The Witcher
7.4
The Witcher

Jeu de CD Projekt et Atari, Inc. (2007PC)

Le Baldur’s Gate polonais !


Fin 2007, faisant fi de mes préjugés ("Des Polaks et l’Aurora Engine ?! Je ne miserai pas un kopeck là-dessus !"), intrigué par la superbe cinématique d’introduction et quelques images, je découvrais le travail d’orfèvre d’un studio qui nous livrait un univers de fantasy gothique renversant (et pour mon bonheur sous un Aurora Engine largement modifié).
L’esthétisme et l’histoire du jeu transpirait l’Europe de l’Est avec une subtile alchimie de cynisme et de noirceur, de féérie douce-amère et désenchantée, le tout saupoudré d’érotisme et de petites touches d’humour bien salées. Un parfum complexe et délicat sentant bon le slave et ses mythes qui m’a complètement envoûté.
Le titre proposait en prime d’incarner un héros « badass » à souhait et s’attaquait avec brio à des thèmes que l’on avait jusque-là rarement vus dans les genres de la fantasy et du RPG (ou du moins jamais aussi bien abordés). Des thèmes comme l’intolérance, le racisme, l’exclusion, le fanatisme ou la nature du monstre. Tout ça en nous épargnant la morale conformiste et bien-pensante et les sempiternels points de vue manichéens.
J’ai bien sûr découvert par la suite que tout cet univers, avec ses grands thèmes et son héros, découlaient des romans de Sapkowski (lequel ne misera pas non plus un zloty sur ses compatriotes de CD Projekt).


1. CD Projekt Red ou comment faire du sublime avec peu !


Je n’étais jusqu’alors pas un inconditionnel des RPG solo sous un moteur 3D. L’Aurora Engine y était d’ailleurs pour beaucoup car je trouvais laid tout ce qui avait été produit sous ce moteur (en comparaison de son prédécesseur l’Infinity Engine) et à mes yeux un jeu vidéo reste, avant tout autre chose, une expérience visuelle.
Avec The Witcher, j’en découvrais enfin un qui bénéficiait d’un univers visuel dans lequel j’avais envie de me plonger :
Village sous les brumes du petit matin, champs de blé sous un soleil radieux, ciels crépusculaires, eaux bercées par les reflets d’une lune où vient se baigner une certaine nymphe,… (À cet égard, le chapitre IV est un bijou !)
Et d’autres lieux plus sombres et malfamés : Wyzima et ses maisons à colombages, ses rues crasseuses, ses criminels et ses prostituées. Egouts et marais fumants avec leurs horreurs, cryptes infestées de séduisantes brouxes,…
La musique, avec ses voix féminines ensorcelantes et ses sonorités mystérieuses finissait d’achever cette plongée dans une atmosphère envoûtante qui mariait le merveilleux et le lugubre comme jamais.
À ce propos, je vous invite à jeter un œil aux illustrations préparatoires, vous ne serez pas déçus ! Du romantisme allemand à l’impressionnisme, l’essence picturale de ces courants artistiques va se refléter dans le jeu. Le plus impressionnant, c’est que les développeurs ont su la retranscrire avec des moyens limités et qui plus est sur cet infâme moteur de jeu.
Je peux concevoir qu’un joueur qui s’y essaierait aujourd’hui (surtout après les suites) trouverait que ce premier jeu a pris un sacré coup de vieux. Graphiquement (et sur bien d’autres aspects), il n’y a rien de plus vrai. Mais il ne faut jamais oublier que l’aspect artistique (et mon jugement) ne se résume pas à de la simple définition 3D.
D’ailleurs, cette beauté et cette cohérence esthétique se reflètera jusque dans les détails : du mode méditation (avec sa roue du temps), en passant par les différents menus du journal, jusqu’à l’aspect de l’arbre des talents. Je trouve le tout bien plus joli et plaisant que ce qu’ils deviendront dans les suites (surtout quand on pense à l’aspect « militaire » de l’arbre des talents du 3, par exemple).
Le seul vrai reproche justifié que l’on pouvait faire à l’époque, portait sur des modèles de personnages secondaires redondants, en mode « clonage ». Un aspect qui fut grandement amélioré lors de la sortie de la version « enhanced », un an plus tard.


