Fin octobre, ActuSf a décidément mis les bouchées doubles pour ce qui est de ses encore peu nombreuses publications, avec trois nouveaux titres d'un coup : l'anthologie Appel d'air, pas tendre pour un certain N.S., Le Miroir aux éperluettes de Sylvie Lainé, et donc Cendres de Thierry Di Rollo. Comme je suis un jeune homme docile, charmant, tout disposé à encourager ce genre d'heureuses initiatives, et surtout un acheteur compulsif, j'ai eu le plaisir de voir arriver récemment dans ma boite aux lettres ces trois sympathiques petits bouquins (entre 80 et 100 pages), les deux derniers étant en outre dédicacés par leurs auteurs respectifs (ce que je ne savions point, mais qui constitue une bien agréable surprise, ma foi !). Bien entendu, il n'y a aucune raison pour que ces opuscules échappent à mes comptes rendus miteux, et je vais donc commencer aujourd'hui par Cendres...

Autant le dire de suite : je ne sais absolument rien de Thierry Di Rollo, quand bien même je suis à peu près certain d'avoir croisé son nom ici ou là (probablement dans les pages de Bifrost). Je vais donc me contenter de citer lâchement la brève notice biographique de la quatrième de couv' : « Né en 1959 à Lyon, Thierry Di Rollo est l'auteur d'une demi-douzaine de romans distingués par la critique dont Les Trois Reliques d'Orville Fisher, La Profondeur des tombes et Meddik. » Voilà. Mais ce petit recueil de quatre nouvelles n'en était pas moins, de ces trois arrivages, celui qui m'aguichait le plus. Deux raisons à cela :

- Quand on parlait de Cendres ici ou là, les mots revenant le plus souvent pour le décrire étaient « sombre », « noir », « cynique », « déprimant », et toutes ces sortes de choses. Bref, c'est pour moi...

- La couverture de Daylon (décidément doué, le Monsieur) me paraît franchement sublime. Certains ont jasé, « beuh c'est du collage pseudo-arty qu'un gamin de quatre ans y peut le faire aha » ; étant d'un naturel poli et ouvert à la discussion, je ne relèverai pas, et me contenterai de dire que, pour MOI (les autres, je les empapaoute, d'abord), c'est pertinent, bien pensé, bien réalisé, et assez original dans un milieu un peu sclérosé de la SF française qui semble considérer une jaquette hideuse / baveuse / racoleuse comme un signe de qualité et d'intégrité science-fictionnelle (suivez mon regard, mais seulement si vous en avez le courage).

Bon, je n'ai quand même pas acheté ce bouquin que pour la couverture, hein... Alors abordons maintenant le contenu (rapidement ; Cendres est assez court comme ça, alors autant ne pas trop le déflorer).

Quatre nouvelles, dont une inédite. On commence avec « Cendres » (pp. 7-19). Et c'est effectivement très noir, cynique, sombre, déprimant, et toutes ces sortes de choses. Un camp de réfugiés. Réfugiés de quoi ? Pourquoi ? Depuis le temps, ils ne le savent plus. Difficile, d'ailleurs, de savoir d'où l'on vient, dans ce camp, dont la plupart des habitants ont un matricule en guise de patronyme, et une éprouvette pour parents. Ce n'est pas le cas de Renaud, ni de sa froide compagne Julia. Ils n'en partagent pas moins le sort des autres réfugiés ; ils sont de toute évidence abandonnés de tous, et « on » va les laisser crever ici, les parachutages de vivres étant de moins en moins nombreux... et toujours plus hypothétiques. Ce n'est pas la joie, donc. L'atmosphère du récit, chronique d'une mort annoncée émaillée de cadavres rachitiques, est brillante. J'avoue cependant que c'est probablement le texte du recueil qui m'a le moins séduit, étant à la fois trop plein et un peu vide... En même temps, il en résulte d'autant plus un certain sentiment d'absurdité parfaitement approprié.

La suite, ceci dit, me paraît plus intéressante. « Jaune Papillon » (pp. 21-32 ; texte revu et expurgé) nous conte l'étrange aventure d'un vieil homme kidnappé un jour dans un parc, sans que l'on ne lui donne la moindre explication quant au sort auquel il est promis. Parler « d'histoire à chute » serait peut-être un peu exagéré, d'autant plus que la conclusion de la nouvelle se laisse assez facilement entrevoir. Elle n'en est pas moins assez originale, cruelle et cynique, et très efficace.

« Les hommes dans le château » (pp. 33-58), l'inédit de ce recueil, est assez différent de ce qui précède. Si nous sommes indéniablement dans un cadre futuriste, l'atmosphère est cependant davantage archaïque, et évoquant plus ou moins le roman noir. On a pu y voir (ainsi Charlotte d'ActuSf) un conte modernisé. Pour ma part, l'histoire de cette jeune fille offerte en pâture à un vieux baron pervers et anachronique, et qui tente d'échapper au sort funeste qu'on lui a promis au cours d'une vicieuse chasse à cour dans laquelle elle tient le rôle de la proie, m'a surtout fait penser au marquis de Sade et à des thématiques récurrentes dans son œuvre, et plus particulièrement dans les différentes versions de Justine. En plus soft, certes... Mais l'effet produit sur le lecteur, s'il n'est pas autant chargé de dégoût et ne joue pas autant sur l'ironie, est assez comparable. Un texte très noir, cynique et déprimant, qui constitue peut-être la plus grande réussite de Cendres.

Le dernier texte, « Quelques grains de riz » (pp. 59-84), n'est cependant pas à négliger. Etrange histoire que celle de ce fan des Beatles obsédé par « Eleanor Rigby », et qui entend bien tout mettre en œuvre pour retourner, ne serait-ce qu'un bref instant, à Liverpool en 1966. Etrange... et glauque. A nouveau un texte très noir, où le cynisme règne entre deux mélodies des « Fab Four »... ou bien les accompagne. Et, une fois de plus, et bien qu'à un moindre degré que pour la nouvelle précédente, j'ai cru discerner dans ces pages l'ombre du spectre ricanant du divin marquis, l'érotisme en moins. Ou pas.

Sans être un chef-d'œuvre et une lecture indispensable, Cendres constitue ainsi un recueil fort intéressant et cohérent, qui tient amplement ses promesses. On peut bien remercier Thierry Di Rollo pour ses nouvelles, et ActuSF / Les Trois Souhaits pour leur initiative bienvenue de publication de ces textes rares, constituant un moyen idéal pour découvrir des auteurs encore assez méconnus.
Nébal
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le 14 oct. 2010

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Nébal

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