Cover Bibliophilie pas vraiment obsessionnelle — 2024

Bibliophilie pas vraiment obsessionnelle — 2024

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2023 :
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9 livres

créee il y a 5 mois · modifiée il y a environ 2 mois

Amis américains
8.8
1.

Amis américains (1993)

Entretiens avec les grands auteurs d'Hollywood

Sortie : novembre 2008 (France). Beau livre & artbook

livre de Bertrand Tavernier

Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Quelle que soit la version lue, quand on parle de ce livre de Bertrand Tavernier, la première chose qui émerge a souvent trait au volume de l'objet, du haut de ses 1000 pages et de ses nombreux kilos. On est vraiment à la limite du manipulable et du transportable.

Une chose très importante qui ressort à la lecture de ces "Amis américains", c'est qu'il ne s'agit pas du tout d'un recueil d'entretiens au sens communément admis, du type d'échanges entre journalistes ciné et réalisateurs de passage pour assurer la promotion du film du moment. Le format est résolument autre, avec ses côtés positifs et ses aspects plus problématiques : il s'agit avant tout de l'agrégation de travaux de Tavernier l'attaché de presse dans les années 60-70, devenu au fil du temps cinéaste et dont la passion cinéphile grandissante a pris des proportions immenses au fil des décennies pour atteindre le degré d'enthousiasme communicatif qu'on lui connaissait jusqu'à sa mort en 2021. Des retranscriptions d'échanges plus ou moins éclairés, sur des thèmes et des hommes (pas l'ombre d'une femme) qu'il connaît plus ou moins bien, avec souvent des éléments introductifs pour présenter le contexte ou préciser a posteriori son point de vue.

Le plus drôle sans doute, en lisant cette édition augmentée de 2019, au-delà de la multiplicité des points d'entrée sur la subjectivité de Tavernier, c'est de voir à quel point les avis sont parfois volatiles, et comment en seulement quelques mots, on passe d'une opinion extrêmement négative à une appréciation sans borne — c'est souvent dans ce sens-là. Comme Tavernier a vu (et revu) des dizaines de milliers de films et qu'il choisit de n'évoquer longuement que ceux qui lui ont plu chez chacune des personnes rencontrées, il y a un côté un peu étouffant et indigeste dans cette accumulation de louanges qui tournent souvent aux panégyriques.

L'Amour du cinéma m'a permis de trouver une place dans l'existence
6.3
2.

L'Amour du cinéma m'a permis de trouver une place dans l'existence (2019)

Conversation avec Thierry Frémaux

Sortie : 2019 (France). Entretien

livre de Bertrand Tavernier

Annotation :



Il restera cette flamme, cette accumulation d'anecdotes, ce désir ardent de rencontrer ces réalisateurs, formant un tout très hétérogène notamment à cause du niveau de connaissance variable et des tempéraments assez éloignés. Très intéressant d'entendre ces cinéastes parler d'autres cinéastes aussi, de ressentir les tendances humbles ou plus irascibles. Ce genre de recueil est une mine d'informations sur l'ancien monde, et montre quand même très vite des limites tant l'évolution du cinéma se fait à grande vitesse (la première édition remonte à 1993) : beaucoup de considérations paraissent particulièrement datées et désuètes avec les 30 années qui nous séparent.

Sans surprise, Tavernier considère John Ford comme l'alpha et l'oméga du cinéma, le parrain de nous tous. Il est beaucoup plus à l'aise avec des gens comme Hathaway et Wellman, notamment sur le segment western (qui ne me passionne pas, rendant énormément d'échanges insipides pour moi, Budd Boetticher [même s'il était à l'époque très mal connu], Delmer Daves, Robert Parrish) qu'avec par exemple Edgar G. Ulmer qu'il semble moins bien connaître. Des échanges surprenants subsistent, avec Stanley Donen (premier contact houleux mais qui s'est amélioré par la suite) ou Elia Kazan (sous l'angle de sa contribution aux dénonciations maccarthystes). Certains sujets étonnent, comme sa conception de la série B au travers du producteur-réalisateur Roger Corman ou encore la place accordée à Robert Altman. Le chapitre le plus intéressant de mon point de vue est probablement celui dédié à la liste noire, les célèbres Hollywood Ten qui avaient subi les foudres de la censure américaine et qui cherchaient désespérément des prête-noms (autant côté réalisation que côté scénario) pour pouvoir continuer à travailler : ceux-là, parmi lesquels figure notamment Herbert Biberman et auxquels s'ajoutent Dalton Trumbo, Edward Dmytryk, ou encore Martin Ritt, confèrent à cette partie du livre une matière conséquente que l'on ne retrouve pas souvent ailleurs. Le final de la version réactualisée, avec le trio étrange Payne / Dante / Tarantino, détonne franchement avec le reste et n'apparaît pas comme incroyablement nécessaire, probablement un ajout tentant de moderniser maladroitement le propos.

