Two Point Museum
7.8
Two Point Museum

Jeu de Two Point Studios et SEGA (2025PC)

Je ne donnais pas cher de la série Two Point à l'époque du premier épisode, Hospital, sorti en 2018, qui commettait un crime de lèse-majesté impardonnable pour un jeu de gestion : il était absurdement facile. Répétitif, aussi, avec une boucle de gameplay beaucoup trop simpliste qui gommait tout plaisir de jeu passées les premières heures de découverte, quand on comprenait qu'on se retrouverait à bégayer les mêmes trois pauvres actions en boucle, sans réfléchir, pour lentement faire monter, presque à la façon d'un idle game, les taquets de réussite des différentes cartes. Alors, bien sûr, Two Point Hospital était quand même rigolo, bourré d'animations amusantes et de maladies farfelues, qui réussissaient en ce sens à cligner de l'œil au grand frère Theme Hospital (inspiration évidemment avouée par ses développeurs) ; mais le fait qu'on s'y emmerdait aussi sec ne permettait pas vraiment d'envisager un avenir radieux pour ce qui voulait alors devenir une référence du genre, particulièrement sur PC, où les jeux de gestion sur le même thème pullulaient déjà (au hasard, Project Hospital, mais on pouvait aussi bien sortir de l'univers des hôpitaux pour tâter d'expériences autrement intéressantes).


Quelques années plus tard survint pourtant Campus, qui commençait à aller dans la bonne direction, avec un gameplay plus varié à défaut d'être réellement plus difficile. En gérant notre université, ses dortoirs, ses matières et ses emplois du temps, on jonglait déjà avec un peu plus de paramètres que Hospital, en allait plus loin que la simple décoration en boucle de salles pourtant rapidement toutes identiques les unes aux autres. L'argent rentrait un peu moins facilement, et il fallait, sinon se creuser la tête, au moins commencer à appréhender des systèmes en priorisant un minimum et en trouvant un équilibre entre l'esthétique de nos bâtiments, la performance de nos intervenants et la variété des matières prises en charge. En reprenant le squelette d'UI et de jouabilité de Hospital, Campus fût nettement plus fréquentable en ajoutant aux quelques forces de son aîné des bases de gameplay plus solides, plus originales et plus variées. Et si Museum est (enfin) si réussi, c'est finalement qu'il suit la courbe d'amélioration de la série en reprenant toutes les qualités de ses prédécesseurs tout en poursuivant son enrichissement mécanique, au point qu'il s'agit du premier Two Point réellement recommandable et même aux vieux briscards du genre. Entendons-nous bien, ceux-ci n'y trouveront toujours pas un défi à même de satisfaire leurs compétences acquises sur d'autres jeux plus classiques ; mais ils auront quand même toutes les chances d'être enfin pleinement satisfaits par un gameplay varié, cohérent, qui s'échappe des martingales simplistes de ses prédécesseurs pour tutoyer une forme de richesse conceptuelle depuis longtemps appelée de nos vœux. C'est donc toujours relax, toujours léger, toujours tourné vers une forme de drôlerie et de détente sans prise de tête... mais, désormais, soutenu par des fondamentaux solides qui permettent vraiment de s'amuser sur le long terme.


La première réussite de Two Point Museum est déjà son... thème, ce qui fait du bien pour une série inspirée d'une licence éponyme. Avec Campus, on commençait à flirter avec une originalité intéressante, mais Museum trouve plus franchement une forme d'osmose entre son sujet et son core gameplay. Pour une série qui a fait ses armes sur la personnalisation, les animations marrantes et la création libre, Two Point trouve en Museum un aboutissement logique de sa formule, qui laisse enfin s'exprimer un game design pleinement, et naturellement, en phase avec l'univers des musées. C'est comme si les options de construction, de décoration, comme si la foule d'animations marrantes invitant à la contemplation des précédents jeux trouvaient pour la première fois leur sens profond dans l'expérience proposée par Museum. Comme nos visiteurs, on se retrouve ainsi à observer nos bâtiments, autant que nos expositions, avec l'émerveillement d'un enfant, quand se déploient sous nos yeux des plantes étranges, des fossiles farfelus et autres artefacts venus d'ailleurs, dont on apprend à décoder les étranges propriétés comme un scientifique découvrant un univers inconnu. Rien de très sérieux là-dedans, au contraire même, mais le fait d'envoyer nos employés dans de lointaines expéditions, de les faire revenir avec des trucs étranges qu'on expose entre quatre murs pour l'émerveillement des visiteurs (autant que le nôtre) donne envie de creuser ce qui est enfin une forme de complexité thématique vraiment stimulante. Comme les autres jeux Two Point, Museum multiplie les cartes et les environnements, mais il parvient d'autant mieux à esquiver le sentiment de redondance que les différents univers qu'il nous invite à explorer (archéologie, botanique, paranormal...) proposent chacun leurs petits twists de gameplay, parfois très intéressants, à l'image de ces mystérieux artefacts spatiaux qui demandent une certaine stratégie, autant qu'un certain sens de l'observation, dans leur disposition pour dévoiler leurs secrets.


