Soucieux de trouver un public aussi large que possible, mais de qualité, Strindberg se dirigea, dès 1870 (il est né en 1849) vers des sujets de pièces traitant des célébrités de la culture scandinave (et pas exclusivement suédoise, Strindberg étant suédois). Reportant à plus tard l’achèvement d’une pièce sur Érik XIV (roi de Suède au XVIe siècle), Strindberg préféra rédiger une œuvre en vers libres narrant un bref épisode de la vie du plus célèbre des sculpteurs danois, Bertel Thorvaldsen.


Thorvaldsen n’est pas le premier venu. Véritable génie de la sculpture néo-classique danoise et européenne, on lui doit nombre de statues à l’antique d’une grande perfection, et Strindberg raconte d’ailleurs ici un épisode réel de la jeunesse de ce maître : lorsqu’il séjourna à Rome pour y parfaire sa formation ; Thorvaldsen y travailla à l’élaboration d’une statue de Jason (et la Toison d’Or). Cette statue fut remarquée par un riche collectionneur anglais, Thomas Hope, qui lui en commande une version en marbre. Dès lors, la carrière enviable de Thorvaldsen était lancée.
Dans cette brève pièce versifiée, Strindberg se projette doublement sur Thorvaldsen : il espère obtenir comme lui un succès inespéré, et trouver un généreux mécène (alors que Strindberg doute encore de sa propre vocation artistique); d’autre part (et là, il est moins sûr que Thorvaldsen ait connu ce problème-là), le sculpteur danois est présenté comme soumis à l’autorité tyrannique de son père, qui lui enjoint de quitter cette activité qui le fait végéter dans une misère très « romantique ». Thorvaldsen est prêt à abandonner la sculpture pour aller travailler dans un chantier naval (ce que lui ordonne son père). Il est même disposé à laisser tomber sa fiancée. Cette esquisse reflète le conflit que Strindberg entretenait avec son père, et le peu de confiance qu’il avait envers les femmes.
On appréciera la tirade d’exaltation quasi mystique que prononce Thorvaldsen pour exposer comment il instille de la beauté dans son art. Strindberg affuble Thorvaldsen d’un compagnon artiste, qui lui sert aussi de modèle, Pedersen, assez sympathique, et qui a l’air de prendre la vie du bon côté, dessinant ainsi un contraste intéressant avec Thorvaldsen, perfectionniste et angoissé. Pedersen nous offre une belle apostrophe envers un propriétaire pingre qui vient exiger son loyer vis-à-vis des deux jeunes artistes désargentés.
Qualifiée de « comédie » par Strindberg, cette pièce n’est pas spécialement drôle. Tout au plus peut-on reconnaître qu’elle se termine bien. Sans doute Strindberg, au seuil de sa vie d’artiste, rêvait-il d’une réussite aussi manifeste que celle du sculpteur. Il gagnera la célébrité, certes ; mais quant à la sérénité du cœur, c’est une autre affaire.
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le 11 oct. 2015

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