Year Walk
7.3
Year Walk

Jeu de Simogo (2013PC)

À sa sortie sur iOS en 2013, Year Walk était un titre pour le moins remarquable. Le paysage vidéoludique de l'iOS à l'époque était en grande partie constitué de jeux de puzzle colorés. De ce fait, un jeu d'horreur et d'énigme à la direction artistique radicale avait vraiment de quoi déconcerter. Néanmoins, en 2014, Year Walk sortit sur PC, milieu où les jeux d'horreur et les fictions narratives sont bien plus nombreux. Une expérience de jeu étant indissociable de son support de manipulation et fortement influencée par le contexte, Year Walk possède-t-il toujours un intérêt quand on y joue sur PC aujourd'hui ?


Le bon jeu sur le mauvais support


Ce qui frappe d'emblée quand on découvre les paysages enneigés de Year Walk, c'est sa beauté macabre. Sa capacité à évoquer la tristesse des villages abandonnés d'Europe grâce à une direction artistique presque intemporelle. Les dessins à la fois enfantins dans leur trait et leurs couleurs, et terriblement sombres et mélancoliques dans leurs compositions envoûtent le joueur. La lumière vacillante de l'image évoque les films du siècle dernier quand la composition visuelle renvoie plus à un livre animé pour enfant. Ce mélange subtil entre le glauque et l'enfantin, entre les détails d'un autre âge et les capacités techniques actuelles produit une étrange inquiétude. Un sentiment à mi-chemin entre l'inconfort et l'émerveillement. On comprend aisément pourquoi le jeu a été nommé dans la catégorie Excellence en Arts Visuels à l'Independant Games Festival.


Un univers graphique remarquable est une chose, encore faut-il que le joueur puisse le parcourir, voire tout simplement y naviguer dès lors que le jeu se veut être une expérience d'exploration ponctuée d’errements. Résultat de compromis techniques mûrement réfléchis, on navigue dans un espace en 2 dimensions. Le joueur voit le paysage à travers les yeux de son personnage, mais il ne peut se déplacer que de manière latérale sur un long tableau. On peut bien sûr avancer en avant ou en arrière pour accéder à un autre tableau à des points d'embranchement, ce qui donne à la structure une allure de labyrinthe. Sur sa tablette ou son téléphone, le joueur tourne métaphoriquement les pages virtuelles de son livre animé glauque, qui retranscrit la recette du jeu d'horreur et d'exploration à la première personne. Sur PC, ce mode de navigation fait moins effet. Devant un écran beaucoup plus large, posé et coupé du monde extérieur, le joueur ne s'attend pas à jouer à un livre interactif qui singe un jeu d'aventure. Il veut un jeu aventure. En ce sens, le déplacement latéral nuit à l'immersion. Un mode de contrôle traditionnel avec un changement significatif des environnements pour qu'ils soient en 3 dimensions aurait été bien mieux. En l'état, on ne se sent jamais perdu, jamais totalement démuni ou profondément dérangé d'arpenter le labyrinthe enneigé de Year Walk. En un mot comme en cent, le portage tel quel de Year Walk fait pâle figure sur PC. La prouesse technique et ludique sur iOS n'est plus qu'une lacune sur un support aux capacités, aux contrôles et aux attentes bien plus complexes.


On se surprend donc à se répéter constamment que le jeu n'a pas été pensé pour PC pour expliquer ses faiblesses. Le jeu de Simogo est pourtant rempli d'une myriade de petites idées astucieuses comme le fil conducteur de l'aventure, son jump-scare préparé avec brio ou sa double fin. Cependant, un jeu ne résume pas à une somme de bonnes petites idées. Il faut que le joueur fasse quelque chose d'intéressant pour que le voyage vaille le détour. Or, on se contente dans Year Walk la majorité du temps de voir des symboles ou des patterns pour les reproduire plus tard à des endroits clés du jeu. Cela ne demande pas de réflexion ni d'une bonne mémoire. On recrache juste bêtement ce qu'on a vu auparavant pour avancer. Cette faiblesse ludique en revanche, rien ne l'excuse ou la justifie.


Le jeu vidéo comme vecteur culturel


Misère ! À ce stade de la lecture, vous devez vous dire que Year Walk n'est qu'une belle coquille vide. Un jeu sans intérêt ludique, tout juste beau, et sans réelle histoire, ce n'est pas un jeu des plus intéressants. Une expérience sensorielle tout au plus. Une esquisse ou une nouvelle effrayante. Oui, Year Walk se rapproche plus de ces termes un peu vague traduisant une expérience subtile et courte que du vrai bon jeu, mais je ne l'apprécie pas pour cela. Year Walk vaut son coup d’œil pour sa valeur culturelle. Je me suis retenu de vous l'écrire jusqu'à présent mais Year Walk raconte l'histoire d'une légende qui prend place dans le folklore suédois. « Year Walk » est par ailleurs le nom du pèlerinage qu'entreprenait certaines personnes dans l'espoir de voir l'avenir. La façon dont le jeu met en valeur la culture dont il est issu constitue sa véritable performance.


Je suis pour le moins sensible à la problématique de la transmission culturelle. Comment faire en sorte que les légendes et les histoires qui ont façonné une culture se transmettent de génération en génération ? Comment faire perdurer ces mêmes histoires quand le monde est imprégné d'une culture dominante ? Year Walk utilise lui l'attrait et le mystère des images et du jeu, puis les explications écrites. D'une part, toutes les créatures qu'on rencontre dans le jeu sont directement issus de la mythologie scandinave. D'autre part, dans la version PC, on a accès une mini-encyclopédie pour toutes les personnes désireuses d'en apprendre un peu plus sur ces créatures et ces légendes. Cette encyclopédie écrite par Theodor Almsten apporte une véritable plus-value. Year Walk permet de diffuser une culture peu connue mondialement par le biais de son expérience, ce n'est pas rien.


Certes, le titre Simon Flesser et Magnus 'Gordon' Gardeback a sous cette lecture sociale plus une allure de musée virtuelle que de jeu vidéo, mais selon moi, c'est tout à son honneur compte-tenu de ses qualités ludiques. Je résumerai donc en disant que l'expérience de Year Walk ne fut ni exceptionnelle ni foncièrement désagréable. On erre beaucoup, on ignore ce qu'on fait et pourquoi on le fait. On se laisse porter par cette belle direction artistique et ces interactions sommaires. On visite, on découvre et on se dit que certaines créatures issues de ces l'imagination des hommes méritent bien d'être immortalisées dans des échanges aussi brèves qu'incongrues.


Sincèrement, vous avez déjà joué à un jeu où il faut offrir des fantômes de bébé à un cheval en costume sortant d'un lac ?

H_Zinzolin
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le 25 juin 2018

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H_Zinzolin

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