El Ultimo lector met en jeu deux personnages qui, autour d'eux, attirent toute l'intrigue du livre. Sur un versant se déploie Remigio : dès la scène liminaire, au fond d'un puit asséché (car mexicain), il découvre le corps, mettons, plus très vif, d'une fillette, et balafre son visage en tentant de la remonter à coup de crochet : immédiatement, il craint d'être inculpé. De l'autre, il y a Lucio, bibliothécaire esseulé, bibliovore affamé et insatisfait, qui passe (gaspille?) ses journées à lire des romans. Détail intriguant : au parcours des ouvrages, il frappe, suivant le bonification de la lecture, la plupart de ses livres d'un tampon « CENSURÉ ». Ce rapport de Lucio aux livres accouche de la recherche assez prenante d'une issue pour le tragique du cas de Remigio.


Consonances espagnoles aidant, le bouquin reste très en prise avec une certaine description du Mexique, de son désert, de l'ambiance de ses quartiers miteux, déconstruits, hétéroclites. L'auteur s'échine, avec un certain brio, à charger d'intérêt romanesque un village mexicain isolé.

Le cumul de ces éléments, plutôt originalement croqués du reste, filent une méthode narrative particulière. En effet : bien que faisant figure de toile de fond et de fil conducteur, le cadre mexicain inauguré par l'incipit est constamment incrusté, par séries de mises en abyme, d'autres mondes romanesques, tirés du répertoire littéraire de Lucio : la Mort de Babette, le Pommier... Et, bien entendu, sans aucun avertissement textuel. Au lecteur de deviner.

À mesure que s'implante l'action, les noms des personnages fictifs et réels s'intervertissent sans problème, les histoires s'entre-mêlent, en profitant des similitudes. Se construit cette encapsulation des récits, hallucinante. Bien plus, le narrateur transpose les situations pour concevoir des portes de sortie aux problèmes qu'il affronte avec Remigio — le cadavre, la façon de le cacher, comment mentir aux enquêteurs. Par moments, il devient difficile de savoir ce qui se passe ou non et pour qui. Plane ainsi, au coeur du livre, une merveilleuse confusion qui fait transpirer d'angoisse et qui court sur tout le roman.

Partant, l'auteur fait entrer en conflit réalité et fiction, dont la ligne de délimitation se plie sans cesse, se laisse percer à grosses vagues, jusqu'à se briser tout à fait.


On peut sortir des remarques additionnelles car, revêtant par intermittence les hardes du critique littéraire, Toscana dynamite l'idée de l'épanchement stylistique. Belle façon d'évacuer Balzac, Zola, toute l'école réaliste, mais surtout de rayer une tranche assez honnête des grands noms de la littérature.

De surcroît, fustiger la littérature mièvre et sentimentaliste constitue tout un programme : « Raconter la mort de quelqu'un implique davantage que d'injecter dans un texte des synonymes des mots horreur, angoisse, douleur. », « ils parlent de sang et d'horreur, mais on ne voit ni l'un ni l'autre, c'est pourquoi ils remplissent leurs descriptions d'adjectifs. ». Exit, en outre, les tirets, les parenthèses et autres artifices : le véritable écrivain saura s'en passer. Son style, concis, évocateur, bien qu'un peu formel par endroits, répond exactement à cette approche.

Voilà : souvent taillé à l'emporte-pièce, c'est le manifeste pour une littérature lyophilisée, éthérée. On décelera même, par instants,des parcelles de pure extase stylistique, tandis que se déploie, en filigrane, une méthode de narration vraiment novatrice.

Allez, hop. El ultimò lector, apposons-y le tampon «Valeur éprouvée.»
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le 9 juil. 2012

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