Roman philosophique qui se lit comme un polar

Tristan Garcia aborde des questions philosophiques par la fiction : Quelle est ma place dans ce monde? Quel est mon rôle? Est-ce que le but est mon bonheur ou celui des autres? Est-ce que les événements de ma vie et de l'histoire ont un sens? Est-ce que le but commun aux hommes est l'égalité, la disparition de l'injustice et l'harmonie entre tous?

A travers l'aventure d'un homme condamné à revivre sa vie à plusieurs reprises, nous découvrons les étapes qu'il traverse, ses interrogations et ses changements d'orientation pour donner un sens à sa vie.

Il commence par mener une vie paisible, rencontre une femme, l'épouse et fonde une famille. Sa vie semble tracée et sans surprise. Il n'a pas fait de choix risqués mais a plutôt choisi de s'installer dans le confort jusqu'au jour où la dure réalité le rattrape et lui enlève sa femme. Elle succombe à une maladie fatale. Impuissant face à cette tragédie, il se retrouve dévasté. La vie a gagné face à celui qui vivait dans la croyance que rien ne pouvait l'atteindre et que tout était le résultat de ses actions. Dans sa bulle de bonheur et de maîtrise, il est aveuglé et n'a pas imaginé qu'un tel malheur pourrait un jour arriver.

Ayant le pouvoir de se souvenir de ses vies précédentes, il aborde sa seconde vie avec la volonté ferme d'empêcher la maladie de sa femme. Il étudie la médecine, fait des recherches poussées pour faire émerger des nouvelles solutions et la sauver. Il trouve alors sa raison de vivre et son moteur. Or cette mission prend une telle place qu'il finit par passer moins de temps avec sa femme. Elle le quitte et en épouse un autre. Contrairement à sa première vie, cette perte ne l'atteint peu car il a compris que le bonheur de l'être aimé (et sa survie) était plus importante que leur vie commune et que son bonheur personnel. Cependant, elle ne tombe pas malade et ne meurt pas comme 'il l'avait prévu. Il a passé sa vie à sauver quelqu'un qui n'en avait pas besoin. Lui qui pensait pouvoir changer le cours des choses, au moins le cours d'une seule vie, se retrouve encore face à un destin imprévisible, à une vie qui ne laisse pas le pouvoir aux hommes de décider.

A sa vie suivante, il a un objectif plus grand qui dépasse ses objectifs personnels. Il ne se soucie plus de son confort et d'être aimé par sa partenaire puisque par le passé, il a bien compris qu'il n'en avait pas les moyens. Il cherche maintenant à changer le cours de l'Histoire avec un grand H, à s'investir dans la vie politique et guerrière. S'étant affranchi de la peur de la mort, il a le recul nécessaire pour faire face aux horreurs de la guerre et à avancer malgré la violence grandissante dans un contexte politique conflictuel. Son nouveau rôle dans le monde est alors d'agir pour avoir une emprunte positive dans les événements du monde. Selon lui, les grands politiques et guerriers de tout temps étaient des personnes qui avaient vécus plusieurs vies ou qui avaient la maturité nécessaire pour gravir les montagnes dans un but collectif en laissant l'intérêt personnel et la peur de mourir de côté. Certes, il a réussi à gagner cette guerre et a acquis une certaine notoriété mais aux sacrifices de nombreuses vies et pour un progrès social dérisoire.

A sa quatrième vie, il comprend qu'il a d'emprise sur rien, qu'il subit sa vie et que le contrôle était illusoire.Il décide alors de renoncer et de mener une vie d'ascète. Il révèle son caractère mystique aux autres et devient gourou auprès de nombreux fidèles qui cherchent à donner un sens à la vie. Il mène une longue vie loin de tout, sans but. Il ne contrôle pas sa vie mais n'en est pas non plus l'esclave puisqu'il en est simplement indifférent. Mais est-ce cela le bonheur? Le manque de contrôle devrait-il nous empêcher de tenter quoique ce soit? Est-ce que l'inaccessibilité du sens de la vie devrait nous arrêter de nous poser des questions ? Quant à lui, il meurt en ayant une indifférente par rapport à sa mort, tout comme à sa vie.

Une nouvelle fois, il renaît. Lassé d'avoir tenté plusieurs façons d'aborder sa vie sans trouver ni le sens, ni le but, ni la satisfaction, il décide cette fois-ci de succomber à ses désirs peu importe leur perversité. Puisqu'il n'y a pas d'issu et que nous sommes tous condamnés à mourir, quel est l'intérêt de faire le bien autour de soi? Quel est le but de s'améliorer et de faire progresser le monde? Il décide donc de s'aventurer vers des chantiers interdits. Par exemple, il est curieux de l'effet que pourrait lui procurer le meurtre de sang-froid d'une personne innocente, de faire du mal aux autres. Effectivement, il ressent une satisfaction perverse sur le moment mais ceci ne l'avance en rien non plus… Quel est donc la réponse, quel issu? Les questions demeurent sans réponse.

Le personnage traverse donc plusieurs étapes de la vie que certains rencontrent non pas dans différentes vies mais condensées dans une seule : vivre sans se poser de questions et profiter de ce que la société et le progrès nous offrent, vivre en voulant changer les choses à l’échelle personnelle pour ne pas subir son destin mais d’en être l’acteur, vivre en s’intéressant aux intérêts plus larges que ses intérêts personnels, se rendre compte du décalage entre ses idéaux et la réalité, se décourager, abandonner et être en retrait de la société et de toute volonté de changement, se révolter contre l’absurdité de la vie et de la mort, profiter à fond de ce qu’offre le monde sans chercher à changer quoi que ce soit, penser à soi et non aux autres. Puis, se rendre compte de l’absurdité de toutes ses tentatives de comprendre et donner un sens à ce qui n’est pas accessible à l’Homme, accepter cette condition et se contenter d’aider ses semblables car nous sommes tous dans la même impasse.

Ces différentes vies sont retranscrites à travers des histoires surnaturelles et des interrogations: pouvons-nous agir sans conséquences? À quoi bon regretter et vouloir changer le passé? Est-ce que je mérite plus ma place et ma condition de vie qu'un autre? Est-ce qu'en donnant mes avantages à un désavantagé suffit pour re-équilibrer les forces et rendre le monde plus juste? Est-ce que la solidarité à des limites, à savoir celles d'être moins bien loti que celui à qui j'ai donné? Est-il possible de changer le cours de l'histoire à grande échelle, de faire une révolution sans heurt et sans laissés-pour-compte? Existe-t-il un modèle politique juste pour tous? L'Histoire est-elle déjà écrite, notre destin scellé et nos actions vaines? Dans quelle mesure je vis dans la réalité ou suis-je dans le monde que l'homme a construit et inventé? Suis-je conditionné et manipulé? Est-ce que je vis dans un monde libre? Ai-je la liberté de penser et de m'exprimer? Ne devrais-je jamais cesser de douter? Nos différences ne sont-elles pas plutôt des forces que des faiblesses qui nous divisent et nous éloignent des autres?

Tristan Garcia ne nous donne pas les réponses, sûrement qu'il n'en existe pas de simples, mais au moins, il nous invite à nous poser les questions et à douter à travers la fiction.