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13 livres

créee il y a environ 4 ans · modifiée il y a environ 4 ans

Qu'est-ce que la philosophie ?
7.8

Qu'est-ce que la philosophie ? (1991)

Sortie : 1991 (France). Essai, Philosophie

livre de Gilles Deleuze et Félix Guattari

Clément Nosferalis a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

"Enfin le fond de la honte fut atteint quand l'informatique, le marketing, le design, la publicité, toutes les disciplines de la communication, s'emparèrent du mot concept lui-même, et dirent : c'est notre affaire, c'est nous les créatifs, nous sommes les concepteurs ! C'est nous les amis du concept, nous le mettons dans nos ordinateurs. Informatique et créativité, concept et entreprise : une abondante bibliographie déjà ... Le marketing a retenu l'idée d'un certain rapport entre le concept et l'évènement ; mais voilà que le concept est devenu l'ensemble des présentations d'un produit (historique, scientifique, artistique, sexuel, pragmatique ...) et l'évènement, l'exposition qui met en scène des présentations diverses et "l'échange d'idées" auquel elle est censée donner lieu. Les seuls évènements sont les présentations, et les seuls concepts, des produits qu'on peut vendre. Le mouvement général qui a remplacé la Critique par la promotion commerciale n'a pas manqué d'affecter la philosophie. Le simulacre, la simulation d'un paquet de nouilles est devenu le vrai concept, et le présentateur-exposant du produit, marchandise ou oeuvre d'art, est devenu le philosophe, le personnage conceptuel ou l'artiste. Comment la philosophie, une vieille personne, s'alignerait-elle avec des jeunes cadres dans une course aux universaux de la communication, pour déterminer une forme marchande du concept, MERZ ? Certes, il est douloureux d'apprendre que "Concept" désigne une société de service et d'ingénierie informatique. Mais plus la philosophie se heurte à des rivaux impudents et niais, plus elle les rencontre en son propre sein, plus elle se sent d'entrain pour remplir la tâche, créer des concepts, qui sont des aérolithes plutôt que des marchandises. Elle a des fous rires qui emportent ses larmes."

Eichmann à Jerusalem
8.1

Eichmann à Jerusalem (1963)

Eichmann in Jerusalem: A Report on the Banality of Evil

Sortie : 1966 (France). Essai, Culture & société, Histoire

livre de Hannah Arendt

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

"Eichmann déclara soudain, en appuyant sur les mots, qu'il avait vécu toute sa vie selon les préceptes moraux de Kant, et particulièrement selon la définition que donne Kant du devoir. A première vue, c'était faire outrage à Kant. C'était aussi incompréhensible : la philosophie morale de Kant est, en effet, étroitement liée à la faculté de jugement que possède l'homme, et qui exclut l'obéissance aveugle.
(...) C'est alors qu'à la stupéfaction générale, Eichmann produisit une définition approximative, mais correcte, de l'impératif catégorique : "Je voulais dire à propos de Kant, que le principe de ma volonté doit toujours être tel qu'il puisse devenir le principe des lois générales." (Ce qui n'est pas le cas pour le vol, ou le meurtre, par exemple : car il est inconcevable que le voleur, ou le meurtrier, puisse avoir envie de vivre sous un système de lois qui donnerait à autrui le droit de le voler ou de l'assassiner, lui.)

Interrogé plus longuement, Eichmann ajouta qu'il avait lu "La critique de la Raison pratique" de Kant. Il expliqua ensuite qu'à partir du moment où il avait été chargé de mettre en œuvre la Solution finale, il avait cessé de vivre selon les principes de Kant; qu'il l'avait reconnu à l'époque; et qu'il s'était consolé en pensant qu'il n'était plus " maître de ses actes ", qu'il ne pouvait "rien changer". Mais il ne dit pas au tribunal qu'à cette " époque où le crime était légalisé par l'État" (comme il disait lui-même), il n'avait pas simplement écarté la formule kantienne, il l'avait déformée. De sorte qu'elle disait maintenant : "Agissez comme si le principe de vos actes était le même que celui des législateurs ou des lois du pays." (...) Certes, Kant n'a jamais rien voulu dire de tel. Au contraire, tout homme, selon lui, devient législateur dès qu'il commence à agir; en utilisant sa " raison pratique ", l'homme découvre les principes de la loi. Mais la déformation inconsciente qu'Eichmann avait fait subir à la pensée de Kant correspondait à une adaptation de Kant "à l'usage domestique du petit homme", comme disait l'accusé. Cette adaptation faite, restait-il quelque chose de Kant ? Oui : l'idée que l'homme doit faire plus qu'obéir à la loi, qu'il doit aller au-delà des impératifs de l'obéissance et identifier sa propre volonté au principe de la loi, à la source de toute loi.

