Véritablement déroutant. Un pavé de plus de 1.200 pages, sans compter plus de 100 pages de notes. Par où commencer ? Eh bien, disons que Central Europe est une sorte de biographique romancée de plusieurs personnages historiques du 20ième siècle, russes ou allemands. Dans l'ordre, et pour les principaux, ceux à qui sont consacrés de long passages: N.K Kroupskaïa (l'épouse de Lénine), Käthe Kollwitz (une artiste expressioniste allemande), Roman Karmen (un cinéaste russe), A.A Vlassov (un général russe capturé et retourné par les nazis), Friederich Paulus (un général allemand, dont l'armée fut détruite lors de la bataille de Stalingrad), Kurt Gerstein (un SS chrétien impliqué dans l'holocauste, et qui tenta d'en informer les alliés et le Vatican), Hilde Benjamin (ministre de la justice de la DDR). Et bien sur et surtout, le musicien russe Chostakovitch et sa maitresse Elena Konstantinovskaïa.


Chostakovitch a d'ailleurs une place de fil rouge dans la narration. Il revient tout au long du livre, sa vie épousant peu ou prou la période couverte par l'auteur, à savoir 1920-1970. Et il y est largement fait mention de son œuvre, ses compositions musicales étant, durant de longues pages, décrites dans leur relation avec divers bruitages, généralement sinistres (du type sirène d'un stuka, obus d'artillerie ou porte de cachot qui se ferme). Pour un lecteur tel que moi, ce fut là l'une des limites de Central Europe. Je n'ai jamais écouté de Chostakovitch de ma vie et j'ai du coup trouvé toutes ces pages assez pénibles. Attention, je ne dis pas que c'est mauvais. C'est sinistre sans aucun doute, mais un amateur de Chostakovitch serait susceptible de savourer. Pas moi. Mais au delà des références à l'œuvre du compositeur, sa biographie (romancée, je le précise), dans laquelle il est dépeint comme un personnage indécis et peureux, est plutôt réussie.


Bon à ce stade, vous aurez compris que, étant donnés la période et les pays abordés, c'est un roman qui n'est pas particulièrement ni léger, ni joyeux. Pas chargé d'espoir, quoi. Le summum en la matière étant atteint avec l'histoire du SS Kurt Gerstein. Et en outre, les biographies suscités sont souvent entrecoupées de courts ou même de très courts chapitres qui mêlent, sous forme d'allégories évoquant volontiers des massacres de masse, des imageries wagnériennes, staliniennes, nazies ou tout simplement militaires. S'agissant de ces dernières, la part belle est y faite aux opérations de la seconde mondiale (Barbarossa, Uranus, bombardement de Dresde, etc.). Pas franchement primesautier non plus. Enfin, pour couronner le tout, il y est fréquemment fait référence à Staline (le Réaliste) et à Hilter (le Somnambule).


Et le Central Europe dans tout ça ? Eh bien, outre le fait que le terme central évoque parfois un central téléphonique, on finit par comprendre qu'il s'agit de cette espèce de zone située entre l'Allemagne et la Russie, qui passe alternativement sous contrôle de l'une ou de l'autre au gré des victoires militaires et politiques de chacun de ces deux pays. Et dont bien évidemment, les habitants sont aux premières loges dès lors qu'il s'agit de trinquer.


Voilà, il s'agit d'un bouquin pesant, complexe, mais non dénué de qualités, loin s'en faut. Il parle de totalitarisme, de folie meurtrière, mais aussi de création artistique. Et depuis que je l'ai refermé, une question me taraude : puisqu'au second tour de notre élection présidentielle s'affrontent une candidate soutenue par la Russie, d'une part, et un candidat soutenu par l'Allemagne, d'autre part, sommes-nous, en France, passés sous l'appellation "Central Europe" ?

Marcus31
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le 27 avr. 2017

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