À la lecture, j'avoue avoir trouvé l'ouvrage peu convaincant, rejoignant en cela la critique de Voltaire : une idéalisation de l'homme à l'état de nature, simple et immuablement heureux (Ex : "ses modiques besoins se trouvent aisément sous sa main", "son âme, que rien n'agite, se livre au seul sentiment de son existence actuelle"), dans une opposition un peu facile à l'homme civilisé, inévitablement dévoré par ses passions. À peine la distinction, à mon sens fondée, entre deux origines à l'inégalité (l'une due à la nature, l'autre aux hommes), et quelques puissantes réflexions, qu'on soit par ailleurs d'accord ou non avec elles, venaient ça et là élever un peu le niveau de l'ensemble (Ex : "le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile").
D'autres analyses m'ont néanmoins permis de reconsidérer ce premier jugement : d'abord, il s'agit bien d'une réflexion sur l'origine de l'inégalité, et non sur les mérites respectifs de l'homme sauvage et de l'homme civilisé. Ensuite, la recherche de cette origine suppose, lorsque l'inégalité est bien due aux hommes (et non à la nature), d'imaginer les prémices de l'humanité, et donc de réfléchir à ce que pouvait être l'homme à l'état de nature, défini comme étant à mi-chemin entre l'animal et les toutes premières sociétés. À ce stade, l'homme est en effet capable de se perfectionner (contrairement aux autres animaux), tout en ne connaissant pas encore les inégalités sociales, qui ne pourront advenir qu'avec la vie en société.
S'il en profite justement pour l'accompagner d'une réflexion concomitante sur la création des premières sociétés (les hommes se regroupant principalement par nécessité) et sur l'évolution du langage (de plus en plus sophistiqué et abstrait), Rousseau attribue finalement l'inégalité sociale à la propriété, les hommes s'accaparant de façon arbitraire et inéquitable des biens, en cherchant d'abord à les protéger par la force, puis au moyen d'institutions. De cette usurpation du bien commun découleraient ensuite d'autres inégalités sociales : richesse et pauvreté, différences de classe, rôle de chaque sexe.
S'il est clair que je n'ai pas pleinement compris l'ouvrage, et malgré son intérêt, certains points continuent à me gêner :
- D'une part, un manque de nuances : comme nous tous, Rousseau est contraint d'imaginer ce qu'était l'homme à l'état de nature, sans pouvoir se le représenter de façon certaine, faute de sources complètes et fiables. Cela ne l'empêche pourtant pas d'employer un ton très affirmatif (peut-être pour convaincre ses lecteurs), alors que le conditionnel et la formulation d'hypothèses auraient parfois été bienvenues
- D'autre part, et malgré tout, une certaine idéalisation du bon sauvage : décrit comme étant finalement meilleur que l'homme civilisé, alors qu'on se demande quand même quels sauvages Rousseau a lui-même pu côtoyer (et même s'il a seulement cherché à en côtoyer) pour être si péremptoire. Pour dresser un parallèle, on retrouve un peu la même facilité avec "Émile ou De l'éducation", traité d'éducation écrit par un auteur ayant lui-même, quelles que soient par ailleurs ses raisons, abandonné ses 5 enfants.