Cover « J'aime lire comme lit une concierge : m'identifier à l'auteur et au livre. Toute autre attitude me fait penser au dépeceur de cadavres. » - Cioran

« J'aime lire comme lit une concierge : m'identifier à l'auteur et au livre. Toute autre attitude me fait penser au dépeceur de cadavres. » - Cioran

Ici je vous présente une compile de mes passages de livres favoris. Chacun sont là pour de multiples raisons : parce qu'ils me font pleurer, me font rire, me font rêver, me font rater mon arrêt de train, me font réfléchir, me font frissonner par leur beauté, me bouleversent, me changent ...

Afficher plus

Liste de

13 livres

créee il y a environ 7 ans · modifiée il y a plus de 6 ans

L'Attrape-Cœurs
7.3

L'Attrape-Cœurs (1951)

(traduction Annie Saumont)

The Catcher in the Rye

Sortie : 1986 (France). Roman

livre de J. D. Salinger

CrèmeFuckingBrûlée a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« Souvent, lorsqu’il fait beau, mes parents vont mettre des fleurs sur la tombe d’Allie. Je les ai accompagnés deux ou trois fois et puis j’ai arrêté. D’abord ça me plaît pas du tout de le voir dans ce putain de cimetière. Entouré par des types qui sont morts et sous des dalles de pierre et tout. Quand il y a du soleil ça peut encore aller, mais deux fois, oui deux fois on y était quand il s’est mis à pleuvoir. C’était horrible. Il pleuvait sur la saloperie de tombe d’Allie et il pleuvait sur l’herbe sur son ventre. Il pleuvait tous azimuts. Les gens en visite au cimetière se sont mis à courir à toute pompe vers leurs voitures. Je me sentais devenir dingue. Ces gens, ils avaient qu’à monter dans les voiture et mettre la radio et tout et puis à s’en aller dîner dans un endroit agréable – tous, excepté Allie. Et ça je pouvais pas l’admettre. Je sais bien que c’est seulement son corps qui est au cimetière et son âme est au ciel et tout, le grand bla-bla, mais quand même je pouvais pas l’admettre. Je voudrais tellement pas qu’il soit là. Vous l’avez pas connu. Si vous l’aviez connu vous comprendriez. Passe encore quand y a du soleil mais le soleil il vient quand ça lui chante. »

Les Hauts de Hurle-Vent
7.7

Les Hauts de Hurle-Vent (1847)

(traduction Frédéric Delebecque)

Wuthering Heights

Sortie : 1925 (France). Roman

livre de Emily Brontë

CrèmeFuckingBrûlée a mis 9/10.

Annotation :

« Mes grandes souffrances dans ce monde ont été les souffrances de Heathcliff, je les ai toutes guettées et ressenties dès leur origine. Ma grande raison de vivre, c'est lui. Si tout le reste périssait et que lui demeurât, je continuerais d'exister ; mais si tout le reste demeurait et que lui fût anéanti, l'univers me deviendrait complètement étranger, je n'aurais plus l'air d'en faire partie. Mon amour pour Linton est comme le feuillage dans les bois : le temps le transformera, je le sais bien, comme l'hiver transforme les arbres. Mon amour pour Heathcliff ressemble aux rochers immuables qui sont en dessous : source de peu de joie apparente, mais nécessaire. Nelly, je suis Heathcliff ! Il est toujours, toujours dans mon esprit ; non comme un plaisir, pas plus que je ne suis toujours un plaisir pour moi-même, mais comme mon propre être. »

