lancer dans le jeu en lui-même, je tenais à parler de ça, parce que c’est une part intégrante de l’expérience d’un joueur, tout comme peut l’être un passe en ligne, et ce sont des choses trop souvent oubliées dans la critique presse.

Et donc, ce Walking Dead, de quoi ça parle ? Le titre de Telltale games nous raconte le périple de Lee, perdu au milieu de cette apocalypse zombiesque. Walking Dead ça parle des gens, ça parle de notre passé que l’on traîne avec nous comme un boulet vissé à la cheville. On y parle de nos regrets, nos pêchers… L’univers de Walking Dead, c’est notre purgatoire. Le jeu de TT parle des hommes par le prisme d’une petite fille, Clémentine. Ce symbole de pureté et d’innocence qui devient pour Lee un trésor qu’il se doit de protéger à tout prix. Qu’on se doit, de protéger à tout prix.

Car ce n’est absolument pas un jeu de zombies avec une histoire, c’est un drame qui implique le joueur dans les choix de son personnage. Brillant dans la gestion de groupe qui est au cœur de son gameplay, The Walking Dead va vous placer dans la peau de votre protagoniste, de par les relations et les rapports de pouvoir que vous allez entretenir avec les autres membres de votre groupe.

Finalement le personnage de Lee est peut être le moins bien écrit, puisqu’il entre en conflit avec notre propre identification à ce personnage. Il y aura durant l’aventure une certaine incohérence vis-à-vis de ce perso dont on ignore le passé, et qu’on va « interpréter » de notre point de vue, alors qu’il existe en tant qu’individu avec un passif et une mentalité propre. Il faut donc un peu de temps pour s’adapter à Lee, car il n’est pas qu’un avatar vide face au dictat du joueur. Une fois cet obstacle franchis, on se met à ressentir des émotions particulièrement inédites dans un jeu vidéo.

Si on compare à raison ce jeu avec le Heavy Rain de Quantic Dream, malgré la différence de budget, force est de constater que l’élève a su dépasser le maître avec talent. J’ai beaucoup aimé la proposition de David Cage, et sa transformation en drama point’n click sur le jeu de Telltale apporte encore plus de corps à cette proposition dans l’industrie vidéoludique. La presse a souvent utilisé le terme « Film dont vous êtes le héros ». Je n’étais déjà pas d’accord à l’époque d’Heavy Rain, je le suis encore moins après ce Walking Dead. Je préfère parler de ces titres portés par la narration et l’implication du joueur à l’intérieur de celle-ci, comme le genre « Drame » du médium.

Car il est vrai que Walking Dead pourrait aller plus loin dans son gameplay. La gestion de la survie est suggérée mais rarement avancée comme mécanique de jeu, le système d’énigmes typiques du « pointer cliquer » est réduit au strict minimum, et les choix que l’on fera durant l’aventure ne changeront pas l’histoire du tout au tout. Mais pourquoi ça marche alors ?

De par la justesse de sa narration, par sa mise en scène véritablement exemplaire et le travail acharné sur les animations faciales, Telltale a réussi à nous raconter une histoire de personnages. Tout au long de ces cinq épisodes, nous nous sommes attachés à ces individus de polygones. Bercé par l’envoûtante OST de J.E Johnson, j’ai traversé cette histoire totalement happé, captivé, bluffé. Parce que le jeu demeure très moyen techniquement, ses textures crayonnées ne cachant pas des sprites baveux ou les freezes durant les changements de plans ; il est donc vraiment bluffant de constater qu’à cette époque d’élitisme graphique, ces considérations s’envolent face à la puissance évocatrice de ce duo.

Car malgré cette gestion de groupe et les relations difficiles que nous devons gérer, mon histoire, ma propre aventure, s’est focalisée sur le rapport filial entre Lee & Clémentine. Je me suis senti, c’est fou, responsable de cette gamine. On n’a pas l’habitude de ça dans les jeux, c’est sûrement pour ça qu’Ico a marqué les esprits en son temps. Moi qui ai tellement l’habitude de repop, de quick save et autres routines de joueur, je me suis senti ici totalement piégé.

Piégé par le temps, par l’urgence, par la peur de pouvoir perdre cette gamine si vulnérable. Ces sensations de stress, je ne les avais jamais expérimentées dans un jeu. Oh bien sûr on nous apprend à être stressé par un compte à rebours, un scrolling automatique ou la peur qu’un pnj nous coûte un game over… Mais là, Telltale vient de m’emmener à un niveau… inégalé.

Pour vous dire, c’est la toute première fois dans un jeu vidéo que j’ai eu les larmes aux yeux et la gorge nouée. Je suis assez détaché comme public, et pour ce qui est du jeu vidéo, c’est un niveau émotionnel que je n’avais tout simplement jamais atteint. Rien que pour ça, merci Telltale de m’avoir montré que c’était possible dans ce médium qu’on dit trop souvent destiné aux enfants amateurs de violence gratuite.

Je ne sais pas quelle fut votre aventure, quel membre avez-vous perdu, comment… Et curieusement, je ne veux pas le savoir. Je ne ressens par le besoin de tester les limites des choix qui s’offraient à moi durant l’histoire. J’ai eu cette histoire, pas une autre, et je n’en veux pas une autre. Peut être aurais-je pu me comporter d’une autre manière, protéger telle personne plutôt qu’une autre… Et là je réalise que je raisonne exactement comme Lee, que Telltale vient de briser le 4ème mur pour me faire réagir exactement comme un membre de ce groupe… Brillantissime.

Je tiens également à souligner l’excellente commercialisation du titre. Je pense à titre personnel que ce business model doit être amené à se réitérer sur la prochaine génération. Alors qu’on entend chaque semaine les éditeurs craindre la disparition des jeux triple A face aux coûts qui explosent et la fenêtre de lancement toujours plus réduite, Telltale a eu l’intelligence, et la nécessité financière aussi, de commercialiser son jeu comme une série télé. Et ça ne passe pas que par une découpage en chapitres avec un « previously on », non, c’est aussi dans ce système de diffusion étendue sur plusieurs mois, d’abord en dématérialisé, puis enfin la sortie en premium de la saison complète. D’un côté ça permet de se lancer sur des budgets plus réduits avant de lancer la production de toute la saison si les pilotes rencontrent le public, et puis ça étale la visibilité du jeu sur plusieurs mois, chose importante pour le petit qui n’a pas la puissance marketing d’un Ubisoft.



The Walking Dead fera donc partie des jeux marquants dans mon expérience de joueurs. Un argument de plus en faveur du genre Drame qui montre ici qu’Heavy Rain n’a fait qu’ouvrir la porte. Un argument de plus pour une caméra mise en scène, bien plus porteuse de sens qu’une caméra mobile fixée la plupart du temps sur le cul de notre personnage. Un argument de plus pour la distribution épisodique, plus marquante et agréable que les battages médiatiques indigestes qui nous polluent pendant un mois. Merci à mon père noël Spades pour m’avoir fait découvrir un des Grands Titres de cette génération. Et Merci à Telltale qui a su conquérir un de ses plus fervents détracteurs. Que ce fut bien.
Anfalmyr
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le 3 janv. 2013

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