Le courage humain contre la performance de la technique

Nous sommes des enfants, nous aimons qu'on nous raconte des histoires. C'est l'histoire de la gauche que nous récite ici Benoît Hamon, tel un bon écolier. Une histoire faite de luttes, de sueurs et de larmes, de courage contre l'adversité et les déterminismes, mais une histoire qui finit bien. Ou plutôt qui continue bien : après les luddites, les congés payés, la sécu et les 35 heures, voici le revenu universel d'existence (RUE). Idée simple pour monde complexe, fable feel good des lendemains qui chantent pour bobos bienveillants. Il faut reconnaître à l'auteur qu'il parle bien avec sa bonne tête et sa belle voix. Son bouquin est plutôt agréable à lire malgré des longueurs, répétitions et exagérations. Il est bavard, étale sa culture de gauche avec de nombreuses citations, formules et références. Il y a bien quelques bons exemples, généralement connus, et parfois même du bon sens, comme quand il dézingue la destruction créatrice de Schumpeter. Mais globalement son travail manque de la nuance et de la prudence d'un véritable intellectuel.


Hamon reste un politique, il cherche plus à séduire qu'à convaincre. Son soft power (livres, podcast et web-TV) est mou. Son plaidoyer ne m'a pas convaincu. J'ai le sentiment qu'il s'adresse d'ailleurs plus à ses supporteurs qu'aux sceptiques du revenu universel. En proposant de prendre toujours plus aux riches pour donner toujours plus aux pauvres, il caresse dans le sens du poil un certain éthos de gauche. Mais il n'y a rien de révolutionnaire dans cette redistribution, sans doute nécessaire pour lutter contre l'augmentation des inégalités. Si l'ancien ministre est un progressiste, c'est un progressiste "continuiste", s'inscrivant dans la longue tradition de conquêtes sociales de la gauche. Il critique longuement la technologie, vue comme disruptive et destructrice, surtout celle des géants de la Silicon Valley. Dans un discours démagogique et poujadiste, il défend les petits contre les grands, forcément oppressants et déshumanisants. Sempiternelle antienne d'une gauche aux abois qui peine à se renouveler : "les petits y sont gentils et les grands y sont méchants". Le colibri contre le canadair. Quid de l'efficacité pour éteindre un incendie ? Benoit Hamon préfère blâmer le productivisme et l'économisme.


Je pourrais à mon tour fustiger le politisme de Benoît Hamon. Le politique ne fait pas tout. Les choses changent parfois d'elle-même, petit à petit ou à l'occasion d'une crise comme celle du coronavirus.



La protection offerte par l'État (parce qu'éxigée de lui) n'est plus
seulement sociale (selon le paradigme de l'État-providence), mais
biologique. Voilà le sens de l'évênement



nous dit Christian Godin dans un article récent de la revue Cités (1). Cette émergence d'un biopouvoir, ce "principe, révolutionnaire, (...) que l’on aurait droit à ce revenu d’existence parce qu’on existe, et non pour exister" (2), cette "idée que la société doit à ses membres les moyens de leur subsistance" (3), ce changement de paradigme, on le doit - d'ores et déjà - grandement à la puissance de la techno-science mise au service des hommes.


On peut dénoncer cette auto domestication, mais pour moi le zoo humain vaut mieux que la loi de la jungle. Et si un revenu de base permet d'acheter la paix sociale, alors je suis pour. Si l'état de nature c'est la guerre (ou la compétition) de tous contre tous (la lutte des places pour un job par exemple), alors vivre dans un société apaisée révèle d'une belle utopie (quand bien même subsisterait la course au statut). Mais une utopie contre nature et contre la nature humaine.
Particulièrement pour une gauche radicale qui aime se battre, manifester et crier : "l'humain d'abord !". Benoît Hamon va dans leur sens quand il vante le courage humain contre la performance des machines. On risque alors de retomber dans "La France contre les robots" (4) et pour le travail humain. Car même aux champs ou à l'usine, certains préfèrent trimer plutôt que d'être assistés. Les classes populaires voient de la dignité dans ce courage, ce qu'il faut pour lutter pour l'existence (5). Ils ont la valeur travail chevillée au corps, le cœur à l'ouvrage. Résiste, prouve que tu existes ! Si nous nous laissons aller, la vie nous conduira rapidement vers la mort. Il faut remonter la pente et bosser pour rouler sa bosse comme Sisyphe. Le revenu universel voudrait alléger notre fardeau. Beaucoup de braves gens auraient l'impression qu'on leur retire quelque chose. Il fallait gagner son pain, il faut désormais gagner son pain sur la planche.



Références



(1) "La biopolitique à l’épreuve du confinement" par Christian Godin, Cités 4e trim 2020 (N° 84) pages 11 à 23


(2) "Pour changer le monde" par Ignacio Ramonet, « Manière de voir » #52 juillet-août 2000


(3) "Imaginer un revenu garanti pour tous" par Mona Chollet, Le monde diplomatique, mai 2013


(4) essai de Georges Bernanos publié en 1947.


(5) Le Struggle for Life de Darwin

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le 25 janv. 2021

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