Cette source, dans la philosophie de Kant, est la raison pratique; dans l'usage qu'en faisait Eichmann, c'était la volonté du Führer."

Sur le concept d'histoire
7.8

Sur le concept d'histoire (1942)

Über den Begriff der Geschichte

Sortie : 5 juin 2013 (France). Essai, Philosophie

livre de Walter Benjamin

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

"La tradition des opprimés nous enseigne que l'"état d'exception" dans lequel nous vivons est la règle. Nous devons parvenir à une conception de l'histoire qui rende compte de cette situation. Nous découvrirons alors que notre tâche consiste à instaurer le véritable état d'exception ; et nous consoliderons ainsi notre position dans la lutte contre le fascisme. Celui-ci garde au contraire toutes ses chances, face à des adversaires qui s'opposent à lui au nom du progrès, compris comme une norme historique. -S'effarer que les événements que nous vivons soient "encore" possibles au XXème siècle, c'est marquer un étonnement qui n'a rien de philosophique. Un tel étonnement ne mène à aucune connaissance, si ce n'est à comprendre que la conception de l'histoire d'où il découle n'est pas tenable."

Aurore
8

Aurore (1881)

(traduction Henri Albert)

Morgenröte – Gedanken über die moralischen Vorurteile

Sortie : 1881. Essai, Philosophie

livre de Friedrich Nietzsche

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

Livre 1, §9.
Idée de la moralité des mœurs. — Si l'on compare notre façon de vivre à
celle de l'humanité pendant des milliers d'années, on constatera que, nous autres, hommes d'aujourd'hui, vivons dans une époque très immorale: le pouvoir des mœurs est affaibli d'une façon surprenante et le sens moral s'est tellement
subtilisé et élevé que l'on peut tout aussi bien le considérer comme volatilisé.
C'est pourquoi, nous autres, hommes tardifs, pénétrons si difficilement les idées
directrices qui ont présidé à la formation de la morale et, si nous arrivons à les
découvrir, nous répugnons encore à les publier, tant elles nous paraissent
grossières! tant elles ont l'air de calomnier la moralité! Voici déjà, par exemple,
la proposition principale: la moralité n'est pas autre chose (donc, avant tout, pas
plus) que l'obéissance aux mœurs, quel que soit le genre de celles-ci; or les
mœurs, c'est la façon traditionnelle d'agir et d'évaluer. Partout où les coutumes
ne commandent pas il n'y a pas de moralité; et moins l'existence est déterminée
par les coutumes, moins est grand le cercle de la moralité. L'homme libre est
immoral, puisque, en toutes choses, il veut dépendre de lui-même et non d'un
usage établi, d'une tradition: dans tous les états primitifs de l'humanité «mal» est
synonyme d'«individuel», «libre», «arbitraire», «inaccoutumé», «imprévu»,
«imprévisible». Dans ces mêmes états primitifs, toujours selon la même
évaluation: si une action est exécutée, non parce que la tradition la commande,
mais pour d'autres raisons (par exemple à cause de son utilité individuelle), et
même pour les raisons qui autrefois ont établi la coutume, elle est qualifiée
d'immorale et considérée comme telle, même par celui qui l'exécute: car celui-ci
ne s'est pas inspiré de l'obéissance envers la tradition. Qu'est-ce que la tradition?
Une autorité supérieure à laquelle on obéit, non parce qu'elle commande l'utile,
mais parce qu'elle commande. (...)

Tractatus logico-philosophicus
7.9

Tractatus logico-philosophicus (1921)

(traduction de Gilles-Gaston Granger)

Logisch-Philosophische Abhandlung

Sortie : 1921 (France). Essai, Philosophie

livre de Ludwig Wittgenstein

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

6.5 - D'une réponse qu'on ne peut formuler, on ne peut non plus formuler la question.
Il n'y a pas d'énigme.
Si une question peut de quelque manière être posée, elle peut aussi recevoir une réponse.

6.5 1 - Le scepticisme n'est pas irréfutable, mais évidemment dépourvu de sens, quand il veut élever des doutes là où l'on ne peut poser de questions.
Car le doute ne peut subsister que là où subsiste une question ; une question seulement là où subsiste une réponse, et celle-ci seulement là où quelque chose peut être dit.

6.52 - Nous sentons que, à supposer même que toutes les questions
scientifiques possibles soient résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore intacts. À vrai dire, il ne reste plus alors aucune question ; et cela même est la réponse.

6.521 - La solution du problème de la vie, on la perçoit à la disparition de ce problème.
(N'est-ce pas la raison pour laquelle les hommes qui, après avoir longuement douté, ont trouvé la claire vision du sens de la vie, ceux-là n'ont pu dire alors en quoi ce sens consistait ?)

6.522 - Il y a assurément de l'indicible. Il se montre, c'est le Mystique.

