Daddy's Girl
6.6
Daddy's Girl

livre ()

Ce livre ne ressemble à aucun roman qu’il m’a été donné de lire jusqu’à présent.

A l’heure où des millions de lecteurs et de lectrices se pâment entre les bras d’un Christian Grey, trouvant une jouissance certaine à pouvoir (enfin) révéler qu’ils prennent plaisir à lire de la littérature érotique (et oui, c’est facile de passer aux aveux noyé dans la foule, c’est moins courageux mais c’est plus confortable), ce livre s’assume sur le sujet de la sexualité avec beaucoup de profondeur (sans jeu de mots douteux) et exploite un sujet jusque-là propriété quasi exclusive de Nabokov : la sexualité entre un homme et une adolescente.

Oliva, alias Lia, l’héroïne du roman, a 14 ans quand débute le récit et rien d’une Lolita. Studieuse, brillante, précoce, elle vit la vie de toute adolescente londonienne. En apparence, la seule problématique de sa jeune existence est d’avoir des parents divorcés. En tant que fille unique, pas facile de trouver sa place dans un foyer éclaté mais ça reste le lot de bien des adolescents. Pourtant, avec l’arrivée dans la vie de sa mère (chez laquelle elle vit) d’un nouveau boyfriend, sa jeune existence va basculer et s’engager dans une voie que personne, à commencer par elle, n’aurait pu imaginer et encore moins souhaiter.

Nick (c’est son nom et il lui va comme un gant !) est photographe. Il a tout du bad boy même s’il est résolument ancré dans le monde des adultes. On attend de lui la bienveillance protectrice et le bon sens teinté d’autorité d’un beau-père comme les autres. Sauf que Nick n’est pas un beau-père comme les autres. Impulsif et sensuel, il va rapidement remarqué que la « fillette » de sa compagne est une très belle plante qui paraît avoir 18 ans plutôt que 14 et qu’elle est réceptive à toute nouvelle sensation lui permettant d’en apprendre plus sur qui elle est.

La relation sulfureuse, interdite, passionnée et néanmoins sentimentale qui va désormais lier ses deux êtres m’a littéralement tenue en haleine de la première à la dernière page du livre. Je fus troublée par cette lecture mettant en scène la rencontre improbable de deux ego aux préoccupations différentes mais à l’identité identique, révélatrice d’une profonde solitude et d’un non moins profond besoin d’être aimé. En réalité, aucun d’eux n’est réellement responsable de ce qui va arriver, aucun d’eux n’a vraiment « fait le premier pas » et aucun d’eux n’est capable de stopper l’engrenage qui les entraîne inexorablement dans ses rouages.

Je vois déjà certains d’entre vous froncer le sourcil. Quoi ? Se troubler et s’intéresser à la relation adultère et quasi incestueuse entre une ado et un adulte qui pourrait être son père ? Mais c’est du vice ! Quelle situation contre-nature, abjecte et condamnable. Et pourtant… si l’on transposait ce récit à une autre époque où les jeunes filles étaient mariées dès la puberté à des barbons, aurions-nous ce même regard ?

Olivia est précoce. Elle ne fait pas son âge. Elle ressemble à une femme, pas à une adolescente osseuse et gauche. Elle est même sexy. Elle et ses copines se maquillent et se prêtent des fringues comme tous les ados. Elles flirtent avec des garçons dans des pubs quand leurs parents pensent qu’elles se font une partie de Monopoly pour conclure une innocente soirée pyjamas. Comme vous et moi au même âge, Olivia cherche à faire ses propres expériences. Dans son cas personnel, parce qu’elle n’a plus aucun repère familial auquel se raccrocher entre sa mère qui refait sa vie avec un homme plus jeune qu’elle et son père qui fait un enfant à l’étudiante pour laquelle il a divorcé, Olivia cherche désespérément sa place. Elle voudrait accélérer le temps, devenir rapidement une adulte elle aussi. Elle ne veut plus être considérée comme un bébé car elle n’est, de fait, plus le bébé de personne. Electron relié à aucun atome, elle va laisser sa vie s’accrocher à la queue d’une comète (toujours sans jeu de mot) nommée Nick, le seul être qui lui donne l’impression d’être valorisée, même si cette valorisation se fait par le sexe et même si, aux yeux de la société occidentale qui est la sienne, elle n’a pas le droit d’éprouver de sentiment amoureux pour cet homme, l’amant de sa mère, son propre amant.

Tout au long du roman qui amène le lecteur à regarder en face la réalité de problèmes de société aussi importants que le divorce, l’éclatement de la cellule familiale, la sexualité, les tabous liés au sexe, à l’inceste, à la différence d’âge ou encore l'avortement et la grossesse adolescente, j’ai été remuée par le courage de cette jeune fille qui bien que souvent désemparée trouve la force de faire des choix parfois très difficiles et lourds de conséquences et s’accroche à cette volonté d’aimer et d’être aimée qui lui permet d’avancer, de suivre son chemin, de trouver une voie qui lui soit propre et non celle que cherchent à lui imposer les membres de son entourage, ceux-là même qui ont perdu toute légitimité de le faire en l’abandonnant à son sort. Quelle moralité et quelle autorité pourraient bien prêcher des parents qui n’appliquent pas eux-mêmes les principes qu’ils prônent ?

Olivia, bien que traversant cette difficile période de l’adolescente où tempêtent doutes, cruelles illusions, vaines espérances, questionnements multiples et rejet de soi comme des autres, triomphe à ne pas seulement subir sa vie mais au contraire à agir, certes en tâtonnant parfois maladroitement, mais sans cesser de progresser.

J’ai été très favorablement impressionnée par ce roman, surtout qu’il s’agit ici d’un premier roman ! La qualité d’écriture, la maîtrise de la narration, l’analyse fine de la complexité des sentiments des protagonistes sont autant de points forts qui me font chaudement recommander sa lecture.

PS : bémol sur la forme, le livre comportant pas mal de fautes d’orthographe et de mots manquants ; ça ne gêne pas véritablement la lecture mais c’est toujours regrettable.
Gwen21
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le 12 févr. 2013

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Gwen21

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