« Vous m’apprenez maintenant combien vous avez été cruelle… cruelle et fausse. Pourquoi m’avez-vous méprisé ? Pourquoi avez-vous trahi votre cœur, Catherine ? Je ne puis vous adresser un mot de consolation. Vous avez mérité votre sort. Vous vous êtes tuée vous-même. Oui, vous pouvez m’embrasser, pleurer, m’arracher des baisers et des pleurs ; ils vous dessécheront, ils vous damneront. Vous m’aimiez… quel droit aviez-vous alors de me sacrifier – quel droit, répondez-moi – au pauvre caprice que vous avez ressenti pour Linton ? Alors que ni la misère, ni la dégradation, ni la mort, ni rien de ce que Dieu ou Satan pourrait nous infliger ne nous eût séparés, vous, de votre plein gré, vous l’avez fait. Je ne vous ai pas brisé le cœur, c’est vous-même qui l’avez brisé ; et en le brisant vous avez brisé le mien. Et c’est tant pis pour moi si je suis fort. Ai-je besoin de vivre ? Quelle existence sera la mienne quand… Oh ! Dieu. Auriez-vous envie de vivre avec votre âme dans la tombe ? »

Mrs. Dalloway
7.3

Mrs. Dalloway (1925)

(traduction Marie-Claire Pasquier)

Sortie : 1994 (France). Roman

livre de Virginia Woolf

CrèmeFuckingBrûlée a mis 9/10.

Annotation :

« Une fois, elle avait jeté un shilling dans la Serpentine, jamais rien d’autre. Lui avait tout jeté en l’air. Eux, ils continuaient à vivre […]. Eux […] ils vieilliraient. Il y avait une chose qui comptait ; une chose qui dans sa vie à elle était enrubannée de bavardages, mutilée, voilée, une chose qu’elle laissait chaque jour s’écouler goutte à goutte dans la corruption, les mensonges, les bavardages. Lui l’avait sauvegardée. La mort était un défi. La mort était une tentative de communiquer, quand les gens sentaient qu’il leur était impossible d’atteindre ce centre qui, mystique, leur échappait ; la proximité devenait séparation ; l’extase s’estompait ; on était seul. Il y avait un enlacement dans la mort.
Mais ce jeune homme qui s’était donné la mort – avait-il plongé en tenant son trésor ? »

Tandis que j'agonise
7.9

Tandis que j'agonise (1930)

As I Lay Dying

Sortie : 1934 (France). Roman

livre de William Faulkner

CrèmeFuckingBrûlée a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« « J’croyais que tu m’aurais prévenu, qu’il m’a dit comme ça. J’aurais jamais pensé que tu ne m’aurais pas prévenu.
- Darl », que j’dis. Mais il recommençait à se débattre, lui et Jewel et le gars, tandis que l’autre tenait Dewey Dell, que Vardaman hurlait et que Jewel disait :
« Tuez-le. Tuez-le, l’enfant de putain. »
C’était triste. C’était bien triste. Quand on a fait quelque chose de mal, on ne peut point y échapper. C’est pas possible. J’ai essayé de lui dire ça, mais il s’est contenté de me dire : « J’pensais que tu m’aurais prévenu. C’est pas qu’je… » et puis il s’est mis à rire. L’autre gars a écarté Jewel, et il est resté assis par terre, riant.
J’ai essayé de lui dire. Si seulement j’avais pu remuer, si j’avais pu seulement m’asseoir. Mais j’ai essayé de lui dire, et il a cessé de rire, les yeux levés vers moi.
Il a dit : « Est-ce que tu veux que j’y aille ? »
J’ai dit : « ça vaudra mieux pour toi. Là-bas, ça sera plus tranquille, tu n’auras plus d’ennuis ni de tracas. Ça vaudra mieux pour toi, Darl », que j’ai dit.
« Mieux ! » qu’il a dit. Et il a recommencé à rire. « Mieux ! » qu’il a dit. Et il pouvait à peine le dire tellement il riait. Il était assis par terre. Nous le regardions, et il riait, riait. C’était triste, oh c’était si triste. Du diable si je voyais rien de risible dans tout cela. Parce que rien ne peut justifier la destruction voulue de ce qu’un homme a bâti à la sueur de son front pour y abriter le fruit de cette sueur.
Mais je ne suis pas si sûr qu’un homme ait le droit de dire ce qui est fou et ce qui ne l’est pas. C’est comme si, dans chaque homme, il y avait quelqu’un hors des limites de la raison et de la folie qui, témoin des actes raisonnables et insensés, les jugerait avec la même horreur et le même étonnement. »

Courrier sud
6.9

Courrier sud (1929)

Sortie : 1929 (France). Roman

livre de Antoine de Saint-Exupéry

CrèmeFuckingBrûlée a mis 9/10.

