Une œuvre percutante et utile.
La France en 2015. Afin de booster l’économie, une nouvelle loi interdit les services gratuits. Aider son voisin à bricoler, garder ses petits-enfants, faire les courses pour sa voisine âgée, tout cela, considéré comme de la concurrence déloyale, doit être payant. Les contrevenants, surveillés par un service de police dédié, risquent de la prison et une forte amende.
Pour illustrer cette nouvelle loi, Emmanuelle Heidsieck nous fait suivre dans ce court roman deux narrations : la préparation du texte par deux bureaucrates du ministère de l’intérieur avant son vote à l’assemblée et sa mise en œuvre à travers l’une des premières arrestations jusqu’à la condamnation. On voit ainsi les fonctionnaires, sans convictions, travailler pour des raisons purement égoïstes : l’un veut se faire bien voir pour faciliter sa promotion ; l’autre, récemment muté dans le bureau, ne cherche qu’à limiter ses conflits avec son supérieur. Du côté de l’application, c’est l’inéluctabilité et la soumission qui domine : aussi bien la police lors de l’interpellation que l’avocat du prévenu au procès se coulent dans cette nouvelle loi sans contestation, évoquant un pays amorphe. On peut évidemment trouver l’absence de réaction un peu grosse, mais on se souviendra que des lois contre la population ont déjà pu être votées et appliquées en France.
A l’aide ou le rapport W n’est pas sans défaut : son côté didactique, sur 140 pages, finit par être pesant. Court roman, son efficacité aurait été plus grande avec un élagage le transformant en nouvelle. Mais le texte n’en reste pas moins juste : il n’est pas nécessaire de se forcer pour que la loi imaginée par l’auteur soit crédible, supprimant la solidarité et l'entraide désintéressée. Le roman est d'ailleurs parsemé d'exemples de lois des trente dernières années et allant dans le même sens. Une œuvre percutante et utile.