Bloy journaliste
7.9
Bloy journaliste

livre de Léon Bloy (2019)

Je ne reviens pas en détails sur le contenu des textes qui constituent cette anthologie : Léon Bloy a toujours écrit plus ou moins la même chose et plus ou moins de la même façon. On peut en prendre pour preuve le fait qu’assez régulièrement, tel ou tel passage de ses articles se retrouve ailleurs – dans le Désespéré, dans les huit volumes du Journal, même dans les nouvelles. D’autre part, comme les textes de Bloy sont extrêmement cohérents, aborder un thème amène vite à traiter tous les autres – ou plutôt amène à la question du Verbe, qui résume toute l’œuvre –, ce qui n’est pas ici le lieu. Quant au titre d’un des articles, « L’Art de déplaire ou le Scalp en littérature » (le Chat noir, 15 décembre 1883), il pourrait résumer sa vie.
C’est tout juste si je m’attarderai sur un trait, que l’ordre chronologique adopté pour ce Bloy journaliste sous-titré Chroniques et Pamphlets met en lumière : le ton du moraliste des débuts (« Les hommes se vengent sur leur raison de l’indigence coupable de leur cœur, et ils massacrent la vérité pour être dispensés de l’adorer », p. 53, dans la critique d’« Histoire de la Révolution française, par Carlyle », 20 mai 1874) laisse petit à petit la place à la prose d’un homme qui non seulement aime se battre, mais sait se battre – c’est-à-dire qu’il ne cherche plus à écraser une mouche avec un char d’assaut, et qu’il a depuis longtemps abandonné l’idée de convaincre la mouche : « Si j’avais la niaiserie de répéter, qui pourrait comprendre ? » (p. 306, « Avant-propos » de l’Assiette au beurre du 16 mai 1903).
Une autre raison pour laquelle je ne m’y étends pas, c’est que l’éditeur, Pierre Glaudes, le fait très bien. Peut-être d’autres spécialistes de Bloy trouveraient-ils à redire dans le choix des textes, mais pour un lecteur curieux et non-universitaire comme moi, il n’y a rien à objecter. (Bien sûr les Essais et Pamphlets publiés chez Robert Laffont ont l’air très bien, mais la littérature est si riche et les heures si rares.)
En attendant, les quatre cents pages (érudites sans être assommantes et éclairantes sans oblitérer l’œuvre) de ce florilège mettent en valeur le style et les idées (je sais, c’est la même chose…), parfois complexes et souvent pour dépayser les modernes autoproclamés que nous sommes, d’un écrivain capable d’écrire que « Le jour où il n’y aura plus moyen de faire une bonne action ou une œuvre d’art sans risquer le bagne ou tout au moins le pilori, il est clair que le monde sera gouverné par des journalistes et que le Déluge de Merde sera sur le point de commencer. » (p. 301) et, du reste, suffisamment paradoxal pour être ultracatholique tout en échappant à l’antisémitisme et en haïssant Barrès, ou pour considérer que Christophe Colomb était guidé par Dieu tout en vitupérant – c’est peu de le dire – contre la colonisation.
Il me semble, du reste, que Bloy est le plus drôle des écrivains catholiques et que, malgré les apparences, il le sait, y compris lorsqu’il est sérieux – par exemple quand il écrit, dans une critique de Beethoven de Vincent d’Indy, que « La musique allemande est un préjugé aussi incurable que l’antisémitisme et pour des raisons analogues. Au Jugement universel, éperdument désiré par tous les cœurs purs, il y aura des ajournements et des chicanes de procédure à n’en plus sortir, suscités par des antisémites et des musiciens allemands » (p. 329, publié en février 1912 dans le journal de l’école de musique de sa fille…).

Alcofribas
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le 4 juin 2019

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