" La jeunesse heureuse est une invention de vieillard "… ce n'est pas Edouard Louis qui viendra contredire cette pensée de Paul Guimard. " Jeunesse ". Hasard de calendrier, ce sont deux romans autobiographiques qui traitent de ce même thème et du combat mené par deux jeunes hommes pour s'affranchir et s'affirmer dans leur vie d'adulte. A ma droite, Charles Consigny, avec " L'âge tendre ", brillant jeune homme de " bonne famille ", un peu paumé, un peu camé mais très doué. A ma gauche, Edouard Louis avec " En finir avec Eddy Bellegueule ", issu d'un milieu très défavorisé, persécuté, bafoué et également très doué. Les mots acerbes comme autant de coups bas pleuvent des deux côtés de leur plume et n'épargnent personne. Leur sortie de l'enfance, puis de l'adolescence est traumatique. Là s'arrête la comparaison, car il n'y a pas de match entre ces deux jeunes auteurs. Leurs " rings " respectifs sont diamétralement opposés. On s'interroge toutefois sur l'état de souffrance de cette jeunesse, quelque soit le versant, le quartier ou le milieu dont elle est issue… Elle apparaît de plus en plus comme une génération sacrifiée… Et pour deux qui vomissent ce mal être, combien d'autres endurent le pire dans une silencieuse solitude ?

Mais revenons à Edouard Louis. " Pour en finir avec Eddy Bellegueule " à tout du roman social. Sa description sans concession d'un monde clos et primaire (le village, voire la famille) dont on pensait qu'il avait disparu depuis des lustres, pourrait d'ailleurs renouveler la série des " Rougon-Macquart " tant le sordide vient illustrer une réalité sociale dont le chômage, l'alcoolisme, la violence, la pauvreté forment le socle. Un cercle vicieux, teinté d'obscurantisme, qui n'offre comme seul salut, que la fuite ! Le roman est dans ce sens intelligemment construit par sa trame qui va decrescendo dans la violence et touche presque à la fin à l'apaisement. Implacable également la façon dont Edouard Louis interprète le regard de l'autre, avec ce constat évident que le plus mauvais œil, le plus destructeur et le moins nuancé n'est autre que le sien. Il est par contre regrettable que régulièrement il se sente obligé d'en " rajouter " par l'usage abusif de parenthèses. Les scènes décrites sont suffisamment explicites et n'ont pas besoin d'être complétées par des détails encore plus graveleux, cela donne au lecteur l'impression de n'être pas à même d'imaginer. Dans ce sens, ce 1er roman ne se démarque d'une certaine facilité en ne contrant pas ce phénomène sociétal actuel qu'est le tout déballage médiatique de sa vie privée, voyeuriste et complaisant (campagne marketing à l'appui). C'est dommage, car le talent est là et Edouard Louis n'est pas un personnage fictif de téléréalité ! On attend donc son second roman avec impatience.
Fritz_Langueur
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le 10 sept. 2014

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Fritz Langueur

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