La méthode d’Yves Lavandier pour « Évaluer un scénario »

Auteur, cinéaste et spécialiste en narratologie, Yves Lavandier s’adresse aux lecteurs de scénarii, membres d’atelier d’écriture, consultants ou script doctors. Après La Dramaturgie et Construire un récit, également parus aux éditions Les Impressions nouvelles, il expose ici une méthode rigoureuse d’évaluation des scénarii.


Ceux qui se sont penchés sur Construire un récit ne seront certainement pas déroutés par la forme d’Évaluer un scénario. Dans un style toujours aussi clair et fluide, et avec force exemples, Yves Lavandier explique ce qui devrait idéalement présider à l’appréciation minutieuse d’un scénario. Il attend d’un bêta-lecteur authenticité, neutralité, bienveillance et humilité, capacité de dissocier le symptôme, le diagnostic et la prescription, mais aussi la localisation précise des éventuels points d’achoppement, la juste observation des potentialités d’un script et une maïeutique adaptée au suivi d’écriture.


Avant toute chose, et c’est toujours utile de le mentionner, l’évaluateur doit impérativement s’adonner à une lecture complète du texte, réalisée dans des conditions idoines de réception. Il devra ensuite commencer son compte-rendu par du positif et le terminer également sur une bonne note. La perception du « verre à moitié plein » semble ainsi, au même titre que l’absence de jugement envers l’auteur (car on évalue l’œuvre, pas l’artiste), l’une des conditions sine qua non d’un travail réussi de script doctor. Yves Lavandier rappelle avec humour la nécessité pour un évaluateur d’avoir au préalable une expérience d’auteur : « Toute personne dont le métier est lié au texte dramatique (lecteur, producteur, juré, décideur, animateur de stage, metteur en scène, etc.) et qui ne s’est jamais essayée à en écrire sérieusement est un peu comme un prêtre catholique se prononçant sur la sexualité conjugale. » Cela ne l’empêche pas de dissocier les aptitudes de l’un et de l’autre : pour juger un scénario, il faut pouvoir se projeter mentalement dans l’histoire et décrypter avec soin sa narratologie, ce dont certains auteurs demeurent incapables.


Yves Lavandier distingue le ressenti objectif, reposant « sur les mécanismes universels et intemporels de la narration », et le ressenti subjectif, basé « sur les goûts personnels » du lecteur. En prenant pour exemples Fenêtre sur cour ou Haute Pègre, il rappelle que la solidité d’un texte n’a jamais constitué un problème pour sa mise en scène. A contrario, il met en doute le « dogme » selon lequel cette dernière pourrait sublimer un film au point d’en faire oublier un script bancal. Un passage de cet ouvrage nous renvoie brièvement à l’autoportrait rédigé en mars 2019 par les scénaristes de cinéma français : il y est question des piètres conditions de rémunération des auteurs, mais aussi des politiques appliquées au CNC. Quant au juste prix du script doctoring : « En France, le budget moyen d’un film est d’à peu près 5 millions d’euros (d’après une étude du CNC publiée en avril 2016). Sur ce total, 4% sont consacrés à l’ensemble du poste scénario. Cela représente donc une moyenne de 200000 euros (…) Un bon script doctoring peut, par exemple, faire la différence entre «le film ne se fait pas» et «le film se fait». Il peut aussi contribuer à augmenter le taux de satisfaction du film fini. Et donc l’aider à ne pas passer à la trappe de l’Histoire. Dans ces conditions, il me semble que demander 2,5% du budget scénario, c’est-à-dire 5000 euros (en moyenne), est tout à fait raisonnable. »


Dans les nombreux conseils qu’il distille, Yves Lavandier introduit quelques points primordiaux : on peut montrer avec du dialogue, il faut se méfier des didascalies impossibles à mettre en images, le synopsis et la note d’intention devraient être lus après le scénario complet et le compte-rendu livré le plus tôt possible après la lecture de ce dernier. En fin d’ouvrage, le lecteur trouvera un court chapitre sur la formation, une méthode d’auto-évaluation très utile aux scénaristes, ou à tous ceux aspirant à le devenir, et un glossaire permettant de mieux appréhender les « concepts » employés par Yves Lavandier – la plupart étant par ailleurs clairement explicités dans Construire un récit. Voilà en tout cas un ouvrage complet, aux démonstrations limpides, qui aidera tout bêta-lecteur à évaluer obstacles, ironie dramatique, caractérisation de personnage, enjeu ou climax et à accompagner les auteurs avec respect et dans une critique constructive.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 4 juin 2020

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