Annotation :

« Mais nous voulions savoir s’il était possible de te faire souffrir, de te serrer dans les bras jusqu’à t’étouffer, car nous sentions en toi une présence humaine que nous désirions amener au jour. Une tendresse, une détresse que nous désirions amener aux yeux. Et Bernis te prenait dans les bras et tu rougissais. Et Bernis te serrait plus fort et tes yeux devenaient brillants de larmes sans que tes lèvres se soient enlaidies, comme aux vieilles qui pleurent, et Bernis me disait que ces larmes venaient du cœur soudain rempli, plus précieuses que des diamants, et que celui qui les boirait serait immortel. Il me disait aussi que tu habitais ton corps, comme cette fée sous les eaux, et qu’il connaissait mille sortilèges pour te ramener à la surface, dont le plus sûr était de te faire pleurer. C’est ainsi que nous te volions de l’amour. Mais, quand nous te lâchions, tu riais et ce rire nous remplissait de confusion. Ainsi un oiseau, moins serré, s’envole. »

---

« Ce salon en ordre ressemble à un quai. Bernis, à Paris, franchit avant l’heure du rapide des heures désertes. Le front contre la vitre, il regarde s’écouler la foule. Il est distancé par ce fleuve. Chaque homme forme un projet, se hâte. Des intrigues se nouent qui se dénoueront en dehors de lui. Cette femme passe, fait dix pas à peine et sort du temps. Cette foule était la matière vivante qui vous nourrit de larmes et de rires et maintenant la voici pareille à celle des peuples morts. »

Et c’est réducteur que de prendre seulement deux passages dans ce livre. Et je ne l’ai même pas encore terminé.

Tropique du Cancer
7.3

Tropique du Cancer

Tropic of Cancer

Sortie : 1934 (France). Roman, Biographie

livre de Henry Miller

CrèmeFuckingBrûlée a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

« […] je pense à Lucienne balayant le boulevard, ailes déployées , énorme condor argenté, suspendu au-dessus du flux stagnant de la circulation, étrange volatile venu des sommets de la Cordillère avec un ventre rose pâle et une petite caboche tenace, grosse comme le poing. Parfois je rentre seul à pied, et je la suis le long des rues ténébreuses à travers la cour du Louvre, de l’autre côté du pont des Arts, sous les arcades, à travers fentes et crevasses, somnolence, blême ivresse, grilles du Luxembourg, branches entremêlées, ronflements et gémissements, persiennes vertes, bourdon et carillons, piqûre des étoiles, rutilements, jetée, tentes rayées bleu et blanc – tout ce qu’elle a effleuré du bout des ailes.
Dans la lumière bleuâtre d’une aube métallique, les coquilles de cacahouètes ont l’air blêmes et froissées ; le long de la grève à Montparnasse, les nénuphars se penchent et cassent. Lorsque la vague reflue et qu’il ne reste que quelques sirènes syphiliques échouées dans les limons, le Dôme a l’air d’un stand de tir ravagé par un cyclone. Tout dégouline à nouveau lentement vers l’égout. Pendant une bonne demi-heure, il y règne un calme de mort, et l’on éponge les vomissures. Soudain, les arbres se mettent à ululer. D’un bout du boulevard à l’autre, se lève une chanson démentielle. C’est comme le signal qui annonce la fermeture de la Bourse. Tous les espoirs y restent balayés. L’heure est venue de vider la dernière poche d’urine. Le jour entre en scène, à la dérobée, comme un lépreux… »

La Puissance et la Gloire
8.3

La Puissance et la Gloire (1940)

