Corps du roi
7.6
Corps du roi

livre de Pierre Michon (2002)

« A Louise Colet, en février 1852 : "Voilà pourquoi j’aime l’art. On y assouvit tout, on y fait tout, on est à la fois son roi et son peuple, actif et passif, victime et prêtre." On est la prose de Dieu et sa dérision, la perfection et son effondrement, le livre et le contrelivre, le baiseur et le baisé, la vache et le merlin. Nul ne viendra vous prendre par derrière. On est abstrait et intangible comme la prose absolue. On est de bois. »

Pour Pierre Michon, l’écriture est sacralisée, le texte dédié au plus haut. Cinq chapitres-portraits forment le corps de ce livre, autour de deux photographies de Beckett et Faulkner, autour de Flaubert, d’Hugo et d’un auteur arabe du XIVème siècle.
« Corps du roi » nous élève dans l’essentiel, dans le ciel, le feuillage et la sève de la littérature. « Le feuillage c’est le livre, le corps est de bois. »

Centre de gravité du livre, le chapitre intitulé « L’oiseau » commente la phrase parfaite d’un auteur arabe aujourd’hui inconnu de nom et de visage, Muhamad Ibn Manglî, phrase sur le mouvement du faucon gerfaut écrite en 1370 dans un traité de chasse.
« Je ne verrai jamais le visage qui fut Ibn Manglî. Je verrai le gerfaut. »

Autour d’un cliché de 1931, Pierre Michon trace un portrait mythologique de William Faulkner, figure énorme et futile comme le sont les éléphants et les grandes baleines. Ce que Faulkner regardait sur ce cliché, et qu’il regarde toujours, c’est la pesanteur de la guerre qu’il prétendait avoir vécu, la filiation, le poids de l’aïeul pesant comme un éléphant, le poids du Sud vaincu, le Sublime atteint par Faulkner, un grand rhéteur, lui-même devenu éléphant.

La cinquième séquence de ce livre, dédiée à Victor Hugo, est bouleversante, entremêlant la lecture de Booz endormi et des épisodes autobiographiques de la vie de l’auteur, la mort de sa mère, la naissance d’un enfant, la rencontre brève avec une femme et la mort d’un critique littéraire.

Un livre né de la boue et de la grandeur, enfant de ce monstre humain qu’est l’écrivain, à la fois grotesque et sublime, écrasé par la filiation des grands hommes et brièvement ressuscité par l’écriture.
MarianneL
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le 8 oct. 2012

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