Bangkok est sale. Bangkok est moite. Et selon Thomas Day, c'est à Bangkok que Dragon a choisi de libérer les flammes de sa fureur. Dragon qui, insaisissable, sort du recoin sordide d'un quartier de ladyboys pour faire bouffer ses couilles à un policier pédophile. Et ceci sans ciller, en comptant jusqu'à sept. Chiffre magique s'il en est. Le chiffre du Dragon: sagesse et fureur.
Thomas Day pose avec facilité, dans ce tout premier roman de la nouvelle collection du Bélial, les bases d'une intrigue se déployant à toute vitesse, enserrant la gorge du lecteur bien avant qu'il ne se rende compte de l'ampleur des images défilant devant ses yeux. Tann est un membre de la police du tourisme de Bangkok, très bon dans ce qu'il fait puisque ce qu'il préfère, c'est s'immerger jusqu'à ne plus pouvoir remonter à la surface dans les innombrables bars à ladyboys semés dans la ville inondée par une mousson interminable engendrée par un dérèglement climatique globale. Car Tann a une idée très précise de la perfection, qu'il poursuit, et cette perfection est transgenre. La routine est ce qu'elle est jusqu'à ce que son quotidien soit bouleversé par cet homme aux pratiques barbares et convaincues, Dragon, tuant les pédophiles et signant ses boucheries d'une carte de visite. Une pour chaque victime, représentant le dragon d'encre.
Les thèmes abordés par Thomas Day sont d'une indicible noirceur, et le livre enferme le lecteur sous une chape de violence et de désespoir en quelques chapitres intenses. Day n'hésite pas vraiment à aller jusqu'à la surenchère de gore et de dégoût, par moment, et je crois que c'est tant mieux. Son intrigue se déroule ainsi, et nécessite cette violence non-voilée. Cette violence crue qui installe l'ambiguïté autour de Dragon, ce "meurtrier des méchants", cette figure brumeuse et pourtant si matérielle. Cette épée d'une justice d'impunité. Car Dragon combat le mal par le mal, et par-dessus tout, l'impunité (virus contagieux de la population actuelle de Bangkok) par l'impunité. Alors oui, autant le dire, les thèmes sont durs et sont traités durement, avec la noirceur et l'impression asphyxiante qu'il mérite. L'écriture de Thomas Day perd volontiers de son pulp habituel pour décrire "l'horreur" comme il la nomme en dédicace du livre.
La prose de l'auteur est agréable à suivre, et fait largement le travail. Comme je vous l'ai déjà dit, rien n'est épargné, et la surenchère est maitrisée, restant ponctuelle. Le fil du récit est amusamment construit, mêlant ellipse narratives, flashbacks et une asymétrie de chapitres, pouvant tout aussi bien faire 3 lignes que 10 pages. Le tout est évidemment mené tambour battant, et l'on admettra sans concession que l'histoire de Thomas Day est bien adaptée au format de la novella.
Pour couronner le tout, avouons que Day nous livre une vision de Bangkok et sa politique véritablement effroyable, plombée par une volonté constante de rester le "pays du sourire". Et peu importe qu'on s'enfile des dizaines de millier d'enfants chaque année dans le pays, tant que ceci ne nuit pas au tourisme et ce qu'il rapporte. Assurément, le fait d'immerger Bangkok sous une eau sale et puante ne fait que renforcer cette impression de malaise insidieusement instillée au cours du récit.
Quant à la fin, que dire? Le fantastique rejoint le bal doucement, ne chamboulant ni le lecteur ni l'intrigue et aboutissant à une fin convenable. Il n'y a pas de déception ou je ne sais quoi d'autre, c'est plus que correct, et je dirais même plus: on sent très vite que d'une manière ou d'une autre, l'histoire allait se goupiller dans ce genre là.
Alors, que dire en conclusion de ce premier ouvrage de la collection une Heure-Lumière, se voulant porteuse d'un imaginaire de qualité se déployant sur de court roman? Eh bien le contrat est parfaitement rempli. Si "Dragon" n'est pas un chef-d'œuvre, c'est cependant un bouquin d'une grande qualité, alliant une intrigue originale et déstabilisante à la verve d'un auteur talentueux.
Je conclurai en rappelant cependant que Dragon est d'une violence rare et d'un propos sombre. Si cela se lit bien, c'est seulement grâce au talent de l'auteur à ne pas faire perdre pied au lecteur. Beaucoup d'auteurs se seraient casser les dents sur des thèmes pareils. Mais bon, évitez quand même de lire ce bouquin le soir de Noël, quoi.