[Le titre de ma critique est tiré de la baseline de la très bonne émission de France inter, Affaires sensibles dont c'est le principe : revenir sur des faits historiques pour mieux comprendre le présent]


C'est d'abord le titre du roman de Fouad Laroui qui m'a séduite, je ne savais pas grand chose du contenu. Et puis, j'ai commencé à lire et tout de suite, j'ai été prise dans ce récit : l'auteur entrelace habilement une situation présente (un jeune couple franco-marocain, Ali et Malika, sur le point de s'installer ensemble) qu'il fait ensuite résonner avec des événements historiques qui, selon la théorie de l'auteur, sont autant de causes lointaines expliquant et engendrant le présent.


La plume est rapide, les dialogues vifs, la construction très habile, avec cette alternance de courts chapitres titrés qui nous balade de siècle en siècle pour toujours revenir s'ancrer dans la situation de départ du jeune couple. J'ai également beaucoup aimé la manière dont Fouad Laroui s'adresse au lecteur, en imaginant les reproches qu'il pourrait faire à son récit, avec un humour très agréable. Ce regard permanent de l'auteur vers son lecteur m'a semblé très singulier et franchement intéressant.


Mais le propos du livre n'est pas là. Je ne peux pas dévoiler le coeur de l'intrigue au risque de déflorer le suspense qu'installe le livre, mais il est question d'une descente aux enfers d'un homme qui pourtant avait tout pour mener une très belle vie, de la distance qui s'installe peu à peu entre lui et son entourage, et surtout des lointains échos historiques que recèlent les problématiques actuelles.


Ce vain combat que tu livres au monde brosse à grands traits les obstacles, les luttes et les grandes réussites de la civilisation arabe. Fouad Laroui a une culture absolument formidable et nous permet, par de très éclairants passages, de mieux saisir ce qui s'est joué dans ces zones (du Maghreb au Moyen-orient) sur différents théâtres - historique, politique et religieux - pendant des siècles et jusqu'à aujourd'hui. Et démontre avec maestria et pédagogie que tout est lié.


Avec pour points de mire, le conflit israélo-palestinien, les attentats du 11 septembre, la Guerre du Golfe ainsi que les traités du tout début XXème qui n'ont jamais abouti (et auraient permis l'instauration de la paix), Fouad Laroui nous explique que l'Occident paie actuellement les conséquences des combats séculaires qu'il a menés contre le monde musulman et de sa négation permanente des souverainetés locales par désir de domination, de profit et d'asservissement de peuples qu'il méprise sans le dire.


L'auteur balaie plusieurs siècles d'Histoire avec une intelligence rare, revenant sur des épisodes et des personnages méconnus mais dont le poids historique éclate au grand jour, et suscite notre réflexion autant que notre indignation quant à la tournure tragique qu'ont pris les événements dans le cadre des luttes entre les grandes puissances.


Malgré quelques clichés (notamment dans le personnage de Claire, une véritable idiote), Ce vain combat que tu livres au monde est un livre brillant et nécessaire qui remet les pendules à l'heure, avec clarté, culture et sans craindre de prendre (enfin!) le contrepied de la doxa médiatique et des versions historiques officielles.


Je terminerai par cet éclairant extrait de Mélancolie des peuples de Gérard Haddad, cité par Fouad Laroui au coeur de son roman :



"La mélancolie, dans son sens psychiatrique, n'est pas le romantique vague à l'âme des poètes. C'est une véritable psychose dont l'aboutissement fréquent est le suicide. D'où cet aphorisme qu'on apprend sur les bancs de la faculté de médecine : la mélancolie est la seule urgence en psychiatrie.
Ce petit préambule était nécessaire pour évoquer le kamikaze. Qu'est-ce qui conduit un être humain ) se faire exploser, c'est-à-dire à se suicider ? Et si le kamikaze était simplement un mélancolique, traversant parfois des épisodes maniaques ? Et s'il était le symptôme du monde arabe actuel ? Le mal pernicieux dont souffre cette grande famille humaine ne réside pas dans la théologie mais dans une mélancolie latente, masquée. Pris dans l'étau d'un rêve orgueilleux de grandeur, plongeant ses racines dans un brillant Moyen-âge défunt, rêve désormais inaccessible, confronté à un présent sociopolitique médiocre, fait de mauvaise gouvernance, de disproportion abyssale des richesses, de corruption, d'impuissance politique, ce monde-là ne peut que sombrer dans la désespérance et la mélancolie. En quête d'une solution miracle, il aura tout essayé, en vain : le nationalisme, le socialisme, la dictature militaire, la religion enfin. Pour revenir toujours au point de départ...."


BrunePlatine
8
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le 26 mars 2017

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