Une nouveauté de Museum réside aussi dans les synergies proposées par les différents univers, qui interagissent vraiment entre eux au lieu d'être bêtement cloisonnés comme les maladies d'Hospital. Si le mode Carrière, très long (pour ne pas dire interminable) comme ses prédécesseurs, nous demande d'abord de nous familiariser avec chaque univers individuellement, les enchâssements qu'on est peu à peu amené à réaliser entre archéologie, botanique, espace, paranormal ou encore science demandent de faire des choix intéressants. Que ce soit en termes d'exploration (les régions à visiter sont innombrables, pour des contreparties grandissantes), de placement (beaucoup de spécimens dévoilent leur plein potentiel d'attraction quand disposés en certains groupes qu'on découvre par l'expérimentation) ou de gestion de l'espace pur (la surface constructible, comme les autres Two Point, augmente progressivement mais à des conditions assez strictes), la création du musée parfait se mérite et demandera de dorloter son établissement pendant longtemps. Et si les habituelles options de décoration répondent présent pour proposer à nos spécimens des écrins à la hauteur, de nombreux paramètres complémentaires liés ou non à l'univers des musées empêchent plutôt bien la routine de s'installer. Nos visiteurs répondent ainsi aux besoins classiques de faim, soif et esthétique, mais seront aussi sensibles au buzz, au savoir et aux logiques de cheminement, qui demandent de faire des calculs nouveaux et plutôt stimulants pour le genre : la conception de visites guidées aux parcours cohérents, les moyens mis dans la recherche de reliques de grades supérieurs, le sacrifice de certaines d'entre elles pour enrichir l'information dispensée aux visiteurs, jusqu'aux enjeux de conservation et de sécurité à travers la possibilité de former les employés à de très nombreuses spécialités... tout cela fait qu'il est concrètement impossible de s'emmerder, et on pourra même, en cas de priorisation un peu hasardeuse de ces différents chantiers, se retrouver avec une trésorerie dans le rouge (pour pas longtemps, certes, mais c'est quand même une première dans la série).


En vrac, Museum va ainsi nous demander de gérer l'attractivité, la propreté, le buzz, la cohérence des parcours et de la décoration, la sécurité, en nous laissant la chiée habituelle d'options de personnalisation pour construire et maintenir un musée doté de la forme et de la logique d'organisation dont on a envie, ce qui serait déjà chouette et plus stimulant que pour un campus ou un hôpital à possibilités égales. Mais voilà, cet opus en particulier va plus loin, en enrichissant ces aspects existants de davantage de possibilités, tout en ajoutant de nouveaux paramètres pertinents, très en phase avec le champ lexical muséal. Si c'est par le concept d'expédition qu'arrivent la plupart des nouveautés les plus enthousiasmantes (fouille de spécimens rares, choix des régions à explorer, formation d'équipes de choc pour franchir les obstacles les plus reculés...), c'est vraiment l'ensemble qui fonctionne de façon très harmonieuse malgré un empilement de mécaniques qui peut parfois sembler fragile, entre la gestion des maladies rares du personnel, les risques de vol pouvant être contrés par des installations diverses (booths d'agents fixes, caméras de sécurité à large vision mais plus coûteuses...), la construction de projets scientifiques demandant de partir récolter des ressources dans de dangereuses cavernes, les projets interactifs à destination des plus petits pour éviter qu'ils ne s'endorment devant les panneaux d'information, ou encore les exigences de conservation des différents spécimens qui pourront présenter des conditions de température ou d'humidité spécifiques augmentant la complexité de ce qui prend parfois des allures de partie de Tetris immobilier. On se grattera ponctuellement la tête quand certaines expéditions, pour pouvoir être menées à bien, demanderont d'utiliser directement des spécimens sur d'autres spécimens, à l'image de ces espèces de composteurs venus d'ailleurs qu'on nourrira de végétaux exotiques, pour nous donner de quoi fabriquer des tenues spéciales permettant explorer les zones de jungle sans se faire croquer par des plantes carnivores. Oui, ça part parfois un peu en sucette ; mais c'est ce qu'on voulait, finalement, après deux épisodes trop hésitants à taper dans un minimum de complexité.


Ainsi Two Point Museum s'épanouira-t-il dans le mode qui lui semble enfin pleinement destiné : le bac à sable, où on construit librement et sans prise de tête. On est content de le prendre en main, même après avoir passé les dizaines d'heures dans son mode Carrière (!) nécessaires pour en déverrouiller les différents systèmes. Le fait de se fixer nos propres objectifs après avoir assimilé les très nombreuses couches de gameplay progressivement introduites dans la campagne donne, pour la première fois dans un Two Point, un délicieux vertige. On sait bien que ce ne sera pas forcément très difficile, que la "victoire" (si tant est que le terme soit approprié) sera davantage une question de temps que de tactique ; mais c'est davantage l'étendue des possibles, l'aspect presque cornélien des innombrables choix s'offrant à nous (de spécialités, de synergies, de parcours des visiteurs, de compromis entre qualité et quantité...), en arrivant sur une carte vierge, qui ne pourront que rendre chaque partie unique. On y est toujours à la cool, mais le plaisir de la contemplation de notre musée, adossé aux petites actions qu'on enchaîne sans arrêt dans un flux maîtrisé et agréable, rendent chaque partie à la fois hypnotique, chronophage et (peut-être le plus important :) différente des autres. Des compliments qui ne s'étaient jamais appliqués jusqu'ici à un jeu Two Point, et qui prouvent que ses développeurs ont bien fait de persévérer ; et ses détracteurs, de faire preuve de patience en attendant qu'une formule désormais vieille de 7 ans arrive ici à maturation. Pour goûter enfin à un jeu de gestion amusant, profond et marrant comme tout à regarder, tout en profitant des solides acquis de la série en termes de qualités de finition et de prise en main, n'allez donc pas plus loin et succombez sans honte à Two Point Museum, premier véritable aboutissement d'une série qui devrait, si tout va bien, devenir figure d'autorité dans le genre après de trop longues années à se chercher.

boulingrin87
8
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le 24 juil. 2025

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Seb C.

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