The Power and the Glory

Sortie : 1948 (France). Roman

livre de Graham Greene

CrèmeFuckingBrûlée a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« Vous avez eu la foi jadis, dit-il. Essayez de comprendre. Il vous reste une chance de salut. La chance de la dernière heure. Celle du bon larron. Vous avez assassiné des hommes… peut-être même des enfants… ajouta-t-il, en se rappelant le petit tas noirâtre au pied de la croix. Mais ce n’est pas nécessairement d’une très grande importance. Ce sont des choses qui appartiennent à cette vie, si brève, qui dure quelques années à peine et déjà se termine. Vous pouvez vous débarrasser de ce fardeau ici même, dans cette hutte et pénétrer allégé dans la vie éternelle… »
Il se sentait envahi de tristesse et de nostalgie à cette évocation d’une vie qu’il ne pourrait jamais mener lui-même… qu’exprimaient les mots : paix, gloire, amour !...
« Père, insista la voix. Laissez-moi. Occupez-vous de vous-même. Prenez mon couteau… »
La main reprit ses tâtonnements douloureux, vers la hanche cette fois. Les genoux plièrent en un effort pour se tourner sur le côté, et brusquement le corps entier renonçant à sa tentative, abandonnant tout, rendit l’esprit.
Le prêtre se hâta de chuchoter des paroles d’absolution conditionnelle pour le cas où, la seconde avant de franchir le pas, l’âme se fût repentie. Mais il était bien plus probable que cette âme avait quitté la terre, occupée à chercher son couteau, tendue vers un acte de violence qu’elle voulait accomplir par procuration. Il pria : « Dieu de miséricorde, cet homme a pensé à mon sort, après tout, c’est parce qu’il voulait me sauver… » Mais il parlait sans conviction. En mettant les choses au mieux, ce n’avait été qu’un criminel essayant d’en aider un autre à s’évader… de quelque point qu’on examinât le cas, ni l’un ni l’autre n’avait eu grand mérite.

Le Spleen de Paris
8.2

Le Spleen de Paris (1869)

Petits poèmes en prose

Sortie : 1869 (France). Poésie

livre de Charles Baudelaire

CrèmeFuckingBrûlée a mis 10/10.

Annotation :

« Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! féconde en caresses et en traîtrises.
Oh ! oui ! Le Temps a reparu ; Le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortège de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d’Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses.
Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : — « Je suis la Vie, l’insupportable, l’implacable Vie ! »
Il n’y a qu’une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d’annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur.
Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j’étais un bœuf, avec son double aiguillon. — « Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! »
(Poème La chambre double, je mets cet extrait mais le poème entier est à lire et aimer)

Les Versets sataniques
7.1

Les Versets sataniques (1988)

The Satanic Verses

Sortie : 1988 (France). Roman

livre de Salman Rushdie

CrèmeFuckingBrûlée a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

[Enorme spoil car fin du bouquin, et vu sa taille conséquente, si vous désirez le lire et ne pas savoir un gros bout de la fin, ne lisez jamais cet extrait]

Le pistolet lui sauta dans l’autre main.
Un génie effrayant d’une taille monstrueuse apparut, se souvint Salahuddin. « Quel est ton vœu ? Je suis l’esclave de celui qui tient la lampe. » Comme on est limité par une arme, pensa Salahuddin, avec une bizarre sensation de détachement par rapport aux événements. – Comme Gabreel quand arrivait la maladie. – Oui, effectivement ; une chose qui limite beaucoup. – Car comme il restait peu de choix, maintenant que Gabreel était l’homme armé et lui, Salahuddin l’homme désarmé ; comme l’univers avait rétréci ! Les vrais djinns d’autrefois avaient le pouvoir d’ouvrir les portes de l’Infini, de rendre toute chose possible, toutes les merveilles accessibles ; en comparaison, comme cet esprit moderne était banal, ce descendant de dégénéré d’ancêtres puissants, ce faible d’esclave d’une lampe moderne.
« Il y a longtemps, je t’ai confié, dit calmement Gibreel Farishta, que si je pensais que la maladie ne me quitterait jamais, qu’elle reviendrait toujours, je ne pourrais pas le supporter. » Puis, rapidement, avant que Salahuddin ait pu lever le petit doigt, Gabreel se mit le pistolet dans la bouche ; et appuya sur la détente ; et fut libre.

