Clovis Trouille, c’est un nom qui sonne, qui claque, c’était le sien, même s’il ne correspondait guère à sa personnalité. Anarchiste, antimilitariste, athée convaincu, il n’avait guère la trouille de s’en prendre aux grandes figures de l’autorité, à une époque où elles avaient encore leur influence, l’artiste ayant vécu de 1889 à 1975.


Mais si ce nom est aussi peu connu, c’est qu’il ne recherchait pas la gloire et les attentions. Pendant 35 ans il a travaillé comme maquilleur-retoucheur sur des mannequins de vitrine, sans cesser de peindre. Il rechignait à vendre ses toiles, qu’il aimait bien retoucher, compléter, amender, créant des liens entre ses œuvres, amusants à repérer. Mais il exposait ces peintures, ce qui lui a valu la sympathie et la curiosité d’André Breton et des surréalistes, mais il s’en était éloigné, « c’était emmerdant » a-t-il dit.


Cette attention des surréalistes il l’a du à son tableau "Remembrance", œuvre choc et provocatrice, que l’auteur voulait comme un exutoire aux horreurs de la guerre. Une femme nue contorsionnée jette des médailles en aveugle, des morts en costumes de guerre emmènent des lapins innocents, un vieil aristocrate subit un pet violent d’un cheval tandis qu’un homme d’église bénit en bas résilles. Tout ou presque des thèmes de Clovis Trouille sont ici présents.


Ses toiles sont très figuratives, les sujets humains sont omniprésents mais les clefs de compréhension ne sont parfois pas si évidentes. Il y a le plus souvent une certaine exubérance, dans les détails et les thèmes, qui captivent l’oeil, appuyés par les représentations parfois provocatrices ou plus oniriques. Mais ce qui saute à la pupille, c’est l’emploi de la couleur, elle est franche, tonitruante. Elle explose. Une toile de Clovis Trouille ne ressemble guère à une autre, il y a une douce folie picturale. Quel dommage dès lors que dans ce livre certaines soient reproduites en noir et blanc.


Mais il reste fascinant à parcourir. Dans cet ouvrage paru en 1972, l’auteur commente ses œuvres, et ce n’est pas triste, divisés en plusieurs chapitres aux noms bien évocateurs, compartiment les toiles entre « Éros et la fête », « Éros et la vie populaire » et « Éros et l’imaginaire », divisés entre l’épouvante et le rêve, « Éros et la religion » et « Éros et le sadisme ». Oui, il y a beaucoup d’Éros dedans.


Les femmes sont omniprésentes, sensuelles et provocatrices, troublantes ou festives. « Je n’ai rien trouvé de plus beau que le nu de jeune fille ». Même habillées, ses femmes sont belles, ce sont des icônes, au centre de tous les regards des nombreuses toiles où elles apparaissent. L’une de ses toiles les plus célèbres (au moins de son vivant) est ainsi « Oh ! Calcutta ! Calcutta », jeu de mots léger avec le sujet, un adorable postérieur au centre de la composition.


Le péché n’est jamais loin, mais il est parfois suggéré, ou imminent, ce qui le rend plus troublant. Clovis Trouille aime en jouer avec des membres de l’église, comme ces nombreuses religieuses qui ne semblent pas être bien innocentes. Dans « Le Baiser du confesseur », le confesseur s’apprête à embrasser sa confessée, le regard est tendre, mais le geste de la main est impur, tandis que les vitraux derrière expriment leur désarroi.


Anarchiste et libertaire, Clovis Trouille s’en prend avec provocation et malice aux représentants des autorités, puisant parfois dans son expérience ou dans le quotidien. Dans « Naguère ou le 106 n’est pas consigné à la troupe » il met en scène une entrée de bordel qui a réellement existé, le titre rappelant une accroche pour rassurer les troupes de l’École militaire à proximité qu’il n’y avait pas de maladies vénériennes. Dans « Le grand poème d’Amiens » un Christ ressuscité est hilare devant l’exubérance inutile de l’architecture élevée en son nom.


Mais même dans sa représentation de la réalité, l’étrangeté n’est jamais loin, le spectateur se sent dans la toile, dans un ailleurs. L’onirisme se laisse approcher dans d’autres peintures, qui peuvent reprendre des sujets connus, Alice au pays des merveilles ou Nosferatu par exemple, exploités dans des toiles où la couleur se fait plus sombre, où la fantaisie employée est celle d’une rêverie agitée dans des ruines aux paysages de soleils couchants et de ciels bleus et froids.


Quelle belle découverte que cet artiste, à la personnalité affirmée, à l’œuvre remarquable. Ses toiles explosent de couleurs et de sujets, aux obsessions provocatrices, plus proches des mauvais genres que de l’académisme ou des modes picturales de l’époque. C'est le cirque exubérant d'une folie picturale. Une exposition en ces temps troublés ferait grincer quelques dents tant les femmes nues sont belles et nombreuses, sensualisées et provocatrices. Clovis Trouille est peut-être condamné à rester dans une certaine obscurité, réservé à quelques initiés, à vous de me rejoindre ou pas dans son univers.


Un site internet en son nom existe avec plein de bonnes choses, c'est là où j'ai piqué le titre de cette critique, bien à propos.

SimplySmackkk
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le 15 avr. 2021

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