Ce qui est bien avec une œuvre comme Farenheit 451, c'est qu'elle vous est familière dès les premières pages. J'irai même plus loin, vous la connaissiez déjà sans même l'avoir lue. C'est fou comme un petit pavé de 240 pages peut en raconter sur le monde à venir.
Un visionnaire, ce Ray Bradburry à n'en point douter. L'amoureux de la culture, des arts et des lettres fut témoins des découvertes qui façonneraient le 20ème siècle pour le meilleur et surtout pour le pire. Les bombes atomiques, dont la puissance destructrice servirait de clé de voute à la guerre feutrée entre les États-Unis et la Russie. Un terreau fertile qui permit la floraison d'un nouveau fanatisme, le maccarthysme, dont l'inanité et la dangerosité rappela l'Allemagne des années 30, éloignant considérablement l'Amérique de ses idéaux. Au même moment, la télévision se frayait une place dans un nombre croissant de foyers, et avec elle une foule de programmes visant à passer les cerveaux à la lessiveuse propagandiste, en terminant le cycle avec l'adoucissant pro-consumériste.
Bref, que de belles choses dont Bradburry saisit le potentiel de nuisance alors qu'elles n'en étaient qu'à leurs balbutiements. Farenheit 451, c'est l'histoire d'une société dissolue dans l'inculture et l'inconséquence. Comme l'un des personnages secondaires le démontre, il n'a suffit que de la mauvaise volonté des uns et de la lâcheté des autres pour y arriver. La symbolique des livres calcinés n'est évidemment pas anodine (renvoyant aux autodafés perpétrés par les nazis). Les écrits, l'Histoire et le savoir sont les premières victimes de l'extrémisme, surtout quand ils sont les garants d'un contre-pouvoir nécessaire face à l'intolérance.
Contrairement au 1984 de George Orwell, qui décrit une futur dystopique très proche, l'auteur fait montre de plus d'espoir bien que le bilan ne prête vraiment pas à sourire. Vraiment pas, attendu que beaucoup d'extrapolations écrites en 1953 sont devenues réalités. Le "temps de cerveau humain disponible", ça vous parle ? Les murs-écrans qui diffusent de "l'information" en continu ? L'hyper-connexion ? Je pense que ça suffit pour montrer la grande clairvoyance du roman à l'égard de ce vers quoi la civilisation se dirigeait. Bien entendu, le constat sentencieux serait injuste, puisque nombre des technologies actuelles permettent aussi l'échange et partage de connaissances en toute liberté.
Le style d'écriture de Bradburry l'éloigne également d'un Orwell, puisque sa prose tient autant de la poésie que du roman de SF. Les tournures jouent habilement avec les répétitions, allitérations, métaphores et prosopopées. Le lecteur aimant se laisser porter au gré des mots entremêlés dans leurs musicalités et leurs forces évocatrices seront aux anges. Certains monologues résonnent longtemps dans la tête par la pertinence de leurs observations ou l'ambigüité qu'ils revêtent (notamment avec le personnage de Beatty).
Un classique qui (sans mauvais jeu de mots) a fait long feu. Et ne risque pas de s'arrêter de rougeoyer.