Si aujourd'hui dire de quelqu'un qu'il est fragile équivaut à le taquiner voire à l'insulter selon le contexte, le psychanalyste Jean-Claude Liaudet expose pourtant, en des termes simples accessibles à tous, pourquoi il est nuisible à notre bonheur de nier notre fragilité. Remettre en question notre volonté de dominer chaque aspect de notre vie et plus globalement l'état d'esprit collectif, tel est l'objectif du livre. La psychanalyse offre un prisme qui permet de voir, à la lumière de notre inconscient, les choses d'un angle différent.


Morceaux choisis :
- L'homme est un animal raté : il est immature pour la survie (néoténie). Mais c'est cette non-adaptation à un environnement en particulier qui lui permet de s'adapter, par la technique et le langage, à plusieurs environnements différents. Nous sommes par nature fragiles ! « Le Moi n'est pas maître dans sa propre maison », disait Freud.
- Le Ça est le réservoir de l'inconscient ; le Moi est la partie de l'esprit consciente et sociale ; l'idéal du moi est la version vers laquelle tend le Moi ; le Surmoi est l'autorité qui dépasse le Moi. Pour la métaphore, le Moi est le cavalier qui domine le Ça, tout en étant dominé par le Surmoi.
- Au cours de la vie, il est nécessaire de perdre pour avancer. Nous subissons tous plusieurs ''castrations'', qui sont autant de frustrations à surmonter, en commençant par la naissance qui engendre la nostalgie de la situation intra-utérine. Le sevrage, qui crée une complicité et de la communication entre une mère et son enfant, oblige le nourrisson à reconnaître l'unicité du « bon sein » donneur de lait synonyme de plaisir et le « mauvais sein » absent au moment de la faim synonyme de frustration. La castration anale marque la fin de la toute-puissance illusoire commencée avec l'autonomie musculaire, pendant laquelle le bébé tente de soumettre le monde à sa volonté : il doit apprendre les interdits, développe un Surmoi. Plus tard, l'enfant découvre la castration du sexe quel que soit son âge en apprenant qu'on ne peut concevoir un enfant tout seul (fantasme de la parthénogenèse). On peut ajouter à cela la perte oedipienne, la résignation de l'enfant à ne pas se marier avec son parent du sexe opposé, et la conscience de la mort, castration ultime de notre toute-puissance.
- Refuser les castrations, rester rigide, est source de souffrances. L'adolescence, si difficile à vivre pour tant de personnes, relance ces castrations avec la perte des idéaux, qui pousse à trouver dans des amis du même âge un substitut social des parents.
- L'idéologie libéraliste nie la nécessité des castrations et remplit par un mode de vie basé sur la consommation chaque orifice des individus : yeux, oreilles, nez, sexes sont contentés (images, sons, odeurs…). Être heureux ne consisterait qu'à être plein (provisoirement...), comme le bébé après la tétée.
- Différents mécanismes psychiques nient l'inconscient pour tenter de préserver la volonté de domination de soi-même : la dénégation (« comment ça, j'ai un désir d'épouser ma mère, c'est plutôt l'inverse »), l'annulation rétroactive (« je n'ai jamais eu cette pensée-là ! », la formation réactionnelle (oublier la passion pour la saleté en devenant maniaque de la propreté), la projection (donner à l'autre les vices de notre inconscient), la régression (en l'absence de plaisirs adaptés à notre âge, on retourne vers des plaisirs infantiles)…
- L'angoisse est quasi inévitable au cours d'une vie. C'est un effondrement du Moi sous la pression du Surmoi culpabilisateur causé par un sentiment d'abandon, par un désir ou par la morale.
- Maladies psychosomatiques : la moitié des cas traités par le généraliste ont une origine psychique ! Le désordre de l'esprit crée le désordre du corps.
- L'individualisme est le mythe moderne de l'autoconstruction, une promesse illusoire de toute-puissance sur soi. Conséquence : le narcissisme, qui se traduit par une sexualité débridée, une incapacité à s'affliger de la peine d'autrui. Obligé de se construire sans les autres, l'individu devient indifférent. Sa confiance en lui baisse, le poussant à exhiber face aux autres ce qui apparaît comme des qualités pour compenser.
- Le libéralisme semble dans les faits nous pousser à être nous-mêmes, c'est-à-dire le plus proche possible de la norme, de se contenter des mêmes plaisirs que les autres.
- L'amour, par nature fragile, nous rappelle notre fragilité : on est dépendant de l'autre. Les castrations de l'enfance nous ont rendus incomplets, d'où le bonheur d'être comblé par l'autre. Il n'y a pas domination mais dialogue.


« Du bonheur d'être fragile » propose des enseignements utiles et éclairés. Admettez votre fragilité et votre absence de toute-puissance ; trouvez d'autres sources de bonheur que la consommation, qui vous replace dans l'état infantilisant du bébé tétant le sein de sa mère ; prenez soin de votre esprit, qui prendra soin de votre corps ; ne sombrez pas dans l'individualisme. Lecture recommandée, particulièrement si vous vous intéressez à la psychanalyse.

ChevalierPetaud
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le 28 juil. 2016

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