Madame Bovary
7.1

Madame Bovary (1857)

Sortie : 1857 (France). Roman

livre de Gustave Flaubert

CrèmeFuckingBrûlée a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« La chambre, quand ils entrèrent, était toute pleine d’une solennité lugubre. Il y avait sur la table à ouvrage, recouverte d’une serviette blanche, cinq ou six petites boules de coton dans un plat d’argent, près d’un gros crucifix, entre deux chandeliers qui brûlaient. Emma, le menton contre sa poitrine, ouvrait démesurément les paupières ; et ses pauvres mains se traînaient sur les draps, avec ce geste hideux et doux des agonisants qui semblent vouloir déjà se recouvrir du suaire. Pâle comme une statue, et les yeux rouges comme des charbons, Charles, sans pleurer, se tenait en face d’elle, au pied du lit, tandis que le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses.
Elle tourna sa figure lentement, et parut saisie de joie à voir tout à coup l’étole violette, sans doute retrouvant au milieu d’un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient.
Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et, collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d’amour qu’elle eût jamais donné. Ensuite il récita le Misereatur et l’Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l’huile et commença les onctions : d’abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d’orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l’assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marcheraient plus. »

Antigone
7.6

Antigone (-441)

(traduction Paul Mazon)

Antigónê

Sortie : 1997 (France). Théâtre

livre de Sophocle

CrèmeFuckingBrûlée a mis 8/10.

Annotation :

TIRÉSIAS

Sache donc toi-même qu'avant de voir le soleil accomplir Le plus clair de sa course accélérée, Tu vas toi-même, de tes propres entrailles, Donner un cadavre en échange d'autres morts, Tu as envoyé sous terre un être qui vivait sur terre, Enfermé sans ménagement une vie dans un tombeau, Et tu gardes ici une dépouille appartenant aux Dieux souterrains, Privée de ses droits, de funérailles, de sépulture. Ce sont là des choses qui ne te regardent pas, non plus Que les Dieux d'en haut, et c'est toi qui impose ainsi ta volonté. C'est pour cela que les forces destructrices en attendant d'agir, Les Érinyes d'Hadès et des Dieux se tiennent en embuscade, Et tu seras pris dans un tourbillon de malheurs aussi terribles. Regarde bien si c'est pour de l'argent que je te parle Ainsi : il ne faudra pas beaucoup de temps avant que l'on entende Des cris de détresse d'hommes et de femmes dans ton palais. Toutes les autres Cités seront bouleversées par la haine, Dont les restes en lambeaux n'auront connu d'autres obsèques que les chiens, Les bêtes sauvages, ou quelque oiseau qui, à tire d'ailes, ira Répandre cette odeur infâme dans les foyers de la Cité. Voici les traits, puisque tu cherches à me blesser, que tel un archer, Je t'ai décoché, sous le feu de mon indignation, Ils sont sûrs, tu ne pourras éviter d'en sentir la brûlure. Ramène-moi, mon enfant, dans ma demeure, Il pourra passer sa colère sur de plus jeunes que moi, Et apprendre à mesurer ses paroles, Et à mieux réfléchir qu'il ne le fait maintenant.