6 .53 - La méthode correcte en philosophie consisterait proprement en ceci : ne rien dire que ce qui se laisse dire, à savoir les propositions de la science de la nature - quelque chose qui, par conséquent, n'a rien à faire avec la philosophie -, puis quand quelqu'un d'autre voudrait dire quelque chose de métaphysique, lui démontrer toujours qu'il a omis de donner, dans ses propositions, une signification à certains signes. Cette méthode serait insatisfaisante pour l'autre - qui n'aurait pas le sentiment que nous lui avons enseigné de la philosophie - mais ce serait la seule strictement correcte.

6.54 - Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin comme dépourvues de sens, lorsque par leur moyen - en passant sur elles - il les a surmontées. (Il doit pour ainsi dire jeter l'échelle après y être monté.)
Il lui faut dépasser ces propositions pour voir correctement le monde.

7 - Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.

Fragments
8.1

Fragments

(traduction Marcel Conche)

Περὶ φύσεως

Sortie : juillet 1991 (France). Aphorismes & pensées, Philosophie

livre de Héraclite

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

"Si toutes choses devenaient fumée, on connaîtrait par les narines."

La Société du Spectacle
7.3

La Société du Spectacle (1967)

Sortie : 1967 (France). Aphorismes & pensées, Essai, Politique & économie

livre de Guy Debord

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

I, 9. Dans le réel réellement renversé, le vrai est un moment du faux."

I, 29. L’origine du spectacle est la perte de l’unité du monde, et l’expansion gigantesque du spectacle moderne exprime la totalité de cette perte : l’abstraction de tout travail particulier et l’abstraction générale de la production d’ensemble se traduisent parfaitement dans le spectacle, dont le mode d’être concret est justement l’abstraction. Dans le spectacle, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est supérieure. Le spectacle n’est que le langage commun de cette séparation. Ce qui relie les spectateurs n’est qu’un rapport irréversible au centre même qui maintient leur isolement. Le spectacle réunit le séparé, mais il le réunit en tant que séparé.

V, 125. L’homme, « l’être négatif qui est uniquement dans la mesure où il supprime l’Être », est identique au temps. L’appropriation par l’homme de sa propre nature est aussi bien sa saisie du déploiement de l’univers. « L’histoire est elle-même une partie réelle de l’histoire naturelle, de la transformation de la nature en homme » (Marx). Inversement cette « histoire naturelle » n’a d’autre existence effective qu’à travers le processus d’une histoire humaine, de la seule partie qui retrouve ce tout historique, comme le télescope moderne dont la portée rattrape dans le temps la fuite des nébuleuses à la périphérie de l’univers. L’histoire a toujours existé, mais pas toujours sous sa forme historique. La temporalisation de l’homme, telle qu’elle s’effectue par la médiation d’une société, est égale à une humanisation du temps. Le mouvement inconscient du temps se manifeste et devient vrai dans la conscience historique.

Lettre à Ménécée
7.5

Lettre à Ménécée

(traduction Delattre Biencourt)

Sortie : 1 avril 2021 (France). Art de vivre & spiritualité, Philosophie

livre de Épicure

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

"Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien, et tout mal, réside dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris qu’il n’y a pas à redouter de ne pas vivre.

On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre, non parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’il est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui, actuelle et réelle, ne cause aucun trouble. Ainsi, celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous sommes, la mort n’est pas là, et que, quand la mort est là, nous n’y sommes plus. Donc la mort n’a de rapport ni aux vivants, ni aux morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude fuit la mort tantôt comme le pire des maux, tantôt comme le terme des choses de la vie.

Le sage, au contraire, n’a pas peur de ne pas vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne pas vivre 5. De même que ce n’est pas toujours la nourriture la plus abondante qu’il choisit, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n’est pas toujours de la plus longue durée qu’il veut cueillir le fruit, mais de la plus agréable."

Leçons sur la philosophie de l'histoire
8.1

Leçons sur la philosophie de l'histoire

Sortie : 16 octobre 1987 (France). Essai, Philosophie

livre de G. W. F. Hegel

Annotation :

"Ce qu'enseignent l'expérience et l'Histoire, c'est que peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire et n'ont jamais agi selon les maximes qu'on en aurait retirés. Chaque époque se trouve dans des conditions particulières, constitue une situation si individuelle que de cette situation on doit et l'on ne peut décider que par elle. Dans ce tumulte des affaires du monde, une maxime générale ne sert pas plus que le souvenir des situations analogues, car une chose, comme un plat souvenir, est sans force en face de la vie et de la liberté du présent."

