Les textes réunis dans Cantatrix Sopranica L. et autres écrits scientifiques ont dans le meilleur des cas le goût des chocolats au piment et des pastiches bien troussés (ainsi le dernier article : « Roussel et Venise : Esquisse d’une géographie mélancolique »), dans le pire la saveur un peu fadasse que prennent les blagues de potaches lorsqu’elles se prolongent sur plus de trois numéros du journal du lycée (les quinze pages de « Distribution spatio-temporelle de Coscinoscera Victoria, Coscinoscera tigrata carpenteri, Coscinoscera punctata Barton & Coscinoscera nigros triata d’Iputupi », et plus encore « Experimental Demonstration of the tomatotopic organization in the Soprano (Cantatrix Sopranica L.) »). Mais Perec m’a toujours paru un écrivain généreux : difficile de tenir rigueur aux textes de ce recueil, par ailleurs posthume, d’en faire parfois trop.
Du reste, comme souvent, c’est dans les pastiches qu’éclatent les qualités de lecteur d’un auteur. Ainsi l’anglais de contrebande utilisé dans l’article (pseudo-)scientifique qui donne son titre au recueil est-il plus vrai (ou plutôt, en l’occurrence, moins authentique !) que nature : « As observed at the turn of the century by Marks & Spencer (1899), who first named the “yelling reaction” (YR), the striking effects of tomato throwing on Sopranoes have been extensively described » (p. 13). Un collégien de sixième peut comprendre cet anglais-là, mais ne doit pas l’écrire…
Par ailleurs, et dans le même ordre d’idées, le lecteur appréciera de lire « une perspective plus acérée, concernant à la fois la vie et l’œuvre, cette dernière seule nous intéressant ici » (p. 86) ; j’ai lu des critiques littéraires comme celle-ci : leur auteur y jurait de traiter l’œuvre et non pas la vie, l’écrivain et non pas l’homme, en faisant précisément le contraire – mais contrairement à Perec, sans feindre de ne pas s’en apercevoir ! (J’ai aussi connu des lecteurs qui, pastiche ou pas, croiront une telle remarque dans un tel contexte.)
Et puis ce n’est pas parce qu’un texte est un pastiche qu’il faudrait le lire uniquement comme une blague : un passage comme « comme tout vrai voyage, ce ne fut pas un départ, mais un retour » (p. 89) ne doit pas être discrédité du seul fait qu’il figure dans une étude manifestement fantaisiste sur Raymond Roussel. De même, « il n’y a pas de mystère Roussel, son œuvre ne constitue pas une énigme à résoudre ; c’est notre lecture seule, notre soif d’explications, notre goût pour les tenants et les aboutissants, qui suscite autour d’elle cette impression d’un secret à forcer » (p. 106). Non seulement cette remarque est juste, mais elle peut être étendue à bien d’autres auteurs.
Et je n’ai même pas cherché à pasticher qui que ce soit dans cette critique ! (À part peut-être moi, sans le vouloir.)

Alcofribas
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le 9 juil. 2018

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