Deux livres en un - et ils ne se valent pas

Selon moi, Belle du Seigneur comporte en réalité deux livres, se tirant chacun un part à peu près égale des mille et quelques pages de l'ouvrage.
La première partie est une sorte de Bouvard et Pécuchet épouse Madame Bovary, le tout dans l'administration de feu la SDN basée dans la très protestante Suisse. Autant dire que ça décape du petit fonctionnaire et de la bourgeoise ennuyée de ses langueurs. C'est drôlement méchant, dans les deux sens du terme. Cohen cible à merveille et pour notre plus grand plaisir le ridicule de toutes choses humaines, au premier rand desquelles, le sexe. Surtout quand il est conjugal, surtout quand il se fait entre un petit fonctionnaire suisse sans ambition qui selon les dires même de sa bourgeoise frigide à force de bovarysme narcissique "gigote" sur elle. Cette partie du roman est absolument cinglante, acérée, drôle et contient déjà en germes le souffle épique qui portera la seconde partie.

Seconde partie que j'aime nettement nettement moins. Entre le gigoteur et son Ariane qui a perdu le fil depuis bien longtemps, surgit Solal.
Beau, viril, exotique, charmant. L'essence de l'homme dans un homme, le tout aux pieds d'Ariane folle de désir et d'admiration.
Commence alors plusieurs centaines de pages de ce qu'on dit être le plus grand roman d'amour de la littérature (française, retenons-nous). C'est là à mon avis, que ce fameux "on" se fourvoie.

Qu'il s'agisse d'un roman de passion, à la rigueur, mais pas d'amour. De désir, oui, et magnifiquement; d'admiration, également dans ce qu'elle a de plus maladive. Et comme toute passion est erreur et enlisement (cf La Blessure Amoureuse d'Alain Cugno, magistral essai sur ces thèmes), et bien Solal et Ariane s'enlisent, le style le montre très bien. Mais enlisement n'est en-lecture, et moi je décroche. C'est trop. Comme une pâtisserie tellement sucrée que la manger provoque des hauts-le-coeur dès la deuxième bouchée.

Suggestion de consommation: première partie sans modération, partie de transition, à bouchées généreuses, fin du roman: avec modération, gardez un verre d'eau pas loin, et préférez manger le dessert en plusieurs fois. Au pire il y aura des restes. Passées 800 pages, on est plus à deux cents près
ChD
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le 16 mai 2012

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ChD

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