Critique de la raison pure
7.4

Critique de la raison pure (1781)

(traduction Jules Barni révisée)

Kritik der reinen Vernunft

Sortie : 12 septembre 1990 (France). Essai, Philosophie

livre de Emmanuel Kant

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

Deuxième partie, Logique transcendantale.
Introduction. Idée d'une logique transcendantale.
I. De la logique en général

Notre connaissance découle dans l'esprit de deux sources principales, dont la première est la capacité de recevoir les représentations (la réceptivité des impressions), et la seconde la faculté de connaître un objet au moyen de ces représentations (la spontanéité des concepts). Par la première un objet nous est donné ; par la seconde, il est pensé dans son rapport à cette représentation (comme simple détermination de l'esprit). Intuition et concept, tels sont donc les éléments de toute notre connaissance, de telle que ni les concepts sans une intuition qui leur correspondent de quelque manière, ni une intuition sans les concepts ne peuvent fournir aucune connaissance. Tous deux sont purs ou empiriques : empiriques, lorsqu'une sensation (qui suppose la présence réelle de l'objet) y est contenue ; purs, lorsque aucune sensation ne se mêle à la représentation. On peut dire que la sensation est la matière de la connaissance sensible. L'intuition pure ne contient par conséquent que la forme sous laquelle quelque chose est perçu ; et le concept pur, que la forme de la pensée d'un objet en général. Les intuitions et les concepts purs ne sont possibles qu'a priori, et seuls ils le sont ; les empiriques ne le sont qu'a posteriori.

De l'inconvénient d'être né
7.5

De l'inconvénient d'être né (1973)

Sortie : 1973 (France). Aphorismes & pensées, Philosophie

livre de Emil-Michel Cioran

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l'oublier. La peur de la mort n'est que la projection dans l'avenir d'une peur qui remonte à notre premier instant.

*

Avoir commis tous les crimes, excepté celui d'être père.

*

Être en vie — tout à coup je suis frappé par l'étrangeté de cette expression, comme si elle ne s'appliquait à personne.

*

La clairvoyance est le seul vice qui rende libre - libre dans un désert.

Discours de la méthode
6.7

Discours de la méthode (1637)

Sortie : 1637 (France). Essai, Philosophie

livre de René Descartes

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort
lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s'en éloignent.

Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux
du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée ou la prompte, ou
l'imagination aussi-nette et distincte, ou la mémoire aussi ample, ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci, qui servent à la perfection de l'esprit : car pour la raison, ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes, qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes, ou natures, des individus d'une même espèce.

Pourparlers
7.6

Pourparlers (2003)

1972-1990

Sortie : 2003 (France). Essai, Philosophie, Entretien

livre de Gilles Deleuze

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

"Dans les sociétés de discipline, on n'arrêtait pas de recommencer (de l'école à la caserne, de la caserne à l'usine), tandis que dans les sociétés de contrôle on n'en finit jamais avec rien, l'entreprise, la formation, la service étant les états métastables et coexistants d'une même modulation, comme d'une déformateur universel. Kafka qui s'installait dans la charnière de deux types de société a décrit dans "Le Procès" les formes juridiques les plus redoutables : l'acquittement apparent des sociétés disciplinaires (entre deux enfermements), l'atermoiement illimité des sociétés de contrôle (en variation continue) sont deux modes de vie juridiques très différents, et si notre droit est hésitant, lui-même en crise, c'est parce que nous quittons l'un pour entrer dans l'autre. Les sociétés disciplinaires ont deux pôles : la signature qui indique l'individu, et le nombre ou numéro matricule qui indique sa position dans une masse. C'est que les disciplines n'ont jamais vu d'incompatibilité entre les deux, et c'est en même temps que le pouvoir est massifiant et individuant, c'est-à-dire constitue en corps ceux sur lesquels il exerce et moule l'individualité de chaque membre du corps (Foucault voyait l'origine de ce double souci dans le pouvoir pastoral du prêtre -le troupeau et chacune des bêtes- mais le pouvoir civil allait se faire "pasteur" laïc à son tour avec d'autres moyens). Dans les sociétés de contrôle, au contraire, l'essentiel n'est plus une signature ni un nombre, mais un chiffre : le chiffre est un mot de passe, tandis que les sociétés disciplinaires sont réglées par des mots d'ordre (aussi bien du point de vue de l'intégration que de la résistance). Le langage numérique du contrôle est fait de chiffres, qui marquent l'accès à l'information, ou le rejet. On ne se trouve plus devant le couple masse-individu. Les individus sont devenus des "dividuels", et les masses, des échantillons, des données, des marchés ou des "banques". C'est peut-être l'argent qui exprime le mieux la distinction des deux sociétés, puisque la discipline s'est toujours rapportée à des monnaies moulées qui renfermaient de l'or comme nombre étalon, tandis que le contrôle renvoie à des échanges flottants, modulations qui font intervenir comme chiffre un pourcentage de différentes monnaies échantillons. La vieille taupe monétaire est l'animal des milieux d'enfermement, mais le serpent est celui des sociétés de contrôle."

Post-scriptum sur les sociétés de contrôle

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