2. The Witcher et le jeu de rôle vidéo-ludique !


Dans The Witcher nous n’avons pas le choix du rôle. Peut-on vraiment encore parler de jeu de rôle ? Heureusement que Geralt (malgré un nom qui ne fait pas forcément rêver) possède un charisme imparable !
Mais pour The Witcher, ce qualificatif pourrait encore se justifier par l’impact de nos choix sur l’aventure. Avec des conséquences plus fortes que ce qui nous était proposé quelques années en arrière, en évitant de surcroît le manichéisme propre au genre.
Il est aussi intéressant de constater que le Mass Effect de BioWare, sorti à la même période, proposera une expérience relativement similaire sur ses différents aspects RPG.
Notamment, les deux titres proposeront pour leur environnent 3D, un gameplay de combat qui ne sera pas entièrement basé sur un système de « jeux de rôle papier » mais qui reposera beaucoup plus sur une certaine habileté manuelle à la souris (Un concept que l’on retrouvait déjà dans Deux Ex).
Si Mass Effect reprend pour son univers de SF, les principes accessibles d’un « third-person shooter », je dois bien avouer que le gameplay des affrontements à l’épée dans ce premier Witcher est quelque peu déroutant avec un système qui repose notamment sur un bon timing pour l’enchainement des attaques.
L’un des aspects qui ne m’a jamais fait accrocher aux Elder Scrolls à l’époque (malgré un environnement 3D plutôt réussi pour le coup), c’était mon mauvais ressenti avec les combats à l’épée en vue subjective.
Ici, combinés avec un système d’alchimie efficace, les affrontements de The Witcher me procuraient enfin un plaisir ludique et visuel satisfaisant pour ce type de gameplay dans un environnement 3D, tout en conservant une vue objective. Et puis pour moi, c’était surtout autre chose que la transposition du système D20 de D&D3 sous l’Aurora Engine (et il en aura pris pour son grade celui-là).


3. « La tyrannie du Bien » abattue par Le Moindre Mal !


Comme je l’explique dans ma critique de Baldur’s Gate, ce que je pouvais reprocher à bon nombre de RPG de fantasy (et Donjons et Dragons en particulier) c’était l’impossibilité de jouer les méchants sans que ça soit contraignant et désavantageux pour notre pomme. D’ailleurs, BioWare avait déjà amorcé la disparition de cette contrainte au travers de son Star Wars: Knights of the Old Republic puis poursuivra avec Mass Effect et Dragon Age, où l’on pourra enfin y jouer les salauds sans pénalité.
Mais incarner un personnage un peu plus nuancé dans ses possibilités de choix, que juste « Bon » ou « Mauvais », est la grande force de The Witcher. Et la grande force des développeurs, c’est d’avoir su transposer le traitement des grands thèmes chers à Sapkowski où la notion philosophique de « moindre mal » est la pierre angulaire. Un choix pourra ainsi paraitre bon selon son propre code de valeurs et avoir des conséquences négatives pour d’autres et vice-versa. Tout est une question de point de vue. Il faudra choisir son camp. Ne pas choisir et rester neutre, c’est conserver son intégrité morale mais c’est aussi le risque de se mettre tout le monde à dos…


Dès l’acte 1 du jeu, je me souviens que « le cas de la sorcière » m’a frappé dès que l’on découvre le vernis qui cache les motivations des uns et des autres. Tout en tenant compte des préjugés que l’on pouvait soi-même avoir en tant que joueur sur l’archétype d’une sorcière…
Cela se ressentira surtout sur les alliances que l’on pourra forger avec les deux grandes factions du jeu. On pourrait-être naturellement sensible au combat légitime d’un groupe avant de découvrir qu’ils sont peut-être tout autant fanatisés que les « monstres » qu’ils combattent…


Ici, « la voie de la neutralité » semble être celle la plus en accord avec les écrits de Sapkowski (et avec celle du Geralt des livres) mais c’est peut-être aussi la moins évidente et la plus difficile à suivre pour une première partie.


En tout cas, cette fantasy polonaise a ça de fascinant qu’elle aborde avec brio certains sujets sérieux que je citais en introduction, en plus de nous transporter dans une Pologne médiévale imaginaire et de nous faire découvrir certaines bribes d’une culture et d’une histoire, de sa forme de pensée et de ses mythes.
C’est autre chose que le traitement grossier de cet univers - tant artistiquement que thématiquement - par Netflix et son obsession idéologique moderniste (pour rester très poli). Ils feraient bien de relire Le Moindre Mal, tient !


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Mon point de vue sur les suites !


Elles reprennent, bien entendu, tous les grands thèmes qui font la force des romans tout en explorant parfois plus en profondeur (et avec même plus de subtilité) cette notion de « moindre mal » par rapport au premier jeu.