Éloge de l'ombre
8
3.

Éloge de l'ombre (1933)

Sortie : 1933 (France). Essai

livre de Junichirō Tanizaki

Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.

Annotation :

L'essai de Jun'ichirō Tanizaki sur l'esthétique japonaise est à la fois court, dense, et déconcertant. Il faut dire que pour aborder la question du beau, et avant de développer sa pensée sur l'opposition entre l'esthétique asiatique basée sur l'ombre et l'esthétique occidentale basée sur la lumière, il nous embarque directement... dans ses toilettes. Point de départ assez déroutant pour une réflexion qui ne se révèlera que très progressivement, en prenant le lecteur à rebours, et qui laissera beaucoup de zones d'ombre — c'est sans doute très à propos.

Difficile de caractériser la position de Tanizaki, réactionnaire sous certains aspects, mais doué d'autodérision sous d'autres : il se moquera de lui-même à de nombreuses reprises, qualifiant ses paroles de divagations de vieillard (il n'a que 47 ans). Parfois, il se fait extrêmement véhément et peu nuancé pour critiquer la définition du beau en Occident ou pour glorifier la culture nationale patriotique, et parfois il avance ses pensées sous l'angle de l'incompréhension sincère et posée, en avouant le caractère relatif de ses jugements. S'il finit par explorer des thèmes artistiques plus conventionnels, comme le théâtre (en opposant Kabuki et Nô) ou des architectures spectaculaires, il s'attarde très longuement sur les éléments du quotidien en s'intéressant aux intérieurs d'une maison. Et de pester sur l'électricité (qu'il installera dans sa maison malgré tout), sur ces lumières trop fortes et trop chaudes qui dénature le cœur même de la maison japonaise en éliminant la pénombre des alcôves.

On en vient souvent à se demander ce que Tanizaki pensait de l'occidentalisation de la société japonaise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lui qui souffre déjà énormément de l'évolution à marche forcée au tout début des années 1930. L'écrivain donne l'impression d'être un apôtre de l'ombre comme un parent éloigné de Soulages, insistant sur le fait que la clarté à quelque chose d'aveuglant, et que là où les occidentaux s'échinent à astiquer leurs objets d'art, les asiatiques trouvent une finalité toute particulière dans la patine de la crasse. Un attrait pour la souillure, vecteur du temps qui passe, qui rend plus attrayant le jade terne plutôt que le diamant étincelant.

Ombre de l'ombre
7.5
4.

Ombre de l'ombre (1986)

Sombra de la Sombra

Sortie : 1986 (France). Roman

livre de Paco Ignacio Taibo II

Annotation :



Un essai difficile à appréhender, derrière sa fausse désinvolture il est très stimulant dans son ébauche de théorisation sur l'esthétique, mais qui multiplie les dissonances, d'un côté capable de commentaire bassement raciste à l'encontre d'Einstein en visite au Japon s'étonnant d'un éclairage public fonctionnant en plein jour ("c’était un Juif, après tout"), et quelques pages plus loin se moque de lui-même de peur d'être devenu un vieux réac grabataire. La dernière partie de cet "Éloge de l'ombre" est plus confuse, moins précise, on aborde la soupe miso dans un bol sombre et les sushis enveloppés dans des feuilles de kaki, disons que ces divagations sont moins intéressantes que celles sur la blancheur de la porcelaine, l'intérieur et les toits des temples ou encore les contrastes colorimétriques de la peau (avec option "noircissement des dents" pour les femmes). Une chose est sûre, on referme le livre en observant son environnement différemment, en traquant toutes les zones d'ombre, avec l'envie, comme Tanizaki dans sa conclusion presque potache, d'aller "éteindre [sa] lampe électrique".

Oh les beaux jours
6.9
5.

Oh les beaux jours (1961)

Happy Days

Sortie : 1963 (France). Théâtre

livre de Samuel Beckett

Morrinson a mis 3/10.

