Un nom sur une liste, qui dit en creux un destin tragique, fait tout à coup revivre au narrateur des souvenirs qu’il croyait morts en lui. Il se laisse alors errer au gré des images, des sons et des couleurs de son enfance et reconstitue peu à peu le portrait de Mahmma, la femme qu’il a peut-être aimée.
Avec un style empreint de pudeur et de délicatesse , l’auteur nous emmène avec lui vers les eaux de son enfance, celles qu’il a goûtées, qui l’ont marquées pour toujours, mais auxquelles il n’a jamais véritablement appartenu. En chemin, c’est le Maroc que nous visitons, d’abord avec les yeux émerveillé de l’enfant face à la liberté des tribus des montagnes, puis avec ceux de l’adulte qui voit peu à peu la destinée de Mahmma se tordre comme la courbe du concombre sous le poids des règles et de l’hypocrisie d’une culture qu’on veut lui imposer.
La critique est sobre, efficace et sans manichéisme. Cependant il est regrettable que l’auteur surcharge les symboles en opposant l’eau, la femme, la nature, la liberté et le sensualisme d’une part, et la terre, les hommes, la religion, la culture et la raison de l’autre. Mahmma serait plus touchante et plus réelle si l'auteur l'avait moins enfermée dans le cliché du "bon sauvage".
L’imaginaire poétique du roman est bâti autour de l’eau, insaisissable, plurielle, synonyme de pureté et de liberté. L’auteur ne se contente pas d’en décliner les métaphores, il essaye d’en faire un principe de construction romanesque : le narrateur voyage au milieu des souvenirs comme au milieu d’une rivière, et ressemble à un enfant qui voit l’eau qu’il a saisie entre les doigts lui échapper. Pour classique qu’il soit, le concept est bien tenu et l’auteur parvient à se le réapproprier, sans pour autant le réinventer.
Sous cette apparente limpidité, l’histoire est pleine de non-dits. On aimerait notamment en savoir davantage sur le fils de Mahmma, la vie qu’a menée le narrateur et la manière dont il est devenu écrivain, mais on est conduit à colorier nous-mêmes les blancs du dessin. Cet inachèvement est cependant assumé et cohérent : le narrateur ne cherche pas ici à se remémorer les faits exacts mais à s’abandonner à la sensualité d’un passé dont il comprend enfin qu’il ne l’a jamais quitté.