Lorsque j’achète des bouquins, je marche surtout à l’instinct. Une quatrième de couv’ me parle ? Un nom d’auteur me rappelle quelque chose ? Le premier paragraphe me plaît ? Hop! J’achète ! Et le bouquin rejoint alors ... “la pile.” Et à partir de ce moment là, on oublie l'instinct et le rationnel revient au galop. “La pile,” c’est cette tour plus ou moins branlante que constituent les achats récents ou moins récents, arrangés dans un certain ordre : de l’oeuvre que j’ai le plus envie de lire en haut à celle qui me dit le moins tout en bas. Et lorsque je finis un bouquin, j’attrape sans réfléchir celui qui est en haut de la pile. Le malheur étant que je réorganise de temps à autre cette pile lorsque je passe devant, en fonction de mon humeur, et que certains bouquins sont constamment, semaine après semaine, mois après mois, poussés vers le bas.
C’est ce qui est arrivé à “A Line in the Sand.” Ca partait pourtant bien : le résumé promet de dépoussiérer des archives nouvellement rendues publiques, ces dernières illustrant le rôle qu’ont joués français et anglais dans le démantèlement de l’Empire Ottoman au proche-Orient après la première guerre mondiale, en traçant une ligne bien droite dans le désert, avec au nord les français et au sud les anglais, et les 30 années qui ont suivi. Réel sujet d’actualité. Essentiel à la compréhension des problématiques actuelles dans la région (Syrie, conflit Israélo-Palestinien…). Plein de bonne volonté, j’ai failli le commencer plusieurs fois, désireux d’enfin m’éduquer un peu sur cette période. Mais les 350 pages de petite police d’écriture m’ont régulièrement rebuté. Le sujet promettait d’être complexe. En bref, le bouquin a été repoussé au fond de "la pile" pendant près d’un an...
Et quel dommage ! C’est tellement clair sans trop vulgariser. Barr a effectué un travail remarquable pour donner vie à des événements qui ont commencé il y a plus de 100 ans, surtout en se focalisant sur les acteurs du feuilleton. Les généraux, consuls, diplomates, ministres, présidents, et autres hommes politiques sont décrits avec précision, dans ce qu’ils avaient de magnifique bien sûr, mais surtout dans ce qu’ils avaient de plus vil. Leurs objectifs politiques dénués de toute considération pour les populations locales, leur aveuglement colonial, et surtout leur volonté de nuire en tout aux copains d’en face sont au centre des commentaires souvent ironiques de Barr.
Des quantités de bons mots, de formulations chocs et de dialogues savoureusement rapportés ou imaginés parsèment les pages, échappant outre-tombeau des lèvres de personnages hauts en couleurs : Lawrence d’Arabie, Churchill, de Gaulle et bien d’autres sont à la fête. Au final, la lecture a été très plaisante. On peut parfois s’interroger sur l’impartialité de l’auteur, étant donné son origine britannique. Mais en tant que bon français, la lecture n’en est que plus plaisante, tant on se prend à parfois défendre les actions de nos compatriotes diplomates, tout en étant évidemment consterné par la perfidie de ces satanés anglois… Tout un programme !