Ce roman d'anticipation a été publié en 1953, mais il n'a pas vieilli. Il met au jour des problématiques préoccupantes vers lesquelles notre monde tend vraisemblablement à se diriger : la déshumanisation de la société, l'oubli des valeurs, la distanciation de l'homme par rapport à la nature, la suprématie de la société de consommation, l'abrutissement du peuple face à la généralisation des phénomènes de masse, ... autant de sujets qui continuent de poser question, sans doute même avec davantage de force à mesure que les années passent...
La sagacité de cette oeuvre me semble donc indéniable. Pourtant, j'avoue avoir été bien moins conquise par cette dystopie que par celle que George Orwell donnait à lire quatre années plus tôt. Après avoir été séduite par 1984, j'en attendais beaucoup de Fahrenheit 451. Hélas, j'avoue en ressortir assez déçue.
Là où George Orwell barricadait toutes les issues, offrant un monde totalitaire réfléchi à l'extrême où aucun sujet ne pouvait opposer de résistance sans y perdre la vie ; Bradbury nous présente, quant à lui, l'ébauche d'une société dont le climat est certes alarmant, mais dont les tenants et aboutissants m'ont paru confus faute de développement. En effet, l'auteur a la particularité de ne pas s'attarder et d'aller à l'essentiel, tant au point de vue du fond que de la forme.
A défaut de voie de garage et de détails vainement espérés, je n'ai pas pu prétendre m'accrocher aux personnages qui sont soit écervelés/insupportables (Mildred et ses copines), couard (le vieux Faber), pontifiant (Granger) ou encore... disparu aussi vite que présenté (Clarisse) ! Montag profite d'un portrait un peu plus complet et nuancé, mais je n'ai pas trouvé en lui suffisamment de force d'esprit ou de traits originaux qui me le rendent vraiment sympathique. Étonnamment, c'est le profil du perfide Beatty qui m'a le plus intéressée. Et pour cause, c'est grâce à lui que Fahrenheit 451 connaît à mon sens son apogée.
On doit en effet à ce personnage la majorité des explications attendues quant à la raison de l'aversion qui règne à l'égard des livres et quant au fonctionnement de la société.
Le lecteur apprend grâce à lui que les livres n'ont pas été balayés par suite d'un mouvement dictatorial soudain, mais que c'est la population qui, en s'abrutissant via les médias de masse, a été la proie d'une ignorance nécessitant une vulgarisation toujours plus importante, conduisant petit à petit à un réel appauvrissement culturel,
Que, suite à cela, la scolarité a été écourtée et que toutes les matières scolaires qui ne sont pas techniques (les langues, l'histoire, la philosophie, ...) ont fait l'objet d'une négligence, puis d'un abandon,
Que la littérature, la philosophie et la sociologie ont été écartées parce qu'elles entravaient le bonheur des gens / faisaient figure de portes ouvertes à la mélancolie,
Et, au final, que les pompiers sont finalement devenus fort utiles dans la société pour mettre tous les citoyens sur le même pied...
(C'est d'ailleurs non sans sarcasme que Beatty témoigne de l'extrémisme dont le système est par conséquent devenu capable...)
Bradbury nous propose dans ce chapitre un discours riche en informations – discours qui convie à de très intéressantes réflexions. Cependant, une ombre noircit le tableau : la suite.
Passé cet extrait, Bradbury nous offre une fin sous forme de course poursuite digne d'un film de série B en lieu et place d'une suite aboutie à la fiction intelligente qu'il avait entamée et dont la première partie était, quant à elle, capable d'éveiller le lecteur / de contribuer à son questionnement. Et, pire que cette cavalcade finale, j'ai déploré une clôture d'un genre encore différent, à mi-chemin entre le récit d'aventures et la quête spirituelle... Un dernier chapitre qui s'est avéré pour moi désagréablement brutal, dans le changement d'atmosphère, et ô combien stérile et ennuyeux.
Enfin, je déplore par ailleurs les stéréotypes qui se profilent au sein du roman : les femmes – à l'exception de Clarisse – passent pour des pintades sans cervelle qui ne vivent bien que scotchées à leurs « télécrans » et ruinent leurs maris travaillant dur pour leur offrir toujours plus de divertissement. Ce livre ne recèle pas qu'une critique sociale objective, mais aussi une discrimination de genre... inhérente à l'époque peut-être, mais malgré tout dérangeante.
Un roman basé sur une idée de génie mais insuffisamment exploitée à mon goût. A regret, Fahrenheit 451 a suscité chez moi un plaisir de lecture très inégal.