Je vous préviens, ce livre est une bombe. Et pas n'importe laquelle. C'est une bombe nucléaire, qui va tout détruire sur son passage.


Au boulot, on est un peu en retard sur nos lectures de la rentrée littéraire. C'est comme ça que samedi dernier, je me suis retrouvée en train de fouiller dans la pile qui s'entasse sur les étagères marquées "rentrée littéraire 2015". J'embarque le dernier Chalandon, un autre sur Dora Maar, muse malheureuse de Picasso, et un troisième, ovni qui oscille entre BD et roman, tout ça sans conviction profonde. Peu enthousiaste, mon regard est attiré par la tranche turquoise et le titre court qui martèle déjà la violence d'un roman sans concession : Brutes. Le résumé me plaît et me fait peur, je l'entame le soir même.


Rencontre avec le héros, Peter Davidek, dont le patronyme est constamment écorché, comme une insulte, la première d'une longue liste qui va s’égrener tout au long de l'histoire. Autour de Davidek gravitent d'autres personnages : Noah Stein, qui sous ses airs provocateurs et une cicatrice physique bien réelle, cache une blessure qui, elle, ne se refermera jamais ; Loreleï, qui va passer, presque sans regret, du statut de victime à celui de bourreau, qui ne soupçonne pas, qui ne comprend pas sa propre cruauté ; et tous les autres, à la fois instigateurs et instruments du malheur, dans un environnement qui ressemble au Purgatoire, ironique, pour un établissement catholique.
Toute ce microcosme évolue en effet à Saint Mike, Saint Michael the Archangel, alors qu'on ne peut guère imaginer un endroit plus abandonné des saints que celui-ci. Tout s'écroule, la pluie s'y infiltre, érodant les briques qui s'effritent doucement, laissant sur les murs des traces rouges comme le sang : un symbole qui prend tout son sens. Et la ruine physique du lycée n'est que le pâle reflet de sa dépravation morale, où les responsables, quand ils ne sont pas corrompus ou névrosés, sont vains.


La violence traverse les couloirs de l'établissement comme une rumeur, elle est tellement acceptée qu'elle en semble encouragée. C'est terriblement choquant, cela donne la nausée, et même en tant que lecteur, on se sent presque coupable de ne pas pouvoir détacher ses yeux des phrases qui courent sur le papier. Chaque personnage à sa part d'ombre, c'est le portrait - et le procès ? - cruel et véridique de l'espèce humaine, pervertie et hypocrite, mauvaise jusqu'au plus profond de son âme. Même Davidek, qui espère qu'il est encore du côté des gentils, sait qu'au fond, il a perdu son innocence, et ne souhaite rien d'autre que de "voir sanctionnés [les gamins de St-Mike] comme ils le [méritent]". Il n'y a de salut, de rédemption pour personne.
Et le sujet est bien traité. L'écriture est particulièrement puissante. J'ai été assez impressionnée. Une fois commencé, il m'a été quasiment impossible de lâcher ce livre. Et il est assez bien écrit pour m'avoir surprise, ce qui n'arrive pas si souvent. Ce ne sont pas seulement des phrases qui font mouche, ou de bons mots. Ce sont des passages entiers qui vous emmènent exactement là où l'auteur le voulait, sans que vous vous en rendiez compte, au moment où il est déjà trop tard, faisant de vous le complice involontaire de la cruauté de ses personnages.
Il y a une scène en particulier, qui m'a interpellée. Lors de la semaine internationale qui a lieu à St-Mike, des élèves jouent, en espagnol, une saynète ridicule. Si ridicule que je n'ai pas pu m'empêcher de rire devant tant de bêtise, mon imagination foisonnante me permettant sans peine d'imaginer la scène comme si elle se déroulait sous mes yeux. Jusqu'au moment, au dernier moment. Le moment où, comme Davidek, je comprends que ce n'est pas seulement une mise en scène destinée à faire rire une assemblée, mais qui reconstitue l'histoire secrète et tragique d'un pauvre garçon, l'humiliant, le terrassant de chagrin avec une violence inouïe. Cette scène, je l'ai ressentie comme un coup de poing à l'estomac. Et ce n'est évidemment pas le seul éclair de génie de ce livre, mais je ne vais pas trop vous en dire pour un seule, bonne, et simple raison : il faut le lire.


Pour finir, et peut-être parce que cette phrase est celle qui m'a le plus marquée, un bref extrait, une citation. Je la restitue en substance, car je ne la retrouve pas évidemment. Elle est à propos de Stein, mais décrit peut-être un état d'esprit plus général, et m'a parlé personnellement : "Ce n'est pas seulement qu'il se bat, il fait la guerre".

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le 18 août 2015

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marquise

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