Anima
8.2

Anima

Sortie : août 2012 (France). Roman

livre de Wajdi Mouawad

CrèmeFuckingBrûlée a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« - Dix-huit. Il a fait dix-huit familles d’accueil avant de finir à quinze ans en prison pour avoir cassé les dents à un gros évêque qui voulait lui fourrer son bat dans le cul. Moi, j’ai eu de la chance ! La honte, pour Jackson, ça finira jamais. Moi, j’ai eu de la chance. Il en faut pour que la honte cesse. Je te raconte : une nuit, j’ai trente ans, dans une rue déserte de Toronto je tombe sur une petite Amérindienne soûle. Elle devait pas avoir huit ans. Elle demande du cash puis moi, je sais pas ce qui me prend, je lui parle en algonquin. J’avais pas parlé ma langue depuis que j’étais partie ! Elle me fait un grand sourire ! « Tu es comme moi ? » « Oui, je suis comme toi » et j’éclate en pleurs ! Je l’attrape, elle m’attrape, et on se lâche plus. « Je suis comme toi, j’ai jamais cessé d’être comme toi ! » que je dis, et je pleure encore. « Parle-moi », qu’elle me dit, et je lui parle. Et plus je lui parle plus les mots reviennent, et tout revient : les chansons, les histoires, les gestes, les caresses. C’est comme si je tiens les blessures de mon peuple contre moi. Et là quelque chose qui doit être l’amour se réveille. J’ai pas senti ça depuis tellement longtemps : l’amour ! Tu peux-tu le croire ? Son cœur bat contre mon ventre et le battement de son cœur, qui vit, qui vibre, me fait comprendre que la guerre est mon seul territoire. Que je dois me battre. La honte est partie d’un seul coup, et la colère de tous les enfants de mon âge qui ont vu un jour une voiture s’arrêter devant la porte de leur maison s’est levée sur ses pattes arrière. Cette nuit-là, j’ai enfin réussi à quitter le tas de neige et j’ai décidé de prendre ma vie en main. La honte, tu as pas le choix de l’égorger et de boire son sang pour retrouver les mots qui t’ont été volés. Tu comprends-tu ?
[…] Il a simplement dit Oui, je comprends.
- Je veux pas te faire de peine, lui a répondu Willy, mais ceux qui n’ont pas vécu dans une réserve ne peuvent pas comprendre.
- Alors tu peux me parler comme un frère […]
- Tu es un Indien ? […]
- Un Indien, oui… d’un nouveau genre.
- Quelle réserve ? […]
- Sabra et Chatila. »

Sa Majesté des Mouches
7.5

Sa Majesté des Mouches (1954)

Lord of the Flies

Sortie : 1954. Roman

livre de William Golding

CrèmeFuckingBrûlée a mis 7/10.

Annotation :

« Vers minuit, la pluie cessa et les nuages s’enfuirent, si bien que le ciel s’emplit de nouveau de l’incroyable scintillement des étoiles. Quand la brise tomba, on n’entendit plus que le clapotis de l’eau qui coulait dans toutes les crevasses et, goutte à goutte, tombait des feuilles sur la terre brune de l’île. L’air était frais, humide et clair. Enfin tout se tut, même le bruit de l’eau. Le monstre restait en tas sur le sable pâle et les taches s’étalaient de plus en plus.
Le bord du lagon était souligné de phosphorescence au fur et à mesure que progressait la marée. L’eau claire reflétait le ciel clair et les constellations anguleuses. La ligne phosphorescente grignotait les grains de sable et les petits galets dans son avance ; elle les enfermait chacun dans une fossette provisoire, puis les acceptait soudain avec un glouglou et gagnait du terrain.
Le long de la plage, dans l’eau peu profonde, cette clarté mouvante se remplissait d’étranges animalcules au corps fait d’un rayon de lune et aux yeux étincelants. Çà et là, un galet plus gros que les autres restait accroché à sa place et se couvrait d’une couche de perles. La marée nivelait le sable piqueté par la pluie et le dissimulait sous une couche argentée. Quand elle atteignit la première tache autour du corps désarticulé, les animalcules se groupèrent à sa limite en une masse mouvante et claire. L’eau monta encore et nimba de lumière la chevelure sauvage de Simon. Le contour de sa joue fut souligné d’argent et son épaule se changea en marbre de statue. Les étranges petits organismes aux yeux étincelants, au corps vaporeux, s’affairaient autour de la tête de Simon. Le corps se souleva imperceptiblement sur le sable et une bulle d’air s’échappa de la bouche avec un bruit mouillé. Puis le corps se retourna doucement dans l’eau.
Là-bas, derrière le bord obscur du monde, le soleil et la lune exerçaient leur action ; la couche liquide suivait sa voie sur la planète terrestre et s’enflait d’un côté pendant que la boule solide poursuivait sa révolution. La grande force poussait la marée vers l’île et le niveau de l’eau montait. Lentement, entouré par une frange d’animalcules scintillants et affairés, silhouette d’argent sous les constellations impassibles, le corps de Simon s’en alla vers le large. »

Liste vue 773 fois

15
1