Top 10 BD selon Shap6

Annotation :

La BD de mon enfance et probablement de ma vie. Un gamin de six ans et son tigre en peluche discutent de la vie, de la mort, et de pourquoi il faut faire ses devoirs. Sauf que le tigre n'est une peluche que pour les adultes. Pour Calvin, c'est son meilleur ami philosophe.

« What’s the point of learning about integers when we’re all going to die? »

Annotation :

Un bijou surréaliste. Fred ouvre une brèche dans le tissu même du réel en faisant de Philémon l’explorateur d’un univers où les lettres écrites sur les cartes deviennent des territoires habitables, actualisant avant la lettre les théories littéraires sur la carte et le territoire (Julien Gracq, Lewis Caroll, J.L. Borges). Barthélémy avec ses chaises qui poussent dans le dos (« c'est la maladie du A ») incarne cette logique de l’absurde traité avec le plus grand sérieux dans ce monde où les arbres donnent de l’eau courante et où le temps s’écoule différemment selon l’humeur des horloges.

Annotation :

Marco est photographe. Il fait des crises d'angoisse. Il tombe amoureux d'Émilie. Son père vieillit. La vie, quoi. Quand l'angoisse monte, les pages deviennent noires. Quand ça va mieux, l'aquarelle revient. « Qu'est-ce qui est beau ? Ce qui est vrai. » Marco photographie les clochards en cherchant la poésie. Parfois il la trouve, parfois non. C'est une BD sur notre génération, celle qui ne sait plus si elle doit être cynique ou sincère, alors elle est les deux.

Annotation :

Que feriez-vous si vous vous réveilliez dans votre corps de 14 ans avec votre conscience d'adulte ? C'est ce qui arrive à Hiroshi. Il peut empêcher son père de disparaître. Mais doit-il le faire ?

Annotation :

Araki réinvente complètement JoJo en transposant l’action dans l’Amérique de 1890, créant ce western métaphysique délirant où une course de chevaux transcontinentale devient quête mystique pour les morceaux du corps du Christ éparpillés dans le désert. Johnny Joestar fait tourner ses ongles selon le nombre d’or, Gyro Zeppeli maîtrise l’art de la rotation parfaite, le président Valentine voyage entre les dimensions parallèles, chaque stand obéit à sa propre logique interne tout en défiant allègrement les lois de la physique. C’est baroque, c’est épique, c’est ma partie préférée avec Diamond is Unbreakable.

Annotation :

Blair transforme l’histoire vraie de Matt Rizzo, aveugle depuis l’enfance suite à un accident de chasse avec son père et qui devient plus tard braqueur de banques avant de découvrir la poésie en prison, en méditation graphique sur la perception et ses limites. Les gravures sur bois créent ces pages dominées par le noir qui actualisent physiquement l’expérience de la cécité, les mots apparaissant comme des éclairs de lumière dans l’obscurité totale. L’œuvre évite le piège du récit édifiant pour explorer les zones grises de la culpabilité et de la rédemption. C'est bouleversant et beau. La preuve que la BD peut tout raconter, même l'invisible.

When the dark comes
It comes first to the eyes.
It pours in like ink and drowns the world.
But if the ears are open
you may yet hear the sea-wind,
or the horn of a train,
or a child on the stair.
So keep the ears open.
For a man who is blind
may still learn the weather.

Annotation :

Jules traverse les époques et les espaces (Angleterre, France, océan, espace, ville, campagne, grottes, champs, agoras) avec une désinvolture qui dissimule des questionnements vertigineux sur la causalité, le déterminisme et l'absurdité de nos conventions (entendons par là, aussi, les lois du monde physique). Emile Bravo réussit à glisser des réflexions métaphysiques complexes dans ce qui pourrait passer pour une simple BD jeunesse ; la BD, selon ses propres dires, ne doit pas être infantilisante bien qu'elle s'adresse à des enfants. L'humour bizarre et fascinant de Jules, toujours accompagné de ses deux étranges compagnons extraterrestres, transforme chaque aventure en exercice philosophique déguisé. Une série de six tomes qui est en tous points extrêmement attachante.

Annotation :

Timothé Le Boucher construit son thriller existentiel autour d’un concept vertigineux : Lubin vit un jour sur deux sans s’en apercevoir. Il a développé une seconde personnalité qui partage son corps un jour sur deux. Mais la régularité faillit et l'une des personnalités prend de plus en plus de place. C’est du Philip K. Dick en BD française, avec cette même capacité à utiliser les codes de la science-fiction pour explorer les failles de l’identité contemporaine – on pense aussi au récent The Substance de Coralie Fargeat qui explore des thématiques similaires de dédoublement et de l'invasion d'une forme d'extériorité dans notre « Je suis » identitaire.

Annotation :

Spider Jerusalem débarque dans la Ville avec ses lunettes rouges iconiques et sa haine totale pour une humanité qu'il veut paradoxalement sauver, transformant le journalisme gonzo en arme de destruction massive contre la corruption politique. Ellis et Robertson créent un univers d'une densité visuelle hallucinante où chaque case déborde de détails délirants : religions jetables, drogues qui transforment temporairement en alien, présidents fascistes dissimulant leur vraie nature. C'est prophétique dans sa vision d'un futur où l'information est à la fois omniprésente et totalement corrompue.

Annotation :

Pozla transforme sa maladie de Crohn en matière narrative avec une honnêteté brutale qui évite tant l'apitoiement que la pudeur excessive ; l'intestin grêle y est un personnage à part entière avec ses caprices tyranniques. L'humour noir et grinçant est parfaitement maîtrisé par l'auteur. C'est une leçon magistrale sur la façon dont l'autobiographie en BD peut transmuter l'expérience la plus intime et scatologique en quelque chose d'universel et paradoxalement cathartique.