Transistor
7.2
Transistor

Jeu de Supergiant Games (2014PC)

Cloudbank est un simulacre de société. Ville fluorescente futuriste hyperconnectée qui s’adapte au bon désir de sa population (la météo du jour est dictée par un sondage public), elle est l’effigie du techno-mondain. Paradis artificiel, œuvre trop carrée pour être honnête, la cité contrefaite de Transistor brasse les influences dans un mensonge charmant. Place d’art et de culture aux relents architecturaux vénitiens et habitée par l’intellect des Lumières – la touche pop-jazzy des flashs en plus – Cloudbank est resplendissante. Peu importe que le ciel ne soit qu’une toile vierge sur laquelle viennent s’appliquer les désirs colorés des citoyens. Le ton est modestement acidulé, fluorescent sans être tape à l’œil. Les teintes luminescentes se fondent harmonieusement dans les bâtisses de pierres polies, aux pieds desquelles se déroulent d’innombrables tapis rouges jusqu’aux quais donnant sur l’horizon azuréen. Il fait bon vivre à Cloudbank. Jusqu’à ce que le Process s’invite et joue sa danse macabre.

Il est à la fois l’ombre et le cancer de Cloudbank. Matérialisé sous la forme de robots artefacts et autres cyborgs humanoïdes qui constitueront les antagonistes, le Process est le vice caché de cette utopie. Il constitue la base mathématique qui permet de redessiner le monde ; qui a fait naitre Cloudbank en premier lieu. Programmé pour rester dans les coulisses, exécutant docilement les tâches qui lui sont incombées, le Process est propulsé sur le devant de la scène par la mafia locale. Habité par une volonté propre, il se met à coloniser Cloudbank. Dès lors deux univers entrent en conflit, celui de la rigueur machinale et de la neutralité éthérée, contre celui du brouhaha créatif et de la prise de risque artistique. Transistor narre de façon habile cette rencontre agressive entre l’obsession rationnelle et l’extravagance des sentiments. Les paysages altérés par le Process croisent un blanc inquiétant, vicié par les miasmes qui l’entourent, et la gloire passée d’une cité que l’on devine autrefois pleine de vie. Le Process infeste et s’immisce partout dans sa quête totalitaire de neutralité. Paradoxalement, le rendu visuel est on ne peut plus anarchique.

Dans cette apocalypse techno-urbaine, Red émerge en quête de réponses. Chanteuse à succès flamboyante, on l’agresse un soir de représentation. L’arme du crime, le Transistor, fait une victime : son amant. Ce dernier, dépouillé de son corps, se réincarne dans le Transistor. Red, privé de sa voix par ses assaillants, empoigne l’arme et se laisse guider par les errances vocales de son compagnon matériel. Sophistiquée, glamour, amoureuse, Red représente l’âme de Cloudbank. Elle en est à la fois le produit, l’ambassadrice et l’héroïne. La soudaineté des événements et sa brusque prise de pouvoir la condamnent cependant à l’hésitation. Laquelle se répercutera sur le joueur.

Catapulté dans le feu de l’action d’une cité en proie à la panique, il est difficile d’appréhender Transistor tant son gameplay n’est pas conventionnel. Vrai-faux jeu d’action parfois rigide, le titre de Supergiant Games mise surtout sur l’intellect de son interlocuteur qui doit constituer des builds d’aptitudes cohérents. Une fois en situation de combat, il s’agira de suspendre le temps, puis de calculer chacun de ses mouvements pour optimiser les dégâts qui s’effectueront en un clin d’œil une fois le temps rétabli. Comme si Cloudbank foudroyait les insectes qui l’incommodent.

Véritable lutte effrénée d’une ville rêveuse contre l’aliénation cartésienne, Transistor donne à voir l’affrontement persistant entre les deux faces d’une même pièce, celle de la psyché humaine. La narration nébuleuse, organisée en particules d’informations jointes timidement par le liant vaporeux qu’est Cloudbank, s’accorde avec la distorsion invasive du Process. Transistor est une métaphore filée tendre et onctueuse d’un dilemme millénaire.
DocElincia
8
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le 4 juin 2014

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