Annotation :

Je garderai donc pour moi les bons souvenirs de la pièce que j'avais vue au TNT, en 2005 ou 2006, avec Alain Aithnard (Willy), un peu, et Mireille Mossé (Winnie), surtout. La lecture du texte est rendue largement abominable par Samuel Beckett à cause de la fréquence et l'importance des didascalies littéralement omniprésentes. Il y a malgré tout une part d'intérêt car elles renseignent sur les instructions données aux acteurs et donnent une idée de la difficulté d'interprétation pour la protagoniste, chose originale (quand bien même je n'y connaîtrais pas grand-chose). Mais quand même, cette écriture et cette lecture hachées, c'est une horreur. En moyenne, la structure alterne entre deux mots de dialogues pour quatre de didascalie, en permanence : c'est insupportable à lire. D'autant que la pièce est quasiment un monologue, le résultat s'approchant d'une fragmentation des mots d'une personne unique. Il y a bien un côté humoristique dans l'accumulation de commentaires indirects sur le comportement, la posture et les gestes de Winnie, mais la prouesse qu'on devine derrière cette quantité hallucinante de contraintes ne se traduit aucunement en termes agréables à la lecture. C'est en tout état de cause très proche de ma définition de ce qui s'avère illisible, comme si Beckett avait été poussé dans ses derniers retranchements, l'absurde chevillé au corps et revendiqué avec une opiniâtreté très contre-productive. Au point que la thématique, à situer probablement proche de l'absurdité et de la vacuité du quotidien, dans un décor qui pourrait ressembler à du post-apocalyptique, finit par échapper complètement pour devenir une sorte de détail à peine perceptible à travers l'épaisseur de l'occlusion formelle du texte.

Écrits fantômes
6.

Écrits fantômes (2023)

Lettres de suicides (1700-1948)

Sortie : 12 octobre 2023. Anthologie

livre de Vincent Platini

Morrinson a mis 9/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

"Écrits fantômes" traite d'un sujet peu commun et selon une méthode assez particulière : les lettres de suicide chez le commun des mortels, fruit d'un travail de recherche s'étalant sur plusieurs années à fouiller diverses archives françaises et à trouver le bon angle d'attaque pour synthétiser, agencer et présenter les résultats. Il est par exemple parfaitement clair que Vincent Platini cherche à tout prix à éviter la fascination morbide, façon cabinet de curiosité, et à respecter les familles et les descendants — ce pourquoi les lettres datant de moins de 75 ans ont été anonymisées. Selon une dizaine de cercles thématiques qui n'interdisent pas les zones de recouvrement, l'ouvrage parcourt d nombreux documents et d'aussi nombreuses situations qui ont poussé des hommes et des femmes à mettre fin à leurs jours (ou à tenter de le faire) sur une période allant de 1700 à 1948.

Platini donne très peu d'informations en préambule de son travail, à dessein, pour ne pas écraser le sens des lettres avec une lecture prédéterminée : il faudra attendre la fin du livre (voire écouter des émissions comme celle-ci :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poesie-et-ainsi-de-suite/lettres-de-suicide-se-reinventer-in-extremis-3913600) pour comprendre comment les données ont été agrégées, quelles pistes de réflexion ont été suivies. C'est très volontairement qu'il n'indique pas comment il faut s'y prendre pour appréhender le contenu, si ce n'est "le respect des souffrances les attentions de la lecture" que ces écrits méritent. On se familiarise cependant assez vite avec les différents registres : chaque lettre est précédée d'une contextualisation plus ou moins extensive en fonction des éléments dont on dispose, à l'intérieur de chaque thème on suit un classement chronologique, et les écrits sont soit des retranscriptions de sources primaires soit des rapports de police qui avaient au moment des faits recopié leur contenu. Fait notable, presque primordial : "Écrits fantômes" conserve les graphies phonétiques des lettres de suicides, avec toutes les fautes et toutes les ratures révélant leur part du contexte (avec quelques reproductions des documents originaux), ainsi que des indications concernant les supports — le beau papier à l'intérieur d'une enveloppe cachetée, la feuille de brouillon froissée, les différentes mentions des autorités qui ont collecté les preuves. Un travail d'orfèvre et de pionnier sur un sujet peu étudié, pour ne pas dire occulté.

Suicide
7.8
7.

Suicide

Sortie : mars 2008 (France). Roman

livre de Édouard Levé

Annotation :



Ainsi se plonge-t-on dans la vie d'inconnus ayant pris la plume pour un ultime message, autant de scripteurs se déclarant auteurs de leur mort. Platini parle d'objets appartenant à une "littérature thanato-épistolaire" qui mettent en scène un suicide pour donner à ces derniers instants une certaine esthétique. Il est souvent question de à qui on s'adresse, et parfois, de manière détournée et déterminée, à qui on ne pense pas, explicitement (en rédigeant une lettre à la voisine et une au commissaire mais rien au mari qui trouvera le corps, on affirme quelque chose). Il n'y a rien d'indécent, rien de sordide : tout y est consigné avec un respect très approprié, respect pour les personnes et pour les éléments factuels qui esquissent des circonstances et qui laissent s'échapper des fragilités évidentes.