The Witcher 2 : Assassins of Kings (2011)


Witcher is coming... back !
D’entrée de jeu, le principal reproche que je pourrais faire à cet opus, c’est de perdre beaucoup de la féerie et du charme qui caractérisait le premier. L’univers y est plus cru, plus réaliste (adieu les cartes érotiques, bonjour les scènes de sexes explicites, par exemple). J’y ressens aussi moins l’odeur de l’Europe de l’Est avec la représentation d’un univers médiéval fantastique plus proche de nous, européens de l’Ouest. Néanmoins, ce second volet ne fait pas l’impasse sur certains lieux magnifiques comme par exemple, les bains elfiques ou la forêt et ses jeux de lumière sublimes dans l’Acte 1 (trouvez-moi une forêt aussi belle dans le 3, tient !). Mais The Witcher 2, c’est surtout un super « action-RPG », linéaire comme le premier (et même plus cloisonné que le premier) mais maitrisé de bout en bout avec une mise en scène efficace. Il nous propose, entre autre, un véritable défi au travers de son Dark Mode (que pourrait apprécier les amateurs des Dark Souls) avec un gameplay qui repose encore plus sur l’habileté manuelle au clavier/souris par rapport à son prédécesseur. Mais The Witcher 2, c’est avant tout, une aventure haletante et sans temps morts, qui se payera même le luxe d’un Acte 2 totalement différent en fonction de votre choix à la fin du premier Acte. Son excellent scénario fait de complots politiques rappellera même un peu Game of Thrones par moment (pour l’anecdote : le jeu était sorti durant la première saison de la série et je vous laisse donc imaginez ce que l’alternance des deux m’a procuré à l’époque).


The Witcher 3 : Wild Hunt (2015)


Le Retour du Roi !
Encensé ! Adulé ! Révéré ! Plus grand, plus fort mais… plus bancal !
Et c’est celui que je préfère le moins au risque de choquer de nombreux fans. Il est incontestablement le plus copieux des trois, mais à mes yeux, il a les défauts de sa qualité première : son « monde ouvert ».
Sa quête principale est surtout noyée par tout le reste avec environ 80% de l’exploration et du contenu du jeu qui peut être effectué sans faire avancer celle-ci d’un pouce (avec un Acte 1 qui peut être ainsi démesurément long, là où les quêtes secondaires de TW et TW2 venaient presque toujours compléter et enrichir l’histoire qui nous était racontée). Mais pire, si on s’y risque trop (dès la fin de l’Acte 1 et l’Ile des Brumes), l’enchainement des évènements nous entrainera dans une irrémédiable course vers le dénouement. Certes, il y a bien un message d’avertissement et il est tout à fait possible de reprendre les quêtes secondaires ou l’exploration après ce point mais je ne trouve pas ça très cohérent du point de vue de la narration et de son rythme. (À ce propos, je vous invite à lire ma critique sur Baldur’s Gate où j’y explique en détails que BG2 souffrait exactement du même problème et sans « monde ouvert » pour le coup, là où BG parait habillement la chose pour son propre monde. En outre, TW3 et BG2 partage selon moi beaucoup de points et de défauts communs).
Mon autre grande critique porte sur ses combats. Si les affrontements contre les humains sont grisants à souhait, ceux contre « les boss » font très pâles figures, même dans le mode de difficulté le plus élevé, par rapport à ceux de TW2 et de son Dark Mode. Fort heureusement, l’excellente extension Heart of Stone redressera la barre sur ce point en nous proposant un peu plus de challenge (et la scène du mariage dans cette extension est aussi mon plus gros fou rire dans un jeu).
Sinon, il y a aussi tout ce ramassage à profusion qui ne sert parfois pas à grand-chose (les épées reliques, entre autre). Les sens de sorceleur et la surbrillance ou le balisage des objectifs sur une carte en mode GPS cassent également l’immersion ainsi que le rythme et le plaisir de l’exploration. Et si vous comptiez vous en passer, on ne vous donnera malheureusement pas suffisamment d’informations, de repères ou d’indices (typographique, visuels, auditifs,…) pour rendre la chose agréable, intuitive ou logique. Et j’aurais apprécié un gameplay « enquête/investigation » plus poussé en ce sens…
Les défauts de TW3 sont donc en grande partie des défauts propres au « monde ouvert » et à un gameplay associé, tels que l’on a l’habitude de les concevoir depuis un moment. Et paradoxalement, la plus grande force de TW3 repose donc aussi sur ce « monde ouvert » gargantuesque aux panoramas sublimes et aux étendues que l’on se plait à parcourir à cheval et qui procurent un souffle épique à l’aventure comme le ferait un bon western.
Et TW3 reste excellent sur bien des aspects qui avaient déjà fait la force des deux premiers, avec des moments et des ambiances inoubliables et bien trop nombreux pour être cités. Mais tout ce qui est réussi dans le jeu, tout le monde le sait déjà de toute façon et il serait fort hypocrite et totalement injuste de ma part de nier le bon plaisir qu’il m’a procuré ! Heart of Stone est excellent et Blood and Wine est dans la même veine.


Cependant, le premier volet, par l’atmosphère incomparable qu’il dégage et pour son « coup de poing » au genre au moment de sa sortie, restera à mes yeux le véritable joyau de CD Projekt. Et bien des années après, c’est toujours lui que je préfère !

Altharil
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le 5 oct. 2021

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