Et Nietzsche a pleuré de tant de confusion intellectuelle.

Il y a une légende, bien ancrée dans les têtes, qui fait de Nietzsche un défenseur (sans que lui même ne le sache le pauvre) de la psychanalyse et que Freud et lui sont finalement des plantes issus des mêmes racines. C'est évidemment faux et à partir de ce moment là le livre ne peut être qu'hors de propos. Le résumé est simple : le Docteur Breuer est, par l'entreprise d'une ancienne maîtresse de Friedrich Nietzsche, amené à l'aider pour un mal inexpliqué, une mélancolie, une hystérie. Précurseur de la psychanalyse, mentor de Freud qui apparaît régulièrement dans le roman, il va tenter d'appliquer sur Nietzsche une thérapie de la parole, et ce dernier le lui rendra bien. Comme une partie d'échecs, les deux hommes se dévoileront peu à peu jusqu'à ce que Nietzsche finisse par devenir humain, par pleurer. Le Docteur Breuer, lui, se rendra compte qu'il faut choisir sa vie selon l'éternel retour nietzschéen.


Commençons par les points positifs car il y en a et ce sur la forme du roman, sur le style. Le roman est bien ficelé, travaillé, documenté et le lecteur n'est pas arnaqué ni sur la qualité, ni sur la quantité de la narration. Les dialogues sont intéressants, bien qu'un peu naïfs parfois et le style du traducteur est simple et se lit facilement. La construction est longue, détaillée et on s'ennuie peu. L'art du roman est maîtrisé par Irvin Yalom, notamment par la mise en place de pièges littéraires classiques et plaisants. On salue également ce lien fait entre psychanalyse et judéité historiquement. Même si la forme est intéressante, le fond, lui, est évidemment profondément discutable.


Le simple fait de psychanalyser Nietzsche est déjà profondément dérangeant. Car les deux hommes, si on lit de la manière onfrayenne, ne partagent absolument rien. On est évidemment porté à croire que les deux hommes sont proches, mais si Nietzsche est réellement athée, Freud lui remplace la religion par une autre qui est la psychanalyse qui, sous ses atours pseudo-scientifiques dans le roman, n'est qu'une fumisterie idéologique, une spiritualité dérangée et une arnaque de charlatan. N'oublions jamais que la psychanalyse n'a jamais été prouvé comme une science exacte, ce n'est donc pas une science, mais un croyance. L'éloge rationnelle d'une méthode irrationnelle est donc déplaisante d'autant plus que Nietzsche n'est pas idéologiquement proche des médecins viennois. De plus, les lieux communs philosophiques sur le freudisme et le nietzschéisme (pas faux cependant) sont un peu agaçantes et on a l'impression d'assister à un cours de philosophie bas de gamme qui finit par une morale un peu égoïste (phrase de Lou Salomé : ne pas se laisser emprisonner par les faiblesses des autres). Une morale de riches en somme.


Le point le plus gênant est peut être l'utilisation fallacieuse de la vie de Nietzsche (on entre dans sa vie privée sans son consentement) pour en faire un personnage particulièrement immonde et un brin attendu d'un misanthrope machiste et asocial. Evidemment, à partir de ce personnage de carton-pâte qui est tout de même, outre les derniers chapitres, une peinture au vitriol d'un homme qui ne peut se défendre (car qui n'a jamais eu de correspondances privés parfois violentes?), le concours d'enfonçage de portes ouvertes sur les méchants hommes et la méchante société nous font douter de la réelle compréhension de la pensée de Nietzsche par l'auteur. Egalement, cette impression malsaine à la lecture du roman que le philosophe est une forme d'homme sectaire qui embrigaderait par une philosophie totalitaire est choquante et peut porter à controverse. Quoiqu'il en soit, le livre est sincèrement mauvais sur le fond. Heureusement, pour le supporter, la forme nous permet de savourer un bon roman, mais un très mauvais essai.

PaulStaes
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le 30 juil. 2017

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Paul Staes

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