Dracula
7.7
Dracula

livre de Bram Stoker (1897)

« La folie serait beaucoup plus facile à supporter qu'une vérité comme celle-ci »

Ces dernières années, on a pu assister à une montée en puissance des vampires dans différents médias : la littérature, le cinéma, le jeu vidéo, la série TV et j’en passe. Forcément, il y a à boire et à manger là-dedans et si c’est pas toujours potable ou comestible (je vous laisse sélectionner les exemples) c’est quasiment devenu incontournable. Il ne faut pas faire des recherches bien longtemps pour voir que Dracula de Bram Stocker est un point de départ assez important du phénomène bien qu’il remonte déjà à plus d’un siècle. Ayant envie de découvrir ses origines, je me lance dans cette lecture avec pas mal de curiosité.


L’ambiance prend son temps pour s’installer avec les 5 premiers chapitres consacrés à Jonathan en Transylvanie, une tension qui monte crescendo avec l’arrivée au château non sans mises en garde sur le danger et les événements surnaturels plus ou moins évidents qui se succèdent et rien que cette partie-là de l’intrigue montre clairement ce que sera le récit. Dracula a beau donné son nom à l’œuvre, ce n’est jamais de son point de vue que l’on vit l’histoire mais toujours du côté des humains qui le rencontrent ou leur entourage proche, un point de vue qui se défend parfaitement pour que le lecteur s’identifie mieux aux personnages tout en renforçant l’aura de l’antagoniste souvent dans le mystère et le mysticisme.


Une excellente idée est d’avoir mêler des éléments surnaturels à des contextes qui peuvent justifier que ces mêmes personnages les croit anodins ou en tout cas pas si alarmants que ça avec un hôpital psychiatrique, des crises de somnambulisme... Leurs réactions ne paraissent ni trop naïves, ni trop assurées, le juste milieu est bien trouvé la plupart du temps et c’est pourtant un écueil dans lequel les œuvres horrifiques contemporaines, avec vampires ou non d’ailleurs, tombent régulièrement. En résulte des personnages attachants pour lesquels j’ai pris autant de plaisir que de craintes pour eux à suivre leurs mésaventures.


Bram Stocker prend le temps de décrire les phénomènes les plus flippants pour que le lecteur ait le temps d’imaginer ce qui est en train de se passer et comme tout est traduit de par la vision des personnages qui ne comprennent pas nécessairement ce qui est en train de se produire, ça marche vraiment très bien. J’ai pas mal de passages horrifiques en tête qui sont assez forts alors que je les ai déjà vu, lu, joué ces dernières années. Mais là c’est assez bien écrit pour que ça fonctionne parfaitement même si je ne découvre absolument pas l’univers des vampires avec cette lecture, une preuve incontestable de qualité.


D’ailleurs, le livre prend vraiment un parti pris assez osé qui est de commencer à expliquer les choses dans le détail qu’arrivé à la moitié du livre à peu près, jusque là on peut vraiment ne rien comprendre à ce qui se passe si on ne connaît pas du tout l’univers des vampires, et je pense que ça renforce l’identification aux personnages qui eux non plus ne comprennent pas grand chose. Même la mort de certains personnages est assez peu explicite par moment et on peut avoir une réponse définitive à ce sujet seulement 100 pages plus tard.


Un autre point fort c’est que l’auteur s’est vraiment pris la tête a raconté son histoire de façon épistolaire, c’est-à-dire avec une narration systématiquement par lettres postales, journaux intimes, coupures de presse... sans que le rythme ou que la cohérence n’en souffrent. Ces correspondances sont de plus pertinemment intégrées au récit, certains personnages seront amenés à en lire certaines et là dates et destinataires deviennent des informations importantes à retenir et pas seulement des précisions pour faire genre. J’ai lu assez peu de livres abordant la narration par ce biais mais j’ai vraiment le sentiment que celui-ci le fait très intelligemment.


Bon par contre, fin du XIXème siècle c’était des mœurs qu’on pourrait juger un peu obsolètes aujourd’hui : l’homme célibataire devant faire la cour le plus élégamment du monde, le mari devant assuré son rôle de protecteur, la femme célibataire ne doit inspirer qu’à se faire courtiser, la femme mariée doit assurer ses tâches ménagères avec sérieux ou les confier à ses bonnes selon le rang social, le docteur à la figure intellectuelle respectueuse doit inspirer une confiance aveugle, l’ouvrier doit aussi mal parler qu’il doit bien picoler et être facilement soudoyé, l’honneur et la foi doivent naturellement aller de paire... et tout ça n’est que très peu nuancé voire pas du tout.


Par exemple, ce dialogue m’a interpellé : « Je crois que je puis tout vous raconter en détail docteur Van Helsing ! » qui rétorque « Avez-vous une telle mémoire pour les détails ? C’est si rare chez les jeunes femmes ! » Celui-ci vaut le détour également : « Cette merveilleuse madame ! Elle a le cerveau d’un homme et le cœur d’une femme. » C’est le personnage le plus lucide et dans un rôle très positif qui lâche ça l’air de rien et sans aucune nuance en réaction, genre c’est normal de penser qu’une jeune femme ait une mémoire plus frivole que la moyenne ou homme = raison et femme = émotion...


C’est justifié par le contexte de haute société conservatrice dans laquelle nos personnages évoluent, c’est juste que j’ai le sentiment que ça ne serait plus si facilement accepté aujourd’hui, enfin je dis ça mais Twilight est encore plus rétrograde sur bien des sujets et s’est pourtant plutôt bien vendu donc qu’est-ce que j’en sais. Enfin, ça reste un sacré défaut pour moi car je me suis fait cette réflexion un peu trop souvent à mon goût et surtout c’est le manque quasi-total de nuance qui m’a dérangé, heureusement que l’intelligence de Mina est utilisée pour faire avancer le récit.


Je suis tout de même très satisfait par cette redécouverte du mythe des vampires avec Dracula qui s’avère bel et bien chargé en passages d’une grande intensité horrifique grâce à un antagoniste aussi classe que dangereux pour des personnages attachants. Ajouter à cela la narration épistolaire maîtrisée et c’est vraiment dommage que les mœurs obsolètes et rétrogrades à des yeux contemporains l’empêche d’être un livre que j’adore mais que j’apprécie.

damon8671
7
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le 8 sept. 2017

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damon8671

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