Albert et Edouard ont survécu à la Grande Guerre, un exploit en soi. Sur le champ de bataille, à quelques jours de l’Armistice, ils ont vécu un événement qui les a liés à jamais.

Retournés à la vie civile, ils sont confrontés à une nouvelle épreuve : le rejet d’une société qui pleure ses morts mais refuse obstinément de réintégrer les vivants, jugés trop encombrants. Comment s’en sortir lorsque l’on a perdu son travail ou la gueule tellement amochée qu’on ose plus mettre les pieds dehors ? Pour tirer leur épingle du jeu, les deux amis vont monter une grande arnaque, à l’échelle nationale, et surtout, ils vont s’attaquer au symbole le plus sensible de cette France en deuil : ses morts.

Parallèlement à la débâcle d’Edouard et d’Albert, Henri d’Aulnay-Pradelle, leur ancien lieutenant, multiplie les hauts faits : fastueux mariage, copinage en hauts lieux, établissement d’une société qui a pignon sur rue, restauration de la grande demeure familiale, … Sa spécialité ? Le transport de cadavres et la réhabilitation des cimetières militaires. Un business lucratif après le grand massacre !

Le destin de ces trois hommes ne cesse de les faire s’affronter : au final, le vainqueur ne sera peut-être pas celui que l’on pense.

Dans Au Revoir là-haut, Pierre Lemaitre dénonce l’hypocrisie avec laquelle l’Etat français a géré la démobilisation. Pendant qu’il érigeait des monuments pour ses morts, il était incapable de payer les pensions des survivants. C’était alors le règne de la débrouille pour ces anciens soldats qui avaient tout perdu : de leur travail ("l’économie est en crise, on a gardé ceux qui étaient présents dans la société ces dernières années") à leur famille (qui voudrait d’un infirme paranoïaque ?!) en passant par leurs amis, morts au combat. Certains multiplient les petits boulots pendant que d’autres, ravagés par les séquelles physiques et psychologiques de la vie dans les tranchées sombrent dans la drogue et la délinquance.

Pierre Lemaitre est un auteur de polar, chose qui se ressent dans son talent à faire monter le suspens tout au long du roman. Il construit des personnages vrais au profil psychologique très travaillé. Certaines scènes sont décrites avec une précision quasi chirurgicale, emportant le lecteur au cœur de l’action. Tout cela ponctué d’un humour plus que cynique qui évite de tomber dans le morbide (les citations de la mère d’Albert sont parfois truculentes). Il parvient également à retourner des situations qu’on croyait définies d’avance, de manière naturelle et parfois surprenante.

Comment ne pas s’attacher à certains personnages ? Albert le raté, complètement parano, qui ne peut pas s’empêcher de s’engouffrer dans des situations inextricables ; Edouard, l’artiste incompris et immature, ravagé par le rejet de son père ; Madeleine qui, sous ses airs d’épouse soumise, cache une femme forte et déterminée, … De même, impossible de ne pas détester ce Pradelle, imbu de lui-même et dépourvu de tout sens moral.

Ce roman, c’est aussi l’histoire de relations filiales qui pèsent quotidiennement sur les épaules de personnages qui pourtant, ne se côtoient plus depuis longtemps ; l’histoire d’un père qui ne réapprend à aimer son fils qu’une fois qu’il l’a perdu.
Maghily
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le 10 nov. 2013

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Maghily

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