La puissance de certaines lettres est sans comparaison, exprimant sans cesse des sentiments différents, des situations variées. On y croise des de temps en temps des suicides ratés, mais plus souvent des dernières volontés transmises à un proche. Les écrits sont parfois extrêmement laconiques, ici un simple "J'en ai marre", "adieu s'est pour toujour voila ma fin", "Lasse de souffrir / adieu" et là quelques mots d'une phrase incomplète, parfois beaucoup plus profus avec un attachement fort à expliciter les circonstances jusque dans leurs moindres détails. Il y a ceux qui s'y reprennent à plusieurs fois, en complétant la lettre d'adieux en conséquence, et il y a ceux qui font le récit détaillé des derniers moments, dans l'attente de la mort en décrivant méthodiquement les symptômes de l'intoxication allant crescendo. Certains entraînent avec eux leurs petits-enfants ou leurs animaux de compagnie, d'autres en couple se réjouissent à l'idée de savoir leurs os réunis dans un même cercueil.

Bien que ce ne soit pas le but premier recherché, il se dégage de ces écrits un regard sur l'histoire, sur l'évolution de l'écriture d'un terme comme "adieu" sur deux siècles, sur la transformation des modes de suicide : on se fait brûler la cervelle avec une arme à feu en uniforme, on se jette du haut d'un immeuble, on s'empoisonne à l'aide de divers produits chimiques, on se noie, on s'asphyxie au charbon puis au gaz. Le cadre est en tous cas fixé d'un côté par le tout début du XVIIIe siècle car très peu de lettres existent antérieurement, et de l'autre côté par l'année 1948 après laquelle le nombre de lettres explose.

Fantôme
7.7
8.

Fantôme (2011)

Gjenferd

Sortie : 12 avril 2013 (France). Roman

livre de Jo Nesbø

Annotation :



Si ce genre de documents témoigne du choix de son auteur, ce contre quoi il se fait, quels points de résistance il oppose, comment il se déterminait et se représentait, Platini rappelle à juste titre qu'il existe un sérieux biais dans les informations recueillies : "la missive réussie est celle qu'on ne retrouve pas, puisqu'elle est parvenue à destination. Les lettres restantes proposent une image déformée".

On apprend ainsi qu'on se détermine très souvent contre quelque chose : contre l'institution (l'armée par exemple), contre la famille, contre le harcèlement, contre la tyrannie. Les sujets se déclarent dans un contexte amoureux, politique, ou malade. L'occasion également d'observer l'évolution de l'image renvoyée par l'acte du suicide, un acte considéré comme criminel jusqu'en 1791 (on garde au frais un cadavre suspect, on lui fait un procès, on le supplicie) dont la perception se transforme progressivement. Les personnes qui se suicident mentent régulièrement dans leurs lettres, des escrocs se font passer pour des victimes, des fugitifs simulent leur mort pour tromper la police. Certaines lettres sont en grande partie incompréhensibles : "Set engale je fine ma vie a te piere je te pardon de tou le peine te tue ma couse tue a fait mon maleure tache de feire le bonneure de notre que tu aime meu que moy". Elles parlent toutes d'amour, de déshonneur, de honte, de maladie, de religion, de famille, et certaines parviennent même à être drôles. On est quoi qu'il en soit très loin de l'anthologie et du spectaculaire, de l'obscène et du voyeurisme : on entre très paisiblement, avec beaucoup de précautions et d'empathie, dans ce recueil de vies brisées. Des lettres d'inconnus, anecdotiques, mais d'une richesse incroyable dans cette dernière image de soi.

Maintenant c'est ma vie
7
9.

Maintenant c'est ma vie (2004)

How I Live Now

Sortie : 2006 (France). Roman

livre de Meg Rosoff

Annotation :

[pour le livre écrit par Anna Roy]

Intéressant pour l'approche sans concession, attaquant des sujets difficiles voire tabous de face, moins pour le rapport aux prises de décisions (qui s'apparentent la plupart du temps à "faites comme vous le sentez"). Certains points sur des détails en lien avec des pratiques de santé sont en revanche vraiment limites (acuponcture, homéopathie). Le livre est structuré de manière chronologique mais indépendamment de cet aspect évident je trouve qu'il n'est pas particulièrement bien écrit ou bien organisé. J'avoue néanmoins avoir trouvé passionnant beaucoup de points qui abordent des choses dont j'ignorais à peu près tout, et ne serait-ce que pour ça, le livre vaut le détour.

Morrinson

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