Une bonne biographie sur un personnage qui demeure une énigme

Au cours de ma lecture de l'excellent ouvrage "Les maîtres du Troisième Reich" de l'historien allemand Joachim Fest, qui s'attachait à dresser un portrait et une analyse psychologique des principaux chefs nazis, mon attention a été plus particulièrement attirée par le parcours et la personnalité d'Albert Speer. Le même auteur lui ayant consacré une biographie, je me suis empressé de la lire, et celle-ci a parfaitement répondu à mes attentes... même si elle suscite autant de questions qu'elle n'apporte de réponses.


Parmi tous les noms, de sinistre mémoire, associés au nazisme, celui de Speer n'est pas forcément l'un des premiers à venir à l'esprit. Ce ne fut pourtant pas un "second couteau". Il fut à un moment donné le numéro deux du régime derrière Hitler ; durant les dernières années de la guerre, en tant que ministre de l'Armement, il avait la haute main sur toute l'économie du Reich, et donc d'une grande partie de l'Europe. Ce qui surprend d'abord chez cet homme, c'est son profil atypique : cultivé, poli, intègre, sérieux, il détonne au milieu des soudards brutaux et grossiers pullulant dans l'entourage du Führer. Jusqu'au bout il se présenta comme "apolitique" et n'adhéra jamais aux thèses du national-socialisme.


Car Speer est avant tout un artiste. Sa fulgurante ascension débute par de modestes travaux d'architecture auprès des responsables politiques, bientôt suivis par la mise en scène des "grand-messes" nazies : les jeux de lumière, les parades de drapeaux, toute cette liturgie qui impressionne encore aujourd'hui quand on regarde les vidéos d'époque, est due à Speer. Alors qu'une amitié se forme entre les deux hommes, Hitler lui confie de grands projets architecturaux qui non seulement serviront à clamer à la face du monde la prétendue supériorité du Reich et du peuple allemand, mais aussi, de manière plus inattendue, à former de "belles ruines" à l'image des vestiges gréco-romains, lorsque le passage des siècles aura effectué son oeuvre.


Mais la fonction de Speer ne se borne pas à celle d'un "chef décorateur". Son rôle dans les crimes nazis devient plus direct à mesure qu'il obtient de nouvelles responsabilités. Ainsi, lorsqu'il préside à la modernisation de Berlin, il ne s'émeut pas du fait que les populations expropriées soient en majorité des Juifs (qui, au lieu d'être relogés ailleurs, disparaissent purement et simplement du paysage berlinois) ; plus tard, lorsqu'il succède à Fritz Todt à la tête du ministère de l'Armement, il cherche par tous les moyens à accroître la production (et y parvient fort bien, malgré les bombardements alliés sur les usines allemandes), et tant pis si ces bons résultats économiques sont obtenus grâce au travail de prisonniers de guerre détenus dans des conditions inhumaines...


Au bout du compte, à la lecture de cette biographie, il est difficile d'affirmer que l'on comprend parfaitement le personnage de Speer, et ce n'est pas la faute de l'auteur : jusqu'à sa mort à l'âge de soixante-seize ans, en 1981 (il échappa en effet de peu à la condamnation à mort au procès de Nuremberg), l'ancien "confident de Hitler" est demeuré une énigme. Et c'est ce qui contribue à le rendre aussi fascinant, mais aussi dérangeant. Face à d'authentiques déments comme Göring ou Himmler, il est facile de se rassurer en se disant "Jamais je n'aurais pu agir comme ces monstres sanguinaires"... Mais que dire, que penser, face à l'exemple d'un homme cultivé, poli, intègre, sérieux, comme le fut Albert Speer ?

Oliboile
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le 2 sept. 2017

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