C’est terrible

Premier roman de David Dufresne, Dernière sommation constitue un ovni culturel, un objet inédit indispensable.
Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut en connaître l’auteur. David Dufresne, @Davduf sur Twitter, est une journaliste indépendant. Précurseur dans beaucoup de domaines, notamment sur le net, c’est à lui qu’on doit un des tout premiers webdocs d’envergure (Prison valley). Touche à tout génial, il magnifie tout ce qu’il fait et excelle dans chacune de ses excursions.

C’est également lui qui pilote, seul, depuis plus d’un an, le projet « Allo @place_Beauvau » dans lequel, sont compilés tous les signalements prouvés (vidéo ou témoignage à l’appui) des violences policières dans les manifestations des gilets jaunes. À ce jour, 860 signalements ont été effectués. Ces tweets sont adressés directement au ministère de l’intérieur. Et l’accumulation de ces bavures n’a pas empêché le président de la république de dire qu’il ne fallait pas parler de violences policières. C’est aussi lui qui, venu sur un plateau télé parler de ce projet, s’est effondré en larmes, touché parce qu’humain par toute cette détresse, tous ces mutilés, toutes ces vies amputées.

David Dufresne, c’est lui. Et c’est plus que ça puisque Dernière sommation est son premier roman. Là aussi, il réussit avec brio. Avec une écriture fluide et ciselée, un découpage haché et percutant, il emmène ses lecteurs dans le tourbillon de la doctrine policière et de ses applications sur le terrain. Mais sur le fond, c’est une réussite plus grande encore. Car Dernière sommation est un roman, donc une fiction, mais c’est une fiction qui s’ancre dans une réalité que nous connaissons, un quotidien dont nous sommes tous témoins, qui s’appuie sur l’expérience véritable de son auteur aux multiples casquettes. C’est d’ailleurs là que le tour de force véritable réside : le fait que, dans cette joute réunissant des personnages fictifs, on ressente le vécu et l’authenticité. On cherche ce qui relève de l’autobiographie ou de la pure invention. Et on se plait à se dire que cette forme, le roman, permet à son auteur de dire ce qu’un journaliste ne peut pas. Il peut ainsi, après avoir transformé les personnages, dire certaines vérités, relater certains témoignages, dire une vérité (son fils dit de son père que son métier est d’être véritiste) qu’on ne peut pas lire ailleurs. Il peut dire une vérité qui n’a pas de preuves. Ancré dans l’actualité chaude, dans l’émotion, dans la politique, à la croisée des chemins des black blocks et des fonctionnaires de la préfecture de police, mêlant habilement calculs politiques, pression médiatique, ombre présidentielle, cafouillages, bavures et humiliations véridiques, l’histoire d’Étienne Dardel, double romanesque de l’auteur, prend aux tripes jusqu’au bout.

Dernière sommation semble vrai, frappe fort, sonne juste. C’est un avertissement politique, une alerte qui pose les bonnes questions, une ultime réflexion. C’est une… dernière sommation.