Fahrenheit 451
7.7
Fahrenheit 451

livre de Ray Bradbury (1953)

Fahrenheit 451 est un livre qui :

1°) Raconte un futur dans lequel on brûle les livres.
2°) Vaut surtout pour sa critique du maccarthysme, qui en serait à l'origine.

Ces deux idées répandues ne rendent manifestement pas justice à cette œuvre, dont la lecture devrait être obligatoire préalablement à l'inscription sur SensCritique.

Comme nous le rappelle l'instructive préface de Jacques Chambon, Fahrenheit n'est pas une œuvre de science-fiction à proprement parler mais plutôt un ouvrage d'anticipation, à classer avec « 1984 » et « Le meilleur des mondes » dans la sa sous-catégorie des dystopies.

Tel le prospectiviste en sciences sociales, R. Bradbury décrit par petites touches un futur imprécisément daté, par un procédé simple : l'exacerbation de tendances émergentes de la société dans laquelle il vit. Il ne se préoccupe pas de convaincre de l'exactitude du portrait qu'il en dresse (et c'est ce qui le distingue du prévisionniste). Il cherche, au contraire, en restant plausible, à forcer le trait afin de provoquer le choc qui inversera ces tendances, empêchant ainsi que ses craintes ne prennent corps.

Or, que se passe-t-il dans cette vision futuriste si effroyable ? Les livres sont interdits, et le corps des pompiers est chargé de trouver, réunir et incendier les ouvrages possédés par les citoyens récalcitrants. Cependant, si les livres sont devenus l'objet de la vindicte étatique, ce n'est non pas au profit d'une pensée unique érigée en rempart contre la corruption insidieuse d'un ennemi idéologique (le communisme, donc), mais bien par le développement incontrôlé de la culture de masse, la paupérisation des œuvres, le goût du public pour les digests, les résumés, « les condensés de condensé ».

Si on brûle les livres, ce n'est pas par le fruit d'un plan machiavélique, mais d'abord, parce qu'ils font réfléchir, ce dont au fond personne ne veut, et parce qu'ils introduisent des idées complexes, contradictoires (« les livres ne sont jamais d'accord entre eux »). Si on brûle les livres, c'est d'abord parce la société ne veut plus de discussion, de dialectique, d'antagonisme, d'esprit critique. Si on brûle les livres, c'est parce que les gouvernants ont compris qu'en agissant de la sorte, ils rendent leurs administrés reconnaissants... et dociles. Voilà, ce que nous explique, avec un cynisme consommé, l'incernable capitaine Beatty, dans ce qui constitue - de loin ! - le meilleur passage du livre.

Car s'il est à l'aise dans le registre poético-mélancolique, Bradbury peine en revanche à insuffler un rythme à son récit, y compris dans les scènes d'action telles que la chasse à l'homme de la dernière partie. Bradbury fait par ailleurs preuve d'un acharnement qui frise parfois le règlement de comptes dans sa description de certains groupes sociaux : les jeunes, qui roulent vite et s'enivrent au parc d'attractions ; les femmes, qui s'abrutissent devant les murs-écrans et se gavent de somnifères.

Ce faisant, Bradbury s'en prend sans réel discernement aux scientifiques, qui ne s'intéressant qu'à la technique, auraient accéléré la mort de la pensée (« Il était titulaire de la chaire Thomas Hardy à Cambridge avant que cette université ne devienne une école d'ingénieurs atomistes »). A l'exception d'une maigre référence à Albert Einstein et Charles Darwin, on ne trouvera rien dans Fahrenheit 451 qui puisse dissiper ce malaise. Cette ségrégation entre « littéraires cultivés » et « scientifiques technophiles », digne d'un mauvais conseiller d'orientation du secondaire, écorne quelque peu la portée du message de l'auteur.

Sur ce point vous vous êtes assurément trompé, Mr Bradbury, il y a des scientifiques qui réfléchissent, il y a des scientifiques qui ont une conscience, il y a des scientifiques qui lisent des livres.

Il y en a même qui en écrivent des critiques.
beebee
7
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le 23 janv. 2011

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8 j'aime

beebee

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