Dogra Magra

Ce livre a été écrit en 1922 par Yumeno Kyusaku à la suite du suicide d’un de ses lecteurs qui, selon son testament, semble avoir succombé à un accès de folie après la lecture du Dogra Magra. On aurait retrouvé le corps sans vie, marqué de traces de lutte contre soi-même et tenant encore fermement dans la main gauche, déformée en une étrange crispation, un rouleau peint sur lequel on n’aurait pu lire que ces quelques mots « Tout ça, c’est le rêve du fœtus… », comme si cette seule phrase suffisait à expliquer que cet homme mit fin à sa vie. Comme frappé par une sorte de réminiscence, l’écrivain, en s’écriant « Mais c’est bien sûr ! », aurait alors eu l’idée de composer l’œuvre de sa vie, qu’il ne publiera finalement jamais, incapable de mettre un terme aux divagations contradictoires dans lesquelles il s’était lancé.
Ahahahahaha désolé, mais c’est complètement faux. Vous ne m’avez pas cru, quand même ? Non, le lecteur lucide que vous êtes a bien dû se rendre compte des quelques étrangetés qui se sont glissées dans mon discours… vraiment, bravo ! Vous êtes du type tout à fait rationnel, à ne pas vous laisser berner par n’importe quelle fadaise…

Bien, maintenant que vous avez l’esprit vraiment disponible, en alerte, à l’affût du moindre piège de langage ou de raisonnement (c’est terrible, je ne peux plus dire n’importe quoi, comme d’habitude !), je vais pouvoir vous parler un peu de ce… comment déjà… Dogra Magra… oui c’est ça.

Qui commence ? Personne ? Vous n’allez pas me laisser tout faire, tout de même. Après tout, vous l’avez fait, vous aussi, ce rêve, lorsque vous n’étiez encore qu’un fœtus. Vous avez assisté à tous les tourments de l’espèce humaine depuis son commencement, même depuis la toute première cellule.
Vraiment, ça ne vous dit rien ?... Bon, je suppose que je peux bien vous aider à vous souvenir, mais je vous préviens, je ne peux qu’émettre des suggestions, le fond du fond de l’affaire ça ne dépend que de vous, de vos interprétations. Eh bien oui, je ne vais quand même pas tout vous révéler ! On m’accuserait ensuite de divulgâcher toute une histoire… alors même que celle-ci est des plus simples, des plus limpides ! Les clés vous en sont servies sur un plateau, dès le début, pourquoi refusez-vous de vous fier à elle ? Quelque chose qui cloche ? Une contradiction quelconque ? Mais c’est tout à fait naturel ahahahaha, c’est justement cet entremêlement de liens logiques et contradictoires qui finit par vous rendre fou à vous creuser la tête juste pour ça, et vous prouve du même coup le bien-fondé de notre théorie ! L’hérédité psychologique ! Le cerveau n’est pas le siège de la pensée ! La thérapie par l’émancipation des aliénés !

Désolé… je ne sais pas pourquoi, je mélange tout. Ces théories fumeuses, qui appartiennent au professeur fou Masaki, ne sont sûrement au fond que le produit d’un esprit délirant. Il ne vous faut simplement pas oublier qu’il y a toujours quelqu’un qui tire les ficelles, même si on ne sait pas toujours bien qui c’est. En l’occurrence, je pense que c’est moi.

Comment ?

Non, non, ne commencez pas à me demander ce que j’entends par là, on risquerait de s’y perdre, ahaha, et on a déjà bien à faire. Comment vous y prendriez-vous, tenez, pour mettre un vaniteux qui a sombré dans les affres d’une existence de luxure et d’ambitions démesurées face, justement, à la vanité de toute existence ? En lui faisant sentir les effets du passage du temps, par exemple, entreprise qui paraît bien ardue quand on sait la forme insaisissable et capricieuse de celui-ci. En tout cas, Go Seishû a son idée à lui, bien précise. Il sait comment s’y prendre. Et en tenant ce Dogra Magra entre mes mains, je me demande si Yumeno Kyusaku n’a pas lui aussi sa petite idée de comment s’y prendre…
Quant à moi, je n’en ai aucune idée ! pas même le moindre soupçon

Eh ! à quoi bon s’éterniser. Après tout, je ne souhaite pas vous retenir plus longtemps que ça ici. Vous en avez de la chance, finalement, que je m’arrête déjà après quelques paragraphes ! … Quand même, rassurez-moi, vous n’auriez tout de même pas souhaité que ça dure, vous n’en êtes pas à ce stade, à désirer qu’on vous triture le cerveau qu’on le jette à terre et qu’on le piétine, alors qu’il vous est si utile ?

Si vous en êtes vraiment arrivé là, alors je passe le relai à l’auteur…

Peut-être vous faites-vous déjà une meilleure idée du livre dont il est question ici… si tant est bien sûr que vous venez vraiment de lire cette critique, et que ce n’est pas cette seule phrase, que vous avez à l’instant sous les yeux, qui vous a rappelé une lecture antérieure de ce texte et que, par un étrange phénomène illusoire, vous avez maintenant l’impression que vous venez de la lire ? « Mais non, voyons, j’ai bien perdu 5 minutes à lire ce charabia ! » Ahaha, ce n’est pas comme si de tels phénomènes de dilatation du temps étaient rares ! « Publiée le 21 octobre ! Tout de même, je ne rêve pas ! » Ohlala ! et qu’est-ce qui vous fait dire que je ne l’ai pas supprimée pour la republier ? Et puis, cette date ne vous rappelle pas quelque chose ?... Bon, bon, je vous laisse… mais quand même, si c’est déjà la énième fois que vous vous retrouvez ici, l’esprit un peu brumeux, c’est peut-être qu’il est temps que vous lisiez tout ça… afin de vous le remémorer pour de bon.