"L'art, c'est comme l'alpinisme et la roulette au casino: le plus dur, c'est de savoir s'arrêter quand on est au sommet." (un croupier poète et alpiniste)


J'ignore pourquoi Polanski a réalisé ce film. Sans doute qu'à force de ne fréquenter que les mêmes cercles germano-pratins, on finit par croire soi-même à ce que racontent les colporteurs d'ego surdimensionnés qui peuplent ce quartier au passé enfui.. Peu importe, à vrai dire.
Peu importe que ce film soit incohérent et geignard; que son ambiance ne prenne jamais; que sa photographie soit d'une banalité effarante; que sa mise en scène soit si plate qu'on n'a qu'une envie: la glisser sous le paillasson; que son directeur d'acteurices ait préféré envoyer un stagiaire à sa place : Seigner: dans le coma / Green: cherche la motivation de son personnage dans tous les recoins du décor - ne la trouve pas - improvise - à un moment, elle ressemble à Sylvestre le chat (quel talent!) / Perez: "Ne quittez pas, je dois réciter une litanie d'écrivains anglo-saxons au téléphone - j'en ai pour deux secondes - je suis à vous tout de suite" / Pinon: "Delphine! Toc toc! Delphine? Bon, elle est pas là; je me casse; mais pourquoi je ne vois pas la voiture garée devant, au fait? Ah oui: parce que le scénario dit que je ne l'ai pas vue; OK, je rentre chez moi. Et un cachet facile, un." / Les autres acteurs: "Salut - réplique inepte - salut !"


Il y a longtemps que Polanski aurait dû raccrocher ses gants, et pas seulement pour les raisons morales que l'on sait. Ghost Writer sera son dernier chef-d'oeuvre, et La vénus à la fourrure aurait fait un bon testament. On ne se débarrasse pas facilement des sales habitudes, hélas.


Mais le plus grave, dans cette pantalonnade, n'est pas le film; le plus grave - le vrai responsable de ce fiasco pourtant prévisible, pour peu que l'on eût pris la peine de réfléchir - c'est évidemment le roman de Delphine Le Vigan. Passe encore que le style de l'écriture de cet auteure soit à peu près aussi palpitant qu'un aller-simple Paris-Marseille en TGV qui aurait seulement vingt minutes de retard (il y a nettement pire dans le paysage culturel français actuel); mais.. où est l'intrigue? Où sont les motivations des personnages? Pourquoi L. fait-elle ce qu'elle fait? Pourquoi Delphine se laisse-t-elle "séduire" par L. alors que rien dans son personnage-limande ne donne envie de s'y attacher? (Il aurait pu y avoir une vague attirance, mais bof, elle est à peine esquissée, pour être aussitôt reniée). Non seulement on n'en saura jamais rien, mais même en se faisant une embolie cérébrale, on ne parvient pas à imaginer la moindre raison à ses actes. Ils ne mènent à rien, ni de concret ni d'abstrait, ni même entre les deux. L'apologie du néant par un maître ès-mièvrerie qui se ferait passer pour un maître du suspense, parce que c'est plus cool.


Sur la même idée de départ, Dominik Moll et Gilles Marchand avaient réussi en 2000 l'un des meilleurs polars du cinéma: Harry un ami qui vous veut du bien. Assayas et Polanski ont-ils cru qu'il y avait dans le roman de DLV matière à faire son équivalent féminin? Etait-il trop tard quand ils se sont rendus compte que ce n'était pas le cas? Qu'il n'y avait rien à en tirer? Ne l'ont-ils jamais vu? Je l'ignore et à vrai dire, je m'en fous. (Et ne parlons même pas de "la" coïncidence improbable du scénario: la rencontre dans une station-service de la responsable de l'école où Delphine avait rendez-vous, où L. est censée être allée à sa place, sauf que non; il y a pire dans l'histoire des intrigues mal branlées, quoique pas beaucoup. Pire encore: non seulement cette coïncidence est grotesque, mais la révélation du mensonge de L. n'a aucune conséquence sur l'histoire; D. continue à faire confiance à L. sans la moindre raison. D'un autre côté, comme elle n'a aucune raison de faire l'inverse, pourquoi s'emmerder avec ce détail? Idem pour la pseudo-page Facebook, qui n'a aucune incidence.)


Ce qui est vraiment dramatique dans cette catastrophe cuculturelle, c'est qu'elle est symptomatique d'un mal insidieux, d'une perversion institutionnelle qui pourrit la littérature et le cinéma français depuis deux ou trois décennies. A savoir qu'une poignée de décideurs (chacun doté d'autant de discernement pour l'art qu'un entraîneur de foot pour la poésie persane du XVe siècle) FONT la littérature et le cinéma; ils jettent leur dévolu au petit bonheur la chance, consacrant de tristes sires et de sinistres évaporées (voire, des pauvres types), les portant au pinacle de la gloire et de la consécration en les faisant mousser dans les médias de leurs "chersamisdetrenteans" (voire de leurs beaux-pères), à coups de pubs de merde (pardon pour le pléonasme), de chroniques frauduleuses et de prix littéraires âprement négociés sous le manteau. Le succès d'une outre à vinaigre du calibre de Joël Dickhead en est l'illustration la plus absolue; Le Vigan en est son pendant le plus inepte.


Conclusion: tant que ce genre d'objet culturel indigent existera, tant qu'il y aura des éditeurs et des producteurs décervelés pour les promouvoir, tant qu'il y aura des critiques professionnels assez veules pour leur inventer des qualités avec l'enthousiasme des gamins de deux ans produisant leur premier caca vaguement moulé.. alors, les artistes de ce pays continueront à crever doucement, lentement, sûrement, et en silence, s'il vous plaît.


A moins, bien sûr, qu'ils n'aient le courage de s'exiler.

alfredboudry
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le 4 juin 2020

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Alfred Boudry

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