Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer ? C'est une question qui choque pour le moins. Qui alerte au minimum. Alors pour en faire le titre d'un roman, en oubliant le mode interrogatif, il faut vraiment avoir envie d'attraper son potentiel lecteur par le col. Personnellement, lorsque j'ai découvert le titre de ce livre, j'ai immédiatement su que je le lirai un jour. Nous le devons à l'auteur d'origine haïtienne, Dany Laferrière, membre de la vénérable Académie française.


J'avais découvert cet auteur en regardant la télévision un jour, et il me semblait dire des choses intéressantes. En tapant son nom sur Google, j'ai appris diverses choses à son sujet. Il s'agit du second académicien à n'avoir jamais eu la nationalité française après Julien Green (que je fréquente un peu dans le journal de Matthieu Galey que je ne finis pas de lire depuis près d'un an). J'ai découvert bien d'autres choses au sujet de Laferrière dont le titre de son premier roman qui m'a alerté. Publié pour la première fois au Canada en 1985 pour un succès immédiat. Mais comme on dit, de l'eau a coulé sous les ponts et aujourd'hui, pour une raison que j'ignore, le livre n'est plus du tout édité.


Trouver un livre n'est pas toujours chose aisée, même en l'an 2020


En voulant me procureur ce livre, j'ai découvert à mes dépends qu'il pouvait parfois être difficile de trouver un ouvrage qui n'était plus édité. J'ai commencé par avoir le mauvais réflexe d'aller sur Amazon. La première fois que j'ai regardé, le tarif me semblait tout à fait normal, mais par paresse, j'ai préféré différer les deux clics nécessaires à l'achat. Et peut-être qu'inconsciemment, cette paresse traduisait également mes scrupules à recourir à ce service. Je suis revenu sur le site quelque temps après avec la ferme intention d'acheter le livre mais le prix avait changé. Pour un petit livre de poche d'une centaine de pages, il fallait désormais débourser près de 35€. J'ai trouvé cela inacceptable et évidemment, je n'ai pas acheté le livre à ces conditions. Il me fallait alors aller dans une librairie ! Entre temps, j'avais découvert que la loi sur le prix unique du livre ne s'appliquait pas sur les livres d'occasion, d'où ces tarifs exorbitants. Au cours de mes promenades parisiennes, j'ai tenté deux librairies. Une du côté de Rambuteau qui avait tous les Dany Laferrière sauf celui que je cherchais bien entendu. Mais bon, comme le libraire était sympathique, je ne suis pas reparti les mains vides et j'ai pris un autre roman de l'auteur. J'ai tenté également du côté de Montmartre. Échec cuisant également, mais libraire encore plus sympathique. Et amatrice de l'auteur. Je suis donc ressorti du commerce avec deux livres cette fois-ci. Le dernier Beigbeder que j'ai évoqué récemment et un Dostoievski. Après cette tentative, j'étais un peu désespéré, je dois bien l'avouer. Jusqu'à ce qu'on me conseille de tenter le coup à Gibert, du côté de Saint-Michel. C'est ce que je fis. Arrivé à Gibert Jeune, place Saint-Michel, on m'indique que le livre n'est pas disponible, mais qu'il est dans les rayons de Gibert Joseph, à proximité, au 26 boulevard Saint Michel. J'ai donc foncé dans cette boutique. Un sentiment de paranoïa m'accompagnant. Je commençais à me persuader qu'une autre personne était également à le recherche de ce livre et qu'elle risquait de me coiffer au poteau ! Après quelques sueurs froides, lorsque j'ai trouvé le livre dans les rayons, je dois bien vous avouer avoir poussé un petit cri de joie. Prix final, 5€80. Expérience beaucoup plus exaltante que de commander un livre en pyjama, sur son canapé, en cliquant sur le site de Amazon. Toutefois, cette histoire m'a fait prendre conscience qui si l'on ne se trouve pas en région parisienne, la difficulté peut rapidement devenir insoluble.


Ce que je pense du roman


Je n'emploie pas tellement le mot nègre. Je ne me qualifie pas non plus comme un nègre. Mais oui, en effet, je suis noir, et je sais que dans certains courants littéraires, ce terme est très utilisé. Par Césaire notamment. Et puis j'ai l'impression que ce mot est davantage répandu aux Antilles. Ici, en métropole, on en a peur. Très peur. Il suffit de voir la réaction des gens lorsque j'évoque le titre de ce livre. En général, c'est la sidération, le rire jaune. Bon, heureusement parfois, quand j'annonce le titre Comment faire l'amour avec un nègre... J'ai pour réponse "Je sais comment faire" Et je pense sincèrement que c'est la meilleure manière d'appréhender la chose.


Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, c'est un roman au sujet du fantasme, sous toutes ses formes. C'est l'histoire du narrateur et de son colocataire Buba, qui passe ses journées affalé sur son divan, à écouter du jazz, boire du thé et lire le coran. De nombreuses sourates jalonnent d'ailleurs le livre. Le narrateur quant à lui, tente tant bien que mal d'écrire un roman afin de sortir de sa situation de précarité. Il souhaite écrire ce roman au sujet de ses fantasmes, à savoir toutes ces jeunes filles occidentales qui défilent dans son logement pour des parties de jambes en l'air épicées. Vous avez vu la mise en abîme ?


C'est un livre sur le fantasme. Tout d'abord sexuel. De ce jeune homme noir friand de jeunes femmes blanches (qui chacune a son surnom). De ces femmes qui recherchent de l’exotisme chez ces fameux nègres. Mais cela parle également de fantasmes dans l'acception de préjugés, stéréotypes et autre. Et dans ce sens là, il s'agit de notions assez péjoratives. Et ce que fait assez habilement ce livre, c'est de garder ce qu’il y a de positif dans le fantasme, et de déconstruire ce qu'il y a de négatif en le disséquant. Le narrateur dit à un moment "A défaut de nous être bienveillante, l’histoire nous sert d’aphrodisiaque." Dans le sens où ce qui était prohibé dans le passé est bien évidemment devenu quelque chose de terriblement excitant aujourd'hui. Et là force du livre réside dans le fait que le narrateur ne cache rien de ses inclinaisons, que les passages sont suffisamment explicites sans pour autant devenir obscènes. Sensuel sans être sulfureux. L'auteur nous dit que l'on tient une bombe entre nos mains. Mais le contenu le plus explosif n'est pas tant ce qu'il peut y avoir d'épicé au niveau sexuel. La vrai bombe, c'est la manière dont ce livre abat les fantasmes en ayant pour conclusion que le nègre est devenu un occidental comme les autres. De part ses références culturelles influencées par l'occident notamment. Et que de trop se fier aux apparences est la meilleure façon de se tromper. Lorsqu'on regarde une personne, on la voit mais on projette également des choses de nous mêmes sur elle. Ce livre permet de prendre conscience de ce mécanisme, avec beaucoup d'humour, de causticité et surtout, d'intelligence.

Andika
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le 8 févr. 